Dans la composition qui fut admise par le jury, la personnalité de Puvis de Chavannes est encore difficile à démêler. Son sens dramatique comme
sa technique sont encore sous l'influence visible de Delacroix. Ce n'est point par hasard cependant que l'artiste s'était arrêté déjà à un sujet grave et touchant et qu'il se montrait moins soucieux de faire preuve d'habileté pittoresque que de provoquer une forte et noble émotion.
Après avoir un peu hésité entre Delacroix et Courbet, Puvis, orienté sans doute par Chassériau, trouva de ce côté la voie royale où son génie allait s'épanouir. Déjà, chez Couture dont il suivit peu de temps l'atelier, il avait fait des expériences instructives. Quoiqu'il ne parlât pas volontiers de ses années d'apprentissage et des tâtonnements de ses débuts, il racontait qu'un jour, par une grise matinée d'automne, pendant qu'il travaillait devant le modèle, le maître, passant derrière son chevalet, lui reprocha sa peinture anémique et voulut lui donner la recette du « ton de chair » qu'il paraissait ignorer tout à fait. Sans s'être encore débrouillé ni trop savoir ce qu'il voulait faire, Puvis comprit pourtant que ce n'est pas de cette cuisine qu'il avait besoin. L'art de faire les sauces a sans doute son prix et il ne faut pas le mépriser; mais il avait au plus profond de son coeur autre chose à contenter, un plus intime idéal à nourrir.
Le style de Puvis s'affirma davantage au Salon de 1863, dans deux compositions nouvelles , le Travail et le Repos, inséparables des précédentes et qui voisinent en effet aujourd'hui avec elles. Il semble bien que, par leurs masses plus amples et plus magistrales, par leur harmonie de couleurs plus simple et plus large — quelques notes claires et délicates sur une basse de bleu sombre — ces deux oeuvres eussent dû être accueillies comme un progrès manifeste. Mais le goût général se trouva en retard sur celui de l'artiste et la critique qui lui avait voté le Capitole en 1861 le condamna en 1863 à la Roche Tarpéienne (Hector de Callias).
Dès qu'on prononce le mot d'Idéal, il semble que les cervelles se troublent. On en a fait dans l'esthétique un si fâcheux abus, il s'est chargé dans les polémiques d'école de significations si vaguement diverses qu'on ne saurait plus l'employer qu'avec une extrême prudence. A vrai dire, tout art, par son essence même, est idéal, puisqu'il ne saurait exister que par l'intervention de l'homme et suivant une idée directrice et organisatrice.
C'est par un début fort modeste que s'ouvre, au Salon de 1850, la carrière artistique de Pierre Puvis de Chavannes, — début en harmonie avec la vie la moins fertile en surprises merveilleuses et en anecdotes dramatiques, u la plus simple du monde », ainsi que le peintre lui-même s'est plu à le répéter avec ce bon sens narquois qui le défendait contre des admirateurs trop zélés.