Découvert par hasard bib LT. Lettre de rage pour un avion annulé part en digresssions auto-fictionnelles alcoolisées, désespérément drôles... Quelques longueurs mais intense saveur.
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Chers American Airlines,
Je m'appelle Benjamin R. Ford et je vous écris pour solliciter un remboursement d'un montant de 392,68 dollars. Mais en fait, non, rayez cela. «Solliciter» est beaucoup trop minaudant et poli à mon goût, trop officiel et maniéré, c'est un mot qui se balade sur une page avec la même rigidité qu'un individu s'efforçant de faire atterrir une noix sur la partie haute de son postérieur joufflu. Mais qu'est-ce que je raconte ? Les mots n'ont pas de postérieur joufflu ! Chers American Airlines, je suis plutôt en train d'exiger un remboursement d'un montant de 392,68 dollars. Exiger, exiger, exiger. En italien, richiedere. Verlangen en allemand et требовать dans la langue russe, mais je doute que vous saisissiez bien le message. En guise d'illustration, imaginez une table entre vous et moi. Vous avez entendu ce coup lourd ? C'est moi qui viens de cogner sur la table. Moi, M. le comptable de Benjamin R. Ford, qui en dessoude les putains de pieds ! Dans l'idéal, vous vous représentez aussi une pièce aux murs en ciment et une ampoule qui tangue au-dessus de nos têtes : et maintenant, essayez de me voir en train de bondir, de balancer ma chaise derrière moi d'un coup de talon, de pointer mon doigt dans vos tronches avec mes yeux tout rouges et toiseurs et d'écumantes bulles de salive constellant les coins de ma bouche tandis que ci-présent je rugis, hurle et détoooonne, à l'instar de la toute-puissante sainte patronne de tous les détonateurs : «Rendez-moi mon putain de fric !» Vous voyez ? Le gentil petit «solliciter» ne fait pas exactement le poids, n'est-ce pas ? Non, m'sieur. Ceci relève de l'exigence. C'est tout sauf une plaisanterie, bordel.
Naturellement, je suis conscient que dix tétra-millions d'ahuris vous soumettent semblable réclamation chaque année. Je suppose que vos mines de petits cochons ont l'habitude de se faire souffler et encore souffler dessus. En ce moment même, depuis mon siège mal fichu au milieu de cet aéroport mal fichu, j'observe une dame d'âge moyen agitant les bras telle une tête de tuyau d'arrosage partie en vrille, devant le comptoir à billets. Elle ne plaisante peut-être pas non plus. Peut-être même que comme moi, elle ne plaisante carrément pas. L'attaché-case posé aux pieds de cette dame ainsi que son tailleur Talbot impeccable m'incitent toutefois à conclure qu'elle est en train de rater une réunion ultra-importante à Atlanta, où elle a été désignée pour décider quelque chose de l'ordre du type de boisson gazeuse que dix tétramillions de balourds âgés de dix-huit à trente-quatre ans ingurgiteront durant une séquence de visionnage télévisuel de trente minutes soigneusement sélectionnée sur quatre à six secteurs de marchés occidentaux, et je suis sûr que l'agent d'accueil se montre fabuleusement compréhensif à l'égard du problème de la dame aux sodas mais qu'elle aille se faire foutre quand même. Bon, un demi-tétramillion de balourds boivent du Pepsi et non du Coca, et alors ? De l'autre côté, voilà tout mon être répandu en poudre sur le tapis, mûr et prêt à se faire aspirer par l'appareil d'un immigré en combinaison.