Dès les neuf premières pages, autrement dit dès le premier chapitre, on entre dans la vie de la famille.
Joyce Maynard écrit son roman en adoptant le point de vue d'Eleanor, la mère. On apprend que celle-ci est maintenant grand-mère, qu'elle est venue dans la ferme familiale assister au mariage de Al, son fils aîné, qui était auparavant Alison sa fille aînée, qu'elle est séparée de Cam, son mari, qu'elle est restée brouillée trois ans avec sa fille cadette Ursula, en fait depuis la naissance de Louise, sa petite-fille, et que la deuxième épouse de Cam l'a quitté. Pour les explications, il faudra attendre !
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La quantité d'événements évoqués dans ce premier chapitre m'a fait oublier un temps l'importance du prologue où sont présentés les bonshommes-bouchons, pourtant métaphore annoncée de ce que vont subir les personnages de
Où vivaient les gens heureux. On peut faire confiance à
Joyce Maynard pour nous entraîner dans la vie d'une famille, ou même dans la vie, tout simplement. le roman se déroule dans un monde ouvert sur l'actualité et sur la culture sous toute ses formes. Les événements extérieurs influencent la vie des personnages qu'il s'agisse du mouvement hippie, de l'arrivée du rap ou de MeToo. L'accident de la navette Challenger dévastera Ursula enfant, Alison se passionnera pour la programmation et les ordinateurs dès leur débuts, etc. Il serait fastidieux d'évoquer tous les thèmes abordés, que ce soit par le biais du groupe familial, des voisins, des amis ou des connaissances : viol, avortement illégal, sida, transition sexuelle, séparation et bien d'autres encore. Comme toujours chez
Joyce Maynard, l'enfance est la clé de tout. Eleanor subit une enfance solitaire, mal-aimée par des parents alcooliques qui ne se préoccupent que d'eux-mêmes. Cal, pour sa part, a été élevé par des parents autoritaires, en admiration devant son frère à qui tout réussit. Eleanor tentera par tous les moyens dont elle dispose de donner à ses propres enfants une enfance heureuse, celle qu'elle n'a pas eue. Elle va en payer le prix, un prix exorbitant.
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J'ai aimé suivre Eleanor dans ce qui pourrait apparaître comme le roman d'un apprentissage qui n'en finit pas. Elle m'a touchée à tous les âges de sa vie, de son enfance délaissée à sa résilience. Elle m'a parfois agacée par sa trop grande indulgence, par son abnégation, par son oubli de soi, que des qualités, en fait, mais qui font qu'elle se perd et qu'elle finit par ressentir une profonde amertume. J'avoue que quand je pense à Cam, j'éprouve un ressentiment probablement plus grand que celui d'Eleanor, et qui a commencé bien avant le sien… « Au bout du compte, il s'agit d'un roman sur l'importance de demander et d'accorder le pardon. C'est une leçon qu'on apprend peut-être avec l'âge – une leçon inestimable, quel que soit le moment où elle est acquise » nous dit
Joyce Maynard dans ses « Notes de l'autrice » (p. 544). C'est encore une fois un très beau roman, poignant, parfois triste, parfois plus serein, souvent bouleversant, porté par l'écriture limpide de cette autrice incontournable.