Brillant ! Autant que la magnifique couverture ouvragée de ce petit pavé de 500 pages que nous offre
Monsieur Toussaint Louverture.
Je connaissais déjà le travail de l'éditeur par le génial Swan Song, autre joli pavé en deux tomes. La qualité de ce travail est à noter, quel plaisir à voir, à toucher, à contempler. Et bien sûr à lire. On sent l'amour du métier, rien qu'à la façon dont les personnes qui ont contribué au projet sont mentionnées, fait rarissime. La couverture est particulièrement évocatrice, mais on s'en rend compte vraiment une fois plongé dans le récit.
Comme avec Swan Song (écrit par
Robert McCammon), l'éditeur fait le pari de publier un roman des années 80 d'un auteur américain à succès, mais n'ayant pas encore été traduit en français (je parle du roman, pas de l'auteur en général). Un pari gagné, et je m'étonne qu'on ait dû attendre aussi longtemps !
Comme avec Swan Song, je suis sous le charme, je découvre l'auteur, mais je découvre aussi avec tristesse que
Michael McDowell n'est plus de ce monde, et qu'à l'image d'un autre de ses compatriotes (
Michael Crichton), sa vie fut certainement trop courte.
Revenons-en au roman en question.
Tout est politique et social dans
Les Aiguilles d'Or, qui décrit le New York de 1982.
Le thème central, omniprésent, a pour sujet la lutte entre un bloc bourgeois, dépositaire du pouvoir, du bon goût et de la bien-pensance, et la cohorte des miséreux, ceux d'en bas, les « sans-dents » comme dirait l'autre.
Mais le roman a ses contraintes et l'auteur ses tropes de prédilection. Alors, plutôt que de nous servir un froid et insipide traité de sociologie, il nous offre sur un plateau – d'or – la plus parfaite des histoires illustrant le propos : la confrontation entre deux familles que tout oppose. Les Stallworth qui résident dans les beaux quartiers, et les Shank, immigrés d'origine allemande aux activités pour le moins douteuses.
La confrontation entre ces deux clans sera sanglante, à l'image de la lutte des classes correspondante.
J'avais lu je ne sais où un article intéressant expliquant l'opposition entre deux écoles dans l'écriture romanesque actuelle. L'une de ces écoles porte aux nues le « style littéraire » et je crois qu'elle est bien représentée par les nobélisés.
L'autre semble venir des États-Unis. Plutôt que de tenter de l'expliquer, je citerais
McDowelllui-même, qui à mon avis en est un parfait représentant : « Je pense que c'est une erreur d'essayer d'écrire pour la postérité. J'écris pour que des gens puissent lire mes livres avec plaisir, qu'ils aient envie d'attraper un de mes
romans, qu'ils passent un bon moment sans avoir à lutter. ». La citation – incomplète – provient de la fiche Wikipédia de l'auteur, que je vous invite à lire plus en détail.
L'école « américaine », populaire ? Peut-être, et
McDowelllui-même semble abonder dans ce sens. Simplement, ce serait une grossière erreur que de réduire le souci de « plaire au plus grand nombre, d'être accessible », à la production de
romans « pour les masses ».
En réalité, l'écriture de
McDowell non seulement remplit tous les objectifs qu'il a
lui-même énoncés, mais sa qualité, sa précision et sa constance dépassent tout ce que j'ai pu lire jusqu'à maintenant. Autant dire que la lecture est f
luide, ce qui permet de profiter pleinement de toute la richesse contenue dans le roman (descriptions de la société, des lieux, politique et intrigues…).
L'école « américaine », c'est aussi une vision cinématographique du roman, et maintenant je me rends compte de la force de frappe que possèdent les écrivains scénaristes. J'ai parlé de
McDowell et de
McCammon.
Michael Crichton est de ceux-là aussi. Et
Stephen King bien sûr.
Ira Levin ne dépareillerait pas, bien que ses
romans se distinguent de ceux de ces compatriotes par une concision qui confine à la pureté (il fut un auteur de pièces de théâtre par ailleurs).
Bref, ils sont forts, ces Américains ! (Je ne boude pas pour autant les auteurs à « style » quand ce
lui-ci me touche, et je ne pense pas du tout que les deux « écoles » soient exclusives).
Dans
Les Aiguilles d'Or,
McDowell montre à voir tout son talent de scénariste. C'est à la fois simple et efficace (une banale histoire de revanche), et diaboliquement bien ficelé (il faut voir avec quelle précision les intrigues se nouent et se répondent au fil du roman).
Les Aiguilles d'Or, c'est aussi une esthétique très précise du New York de 1882. Une fresque pour ainsi dire, tant les portraits des lieux, des personnages, des institutions, et de la société en général sont palpables à travers le texte.
Ce roman m'a rappelé les innombrables « classiques » français du XIXe siècle étudiés à l'école. C'est drôle : le seul que j'ai relu assez récemment pour m'en souvenir un peu est
Bel-Ami,
De Maupassant, et je
lui ai trouvé beaucoup de points communs. Non seulement dans la société décrite (détestable, je trouve), mais aussi dans les thèmes traités (importance de l'étiquette, salons des maîtresses de maison, collusion entre le milieu journalistique et la politique).
Bel-Ami a été publié en 1885.
La plongée dans cette atmosphère est immédiate grâce à un excellent premier chapitre, très cinématographique, classique mais efficace. le roman fait 500 pages. Je craignais au début une dilution de l'intrigue dans un excès de descriptions, mais en fait non. Il se passe beaucoup de choses dans ce roman, et chaque évènement a son importance, qu'on comprendra parfois plus tard.
Ce qui m'a peut-être le plus impressionné dans ce roman, c'est le talent de l'auteur pour transformer des rapports de force complètement déséquilibrés au départ. Et aussi pour retourner le jugement de morale, a priori nettement et logiquement en faveur des Stallworth.
Pour ce faire, l'auteur va développer, pour chaque membre des deux familles, un portrait de plus en plus nuancé, pointant astucieusement des défauts ou des faiblesses chez ceux qui apparaissaient bons ou forts, et inversement. Et ainsi, en toile de fond et dans le viseur, la critique de la société fait mouche. Une technique proprement incroyable !
Les thèmes abordés sont innombrables. le racisme est par exemple abordé à travers le personnage de Maggie Kitzer, dont l'ascendance africaine est presque indécelable. Toujours sur ce thème, l'auteur pointe à maintes reprises le mauvais traitement dont font l'objet les immigrés irlandais (j'ignorais).
Si le sort réservé à l'avocat vous a impressionné, mais pas dégouté, il y a ce film avec
Ryan Gosling :
Only God Forgives ...