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sur 327 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Peut-on " vivre hors jeu" ?
C'est-à-dire retirée du monde, isolée ici en pleine montagne dans un refuge accroché à une paroi, conçu pour cette quête singulière par une femme. L'hypothèse de l'isolement reste relativement classique et a déjà été posée par d'autres auteurs, le déroulement de l'expérience et la forme du texte le sont nettement moins. C'est ce qui m'a plu dans ce journal intime de survie.

Confrontée à la faim, la fatigue, l'isolement prolongé et d'une façon plus large aux conditions parfois brutales qu'impose la montagne, une femme très entraînée, dont le lecteur ignore à peu près tout - ce qui facilite sans doute l'identification - tente de survivre tout en livrant ses questionnements existentiels au fur et à mesure de ses péripéties.

La première partie, très introspective, centrée sur son installation et sa nécessaire adaptation devrait plaire aux amateurs de montagne familiers des efforts, de l'humilité requis par le milieu montagnard mais aussi de sa beauté fascinante. Une étonnante impression de retrouver des sensations de randonnée en montagne, une justesse de narration, m'ont permis de savourer toutes les questions qui émaillent le récit, comme une façon d'aller plus loin que le bout du chemin...vous savez, ce besoin de savoir inlassablement ce qu'il y a après le prochain virage.
Interessante expérience de lecture !

La seconde partie, plus insolite et plus animée, ménage un suspense qui évite au roman de n'être qu'un récit de montagnard-philosophe en élargissant le postulât de départ : la narratrice découvre dépitée un autre être humain aux alentours de son refuge.
Solitude écornée et confrontation instructive !

Le style, précis et direct, sans fioritures ni effets de style, colle bien je trouve au caractère austère d'une telle expérience de survie en milieu hostile. En revanche, beaucoup de questions et fort peu de réponses déconcertent à la longue et j'aurais apprécié par moments que l'auteur aille un peu plus loin dans sa quête existentielle.
Je sors donc de ce roman à la fois emballée et légèrement frustrée, mais globalement conquise par l'écriture et le propos de Céline Minard que je découvre avec La Grande Expérience...pardon le Grand Jeu.
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"Un bain de lune" dans une baignoire, en pleine nature, à 1600 mètres d'altitude. Une soirée à la belle étoile sur "une vire de vingt mètres carrés accrochée à désert vertical". Une petite séance de slackline sur une sangle tendue entre deux pitons rocheux, face au coucher du soleil. Trois moments de vie intense qui marquent le quotidien de la narratrice dans : le grand jeu de Céline Minard.
Décidée à abandonner pour quelque temps le monde civilisé, elle a acquis deux cents hectares de roches, bois et prés au coeur d'un massif montagneux, sur lesquels elle va accrocher au dessus du vide ce qu'elle appelle "son tube de vie" ou "son tonneau". Et pour cause ! Dans ses bagages, un questionnement existentiel qui la poursuit et qui balaie tout le roman : quel est le fondement de toute relation humaine ? Qu'est-ce qui se joue lorsque nous allons à la rencontre de l'autre ? S'en suivent, des questionnements posés en rafales et qui versent parfois dans l'hyper intellectualisme.
Mais heureusement notre héroïne n'est pas une philosophe désincarnée , c'est aussi une montagnarde aguerrie. Et passionnants sont les passages où elle décrit avec brio le nouveau rapport qu'elle va instaurer avec un environnement totalement "déshumanisé". Retour à des techniques primitives de survie : chasse et pêche. Longues marches à la fois exploratoires et initiatiques. Ses repères au monde basculent et tous ses sens se mettent en éveil pour la mettre en phase avec le monde animal, végétal ou animal. Son corps lui-même devient un moyen de connaissance comme elle le dit si bien : "j'ai senti le fil de mon chemin passer dans mon ventre et se tendre au-delà de mon point de mire jusqu'au sommet que je ne voyais pas".
Mais la rencontre avec l'Autre à laquelle elle voulait momentanément se soustraire va pourtant avoir lieu sous la forme la plus inattendue qui soit : "une boule noire est tombée à mes pieds". C'est ainsi que se présente, celle qu'elle nommera par la suite, dans ses moments de colère "le tas de laine". Une sorte d'ermite, un compromis entre une vieille bergère oubliée dans une cabane, par certains côtés et une yogini pour d'autres. Va s'en suivre entre la narratrice et ce personnage détonnant une vraie querelle de territoire, avec des passages jubilatoires où le comique se marie avec le réalisme le plus cru... Rituels d'intimidation, d'agression ou de bienvenue vont se succéder et ont constitué pour mon plus grand plaisir une sorte de contrepoint parodique des questionnements métaphysiques qui jalonnent le début du roman. La narratrice fait preuve dans ces passages d'un humour décapant avec un sens de la formule qui fait mouche.
L'écriture est d'ailleurs un des points forts du roman. Polyphonique, elle s'adapte à chaque tempo. Précise, méticuleuse lorsqu'il s'agit de décrire au plus près un environnement ou autre, elle devient ample, fougueuse voire houleuse dans les envolées lyriques ou émotionnelles.
Bref, ce court roman a été pour moi un vrai bonheur de lecture.
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Il y a de cela quelques années, il existait une petite librairie indépendante pas très loin de la rue de Siam, à Brest, qui s'appelait le Grand Jeu, tenue par une certaine Isabelle. La librairie a fermé en septembre deux mille. J'aimais cette librairie, j'y entrais parfois sans idées précises, le hasard faisait toujours bien les choses et Isabelle savait toujours proposer un auteur, un livre, un rendez-vous, un chemin nouveau hors des sentiers battus ; dire qu'elle a forgé ma conscience de lecteur serait peut-être prétentieux, mais cet endroit m'a donné le goût des livres et c'est déjà immense...
Ceux qui ont fréquenté cette librairie se souviennent d'une très belle aventure.
Je crois savoir que depuis, Isabelle a repris avec d'autres personnes une librairie du côté de la rue Mouffetard à Paris...
Pourquoi cette librairie s'appelait le Grand Jeu ? Je ne sais pas, peut-être une allusion à cette revue littéraire des années vingt, expérimentale, hors des sentiers battus elle aussi...
Mais je m'égare sans doute ou peut-être pas, revenons à ce livre de Céline Minard, qui s'appelle justement le Grand Jeu et qui m'a fait connaître cette auteure.
Peut-être suis-je venu inconsciemment vers ce livre comme une manière de revenir sur mes pas lorsque j'étais un jeune lecteur... Peut-être n'y a t-il jamais de hasard dans nos vies, dans nos gestes ? Simplement des rencontres, des rendez-vous...
Mais alors, pourquoi ce roman atypique s'intitule-t-il ainsi ? Peut-être pour les mêmes raisons qui avaient conduit Isabelle à baptiser ainsi sa librairie...?
Ce roman devrait donner envie aux amateurs de montagnes d'y venir, il les fascinera sans nulle doute. Les déconcertera aussi, j'en suis sûr.
J'adore les randonnées en montagne, sans forcément être un adepte des grandes hauteurs. Marcher longtemps, de préférence en solitaire, est déjà pour moi une forme de voyage intérieur. Côtoyant l'océan quasiment tous les jours, la montagne me fascine d'une tout autre manière. Marcher en montagne accentue, je ne sais par quel magie, cette sensation, cette grâce.
Ici c'est le récit d'une femme qui décide de quitter provisoirement son quotidien, le bruit du monde, prendre de la hauteur au sens propre comme au sens figuré, coller au plus près de la nature...
Un bivouac à même la paroi de la montagne, dans un endroit escarpé inaccessible à pied, une paroi rocheuse de haute montagne, à trois mille quatre cents mètres d'altitude. C'est d'ailleurs par hélicoptère qu'on l'aide à installer son bivouac.
Un bivouac sophistiqué.
Elle doit y rester quelques jours, quelques semaines, peut-être quelques saisons, observer, noter.
Une façon de de réapprendre à vivre, renaître ailleurs.
Ou tout simplement apprendre à vivre pour la première fois.
La narratrice nous présente avec moultes détails cette préparation, une organisation high-tech qui sort le grand jeu et où rien n'est laissé au hasard ; mais ce n'est doute pas ici que réside l'intérêt du roman, même si j'ai totalement adhéré au questionnement initial de l'auteure.
Rebondir,
apprendre,
apprendre à accueillir.
C'est une quête de sens, un chemin philosophique, un texte qui nous questionne sur ce qu'est notre existence, notre relation à nous-même, nos proches, nos sensables, notre rapport avec le monde.
C'est une vie en ermite que s'invente la narratrice.
Le Grand Jeu, est-ce être hors jeu, hors du temps, hors du monde...?
Il y a ici une esthétique de l'isolement, non pas la solitude, mais la survie, le retrait provisoire, le pas de côté, la marge, être brusquement hors-jeu, se regarder ainsi, s'observer, s'étudier méticuleusement, laisser infuser....
Tout est prévu dans l'organisation de cette expérimentation comme du papier à musique... Il y a même un potager à proximité du bivouac, c'est dire...
C'est un isolement volontaire en milieu hostile.
Et brusquement, une note discordante survient, ou plutôt une note inattendue s'invite dans la partition...
Sur cette paroi, elle n'est plus seule. Quelqu'un d'autre est là tout près, montre des signes d'existence, jette ici et là des indices, des traces d'une autre vie.
Ami ? Ennemi ? Élément perturbateur dans ce rouage trop bien rodé ? Prédateur ?
Moi aussi j'ai été perturbé par ce grain de sable...
C'est la confrontation avec l'autre, l'intrus forcément au premier abord, tout autre est souvent cela...
C'est un questionnement qui se poursuit dans ce rapport à l'autre.
Une solitude minérale qui se transforme en traque animale.
Mais la narratrice n'est-elle pas d'ailleurs l'intruse pour cet autre peut-être déja là avant elle ?
Le récit va alors prendre une tout autre dimension.
Que serait Robinson sans Vendredi ?
Que serait la cabane de Sylvain Tesson au fond de la Sibérie sans le surgissement du visiteur imprévu au bord du lac Baïkal, animal ou semblable, invitant le narrateur à des lendemains qui déchantent, où la vodka continue de cogner aux tempes.
Ici c'est le rhum...
L'intérêt du récit ne réside donc pas dans cette expérience high-tech de l'isolement volontaire, mais dans le surgissement de quelqu'un d'autre qui vient modifier le comportement de la narratrice dans cette aventure verticale.
C'est l'expérience d'un isolement où l'inattendu s'invite.
Je ne sais que penser de ce roman totalement déconcertant.
C'est un livre qui m'a fasciné, étonné, rendu perplexe.
Je reste sur tant de questionnements au final.
Mais c'est peut-être là ce que voulait l'auteure, laisser la part belle au lecteur, se retirer de cette paroi abrupte, pour laisser celui-ci imaginer le vertige, agir à son tour.
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Tout retranchement est-il une fuite plus ou moins assumée du risque que comporte toute relation humaine? Toute relation humaine ne peut –elle reposer que sur une promesse compromettante ou une menace intimidante ?

L'enjeu est-il de rester hors jeu ou de se mettre tout entière en jeu ?

Ce sont les questions, lancinantes, retournées dans tous les sens comme des gants mouillés ou des vêtements qui grattent, par la narratrice du Grand jeu, retranchée dans sa montagne et son abri high tech, équipée de tous les outils qu'il faut pour pourvoir à sa survie en milieu extrême – la haute montagne alpine- et nantie de l'équipement le plus sophistiqué d'escalade pour lui permettre de défier l'ennui.

Le face à face avec le milieu, le climat, les saisons, la faune et la flore occupent une première partie du livre : on robinsonne allègrement dans une sorte d'enfance retrouvée ou de paradis perdu, avant l'arrivée de l'homme – ou de la femme.

Mais déjà des questions existentielles hantent cet espace concret, elles viennent régulièrement rompre, pour la narratrice, la prise en main de son « domaine », mettent parfois en doute sa méthode (cartésienne), ou à l'épreuve son désir d'ataraxie…ah ce terrible divertissement (pascalien) qui vous tire insidieusement hors de toute contemplation des deux infinis ..et ce doute qu'il faut endormir à coup de rhum, cette subjectivité de la peur qui se réveille , comme, chez Montaigne, le vertige du sage suspendu entre les tours de Notre-Dame…

Non, je ne vous joue pas les pages roses de la philosophie scolaire : Céline Minard est philosophe de formation et son Grand Jeu est une sorte de pari pascalien, non sur l'existence de Dieu, mais sur la nécessité de la relation humaine.

Car tout est là : Robinson, le refuge, le potager, la baignoire improvisée, les terrasses conquises sur la paroi, plus près du ciel , tout cela cache, un temps, la raison profonde de cet érémitisme forcené : fuir les autres, fuir l'autre.

En effet, mieux vaut endurer la grêle, la foudre, la brûlure du vent ou du soleil, l'humidité sournoise des brumes ou la lessive radicale des pluies que risquer de croiser un idiot, un imbécile, un fou, un prédateur. Et d'y perdre son intégrité, son identité.

C'est pourtant l'autre, une autre, - un peu folle, un peu nonne, un peu bonze, un peu chamane, un peu stylite, un peu funambule- , que notre narratrice va rencontrer, après l'avoir épiée, pistée, approchée, comme à la chasse. Et qu'elle « rencontre » finalement comme un animal en rencontre un autre- incroyable scène, farouche et forte.

Une autre qui va l'entraîner dans un Grand Jeu, audacieux, vertigineux. Vital ou mortel. Mais sans l'enjeu d'une promesse, sans la contrainte d'une menace.

Un Jeu gratuit, librement consenti, excitant et féroce comme la vie.

J'ai lu d'une traite le livre encore une fois extrêmement original et très bien écrit de Céline Minard. Il m'a laissée à la fois fascinée et perplexe.

Dans Faillir être flingué, on assistait à la lente émergence d'une vie sociale, à partir d'un chaos, d'un imbroglio de personnages, d'un fouillis d'existences individuelles – on assistait à la naissance d'une ville du wild, wild west- , et on s'arrêtait au bord du cliché- le western.

Dans le Grand Jeu, c'est l'inverse.

On part d'un cliché : la régression infantile de la « cabane" isolée, du refuge perdu - le retour volontaire à la vie « sauvage » mais avec tous les atouts de la technologie et de la civilisation- et on aboutit à une relation primitive, originelle, presque mutique, animale, qui met tout en danger, au bord du vide et du chaos, mais qui donnera peut-être LA réponse aux questions…

En revanche, cette méthode qui mène du très ordonné, très maniaque, très obsessionnel au border line absolu –rhum, shit, voltige et lâcher-prise – si elle fascine davantage, met la narratrice, comme le lecteur, en porte-à-faux.

Il faudrait plus en dire, ou en dire moins- les questions m'ont souvent paru une redite, voire même un « truc »… la pensée n'y progresse guère, et notre compréhension non plus.

Petit défaut de construction ? Ou travail de sape volontaire ?

Reste une écriture incroyablement maîtrisée- parfois un peu trop technique pour qui n'est pas un familier de l'alpinisme de haut niveau - une langue belle et captivante, même si elle nous lâche cruellement dans le vide final, après nous avoir séduits.

Ecriture-promesse et rupture-menace…en parfaite osmose avec le sujet !
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Dans le dernier roman de Céline Minard, préparez vous à rentrer dans un nouveau monde. Un paysage magnifique, un silence religieux, un logement tout équipé et une nature à perte de vue, venez l'auteur va vous apprendre comment vivre !

Dans ce texte, ne vous arrêtez ni au sujet, ni à l'écriture car les deux combinés vont vous présenter une lecture déconcertante. Vous allez rentrer dans un univers où toutes les réflexions sont possibles, où tout est possible. A travers notre protagoniste, on va être plongé dans un moment de tranquillité où une jeune femme décide de s'isoler pour réussir à comprendre comment vivre. Ici ce n'est pas la survie qui est à l'honneur car tous les aspects matériels sont présents et combleront les manques. On est donc plus dans une réflexion philosophique de la vie.

Après une première partie où nous vivons aux couleurs du soleil. Où l'on grimpe, descend, vagabonde à travers une nature plus que réelle, c'est avec la découverte d'un ermite que l'histoire va changer. La rencontre avec une autre personne dans son petit lieu de paradis va tout chambouler. Malgré un début conflictuel, on réapprend à vivre en communauté. On use des avantages de l'autre et on se redécouvre social.

Dans cette lecture vous vous sentirez apaisé et à la fois excité par cette vie. On est bouleversé par cette facilité pour grimper, escalader puis se jeter dans un lac transcendant. J'aime ce genre de lecture qui fait appel à tous nos sens : on lit avec nos oreilles lorsque le vent souffle, on respire l'air qui se cherche d'électricité lorsque l'orage approche. Ce texte est un très beau moyen pour pouvoir réfléchir à la condition humaine, à la vie en générale et à son parcours en particulier. J'ai été touchée par cette lecture car elle trouve cette résonance dans tous les coins sombres de nos cerveaux. Ceux qui n'osent pas tout abandonner, mais qui rêve de pouvoir, un jour peut être, partir et tout quitter ne serais ce que pour quelques temps.

Une belle lecture amenée par une écriture très intéressante : acerbe sur nos choix, sur la vie en général. Puis il y a le rapport aux autres, la complexité comme la simplicité des relations. Tout est mis à nue, tout est détaillé et apporte cette réflexion très poussée et intéressante sur notre rapport à la vie. Ce besoin de nous laisser un moment de paix, de répit dans cette société où tout va bien trop vite.
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Encore un excellent podcast de l'émission L'Atelier fiction sur France Culture
Encore une écoute qui me donne envie de découvrir une auteure que je ne connaissais pas, Céline Minard, et l'un de ses livres, le grand Jeu.

Installée dans un refuge high-tech accroché à une paroi d'un massif montagneux, une femme s'isole de ses semblables, décide de vivre pendant plusieurs mois en complète autarcie pour tenter de répondre à une question simple : comment vivre ?
Au début, j'avoue avoir eu très peu d'affinités avec ce personnage que je trouvais un peu trop sure d'elle et de ses capacités. En effet, elle aborde la montagne en grande connaisseuse de ces espaces magnifiques et dangereux. le côté sportif de l'aventure m'intéressait peu. En aventurière de l'extrême, outre la solitude, elle s'impose un entraînement physique intense fait de longues marches, d'activités de survie, de slackline (sorte de funambulisme à l'aide d'une sangle élastique) … Surtout, l'ensemble avait quelque chose de très organisé ; tout semblait prévu, méthodiquement préparé avec énormément de moyens (refuge futuriste, arrivée en hélicoptère…).
Heureusement, elle lit aussi beaucoup, a emporté un violoncelle et tient un journal de bord, ce qui donne à l'expérience un côté spirituel que des activités qui me ressemblent davantage mettent, selon moi, plus en valeur. J'avoue aussi que ses observations de la nature, tantôt à l'aune des grands temps géologiques, tantôt aux prises avec les aléas météorologiques du moment, tantôt encore à l'affut d'infimes détails à l'échelle des insectes ont quelque chose de fascinant…
Ne rien connaître du passé, du vécu de cette femme est assez perturbant. Comment savoir si elle trouvera des réponses à ses attentes, à la vaste question du « comment vivre » après s'être mise à l'épreuve de conditions extrêmes, de l'immuabilité de la nature et de la brutalité des éléments ?
Naturellement, j'ai adoré quand l'imprévisible s'est invité dans cette retraite trop bien organisée.
Elle avait tout prévu, sauf la présence, sur ces montagnes désolées, d'une ermite, créature quasi immatérielle surgie de la roche et du vent, une sorte de Maître Yoda sans âge, qui bouleversera ses plans et mettra à mal ses résolutions...

J'ai ressenti l'audio-lecture des extraits de ce livre comme une invitation à écouter un JE, celui de la narration à la première personne, l'écho d'une posture assumée, et à assister à un jeu de miroirs entre l'aventurière et la créature, un jeu sur les enjeux de ce type d'expériences ou de quête spirituelle.

Céline Minard, une belle plume, une manière de revisiter le thème de la solitude volontaire…
Une auteure dont l'univers m'interpelle.
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Déjà tant de critiques et de citations et de notes pour un livre et une auteur que je découvre grâce à ma soeur, bien plus au fait de l'actualité littéraire que moi.
Bref, j'ai lu ce Grand Jeu. Elle savait que les thèmes me parlerait sans doute: de la montagne, de la réclusion, de l'isolement, un mode de vie spartiate (bon, pour une femme, spartiate n'est peut être pas très bien choisi, mais passons...), la nature, de l'escalade, un peu de jardinage et de marche.
Tout ce que j'aime. Et puis il y a aussi les réflexions qui vont avec, les lignes qui guident une vie et que l'on essaie de tracer, de deviner, de révéler quelque part, de trouver dans son existence, dans le monde, les Grandes Règles qui cadrent le Jeu.
C'est un peu cela que cherche l'héroïne de Céline Minard en se retirant de longs mois dans la montagne, dans un tube métallique perché au dessus d'une falaise.
Elle marche, grimpe, cultive, travaille (scie, fauche, racle, sarcle, laboure, équipe des voies, casse des cailloux) et boit. Elle lit aussi, un peu, surement.
Comme Sylvain Tesson dans sa cabane du Baïkal, l'Héroïne de Céline Minard aime lever le coude, seule mais aussi accompagnée, car rapidement, l'isolement se rompt en partie pour une autre sorte d'expérience, plus enrichissante sans doute, différente en tous cas.

L'écriture est très sobre, facile, belle, fluide. Je n'ai pas bien compris en quoi elle est une des "voies le plus originales de la littérature française", mais j'ai aimé ce livre.
Je regrette juste, comme beaucoup avant moi, le nombre des questions et le peu de réponses apportées. Certaines questions d'ailleurs, pleuvent comme une goutte d'eau dans la soupe. Un cheveux quoi, un peu posées là comme ça. Mais ça passe quand même, grâce au style de Minard...
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Encore un roman singulier de cette auteure si singulière. J'ai de Céline Minard auparavant un roman de science-fiction post-apocalyptique, une biographie antique, un western et un texte quasi rabelaisien. Et là on a un journal entre alpinisme, survivalisme et philosophie (en 180 pages, s'il vous plait).
Il n'y a pas de fioriture ici, c'est technique, presque clinique. Cela m'a déstabilisé au départ. Mais je suis entrée dans cet anonymat, je me suis habituée puis je m'y suis plu. Alors oui, il a fallu passer outre les passages techniques sur l'alpinisme (mon expérience de la montagne se limite à 2 randonnées en été, un mal des hauteurs et en terme d'alpinisme, j'ai monté 3/4 fois un mur d'escalade en salle, pas sûre que cela compte). Mais une fois cela passé, je me suis retrouvée aux côtés de cette femme, isolée en montagne (moi bien confortablement installée sur ma serviette de plage, faut pas déconner).
Elle a besoin de se trouver, de trouver son rapport à l'autre. Elle pense trouver une réponse dans la solitude. Mais celle-ci ne dure pas. Une étrange ermite va la confronter à l'autre, à un autre singulier. J'ai parfois eu l'impression qu'en fait l'ermite était elle-même, après des années de solitude. Qu'elle rencontrait son futur moi après des années d'isolement. En tout cas elle pourrait finir comme cela : totalement barrée !
Menace ou promesse, la relation aux autres ne trouve pas forcément de réponse, mais cette lecture questionne et en tout cas ne devrait pas laisser indifférent (promesse?).
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Une femme s'installe, seule, en montagne, dans un abri qu'elle a conçu. C'est un projet réfléchi, pensé dans les moindres détails, rien d'une "tocade d'excentrique" : panneaux photovoltaïques, résine, fibre de verre, leds, elle a choisi des matériaux de pointe pour leur adaptation à un environnement extrême (un monde de grand froid et de grosses chaleurs, en altitude). Cette construction sophistiquée n'en évoque pas moins les cabanes de l'enfance, les maisonnettes des contes où se réfugier quand on est perdu dans la forêt. "C'est une belle planque", dit-elle.
On retrouve aussi dans les occupations des premiers jours le goût de la robinsonnade : être seul et reconstruire un monde à sa mesure, explorer les alentours, pêcher, chasser, couper du bois, monter un mur, cultiver.
Mais cette femme, la narratrice, en évoquant d'emblée son "tonneau" (l'abri est cylindrique), tel Diogène, se place aussi du côté des philosophes. Elle écrit, remplissant des cahiers où elle consigne les tâches quotidiennes nécessaires à sa survie, le récit de ses courses en montagne.
Et tout le récit très concret de ses journées se double d'un questionnement existentiel, d'une réflexion sur cette mise à l'épreuve volontaire, cette solitude choisie. le corps et les liens qu'il entretient avec l'esprit sont au coeur du roman.
Mais très tôt dans le récit, elle qui s'est préparée à tout, qui s'est "entraînée" va se retrouver face à l'inattendu : elle n'est pas seule, quelqu'un l'a précédée dans ces paysages sauvages qui semblaient n'être habités que par des marmottes, des isards et des oiseaux.
Le passé de la narratrice restera dans l'ombre, et toutes les clés de cette histoire à la fois très physique et cérébrale ne nous seront pas données. A la fin de ce roman intrigant et singulier, nous chercherons des réponses à nos questions.

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Le grand jeu : Tout un programme et ça rigole pas avec Céline Minard !
Quand faut y aller , c'est sans demi-mesure pour son héroine des temps modernes qui ne cherche pas l'amour du chevalier-servant mais seulement la rencontre avec elle-même , loin de ses pairs (qu'elle ne semble pas tenir en haute estime ) , volontairement donc .
Par nécessité semble-t-il pour survivre , une femme part vivre en haute montagne , dans ses contrées hostiles à l'homme , à moins d'être solidement équipée d'un matériel technique high tech des plus performants . Un choix insolite , un grand luxe car probablement coûteux mais un luxe vécu sans filet : tel est le but du jeu , le grand jeu ?
C'est avec autant de précision , minutie , calculs , prévision que d'intuition que son camp de base voit le jour . Rien n'est laissé au hasard , la femme connait son affaire et n'admet pas la faille souvent fatale dans de telles conditions : le mental de grimpeuse comme précieux atout en mode survie , et une quête existentielle bien arrimée dans son bagage intellectuel .
Mais est-ce suffisant pour entendre les réponses ? L'écho de la montagne ne donne pas la réponse. Hors de toute représentation sociale, il faut malgré tout trouver des points de repères , des ancrages et sans la présence de l'autre , c'est une multitude forme de vie qui sait se faire entendre ,perçue comme menace , danger (dans une perception presque animiste ) :
Le surplomb est une menace, il se tient au dessus de moi et sa taille , son poids ,, sa présence s'imposent et compressent l'espace .Mon oreille interne perçoit un surplomb avant que je ne voie .La menace est un état de fait , un état de masse .un état de gravité de la roche entre la chute et l'accroche , une chute en réalité , une chute imminente , dont le déclenchement va se produire, de façon incertaine , dans un temps proche , imprévisible .Une chute en train de se produire sur une échelle du temps que nous ne pouvons pas percevoir du fait de notre vitesse propre
.
Mais aussi comme l'amie :
L"eau n'est pas montée au dessus de la tige de ma chaussure quand j'ai traversé et je lui en ai été reconnaissante "Et après que j'ai eu à nouveau traversé le pierrier , le retour fut un rêve .La cascade était apprivoisée ."
Et puis la femme n'a rien d'une évaporée partie à l'aventure en mode "Robinsonnade , on va bien se poiler" : une solide connaissance du terrain non seulement par la pratique des sports de montagne mais aussi géologique lui permet de lire le paysage , se l'approprier en dehors d'une approche espace temps primaire : grâce à tout ce bagage , et une force mentale qui n'est pas sans rappeler quelques approches méditatives orientalistes, son adaptation se fait en relative souplesse , ce qui lui permet de faire surgir en elle "Lhomme paléocéne " ( faite comme moi , chercher sur google ) et de trouver la voie pour sortir , et de dire :
"J'étais toujours dans la concentration .Je sentais les fibres , le goût de chaque aliment était une matière , le goût . L'eau qu'ils contenaient , une source .Ce que j'avalais l'énergie .La pelouse autour de moi , tous les brins , un par un , la puissance .Les nuages sur ma tête , la sauterelle sur ma jambe , dans ma main : la puissance "
Là on atteint un degré de prise au réel multidimensionnel assez exceptionnel et on se dit "respect" :
"S'il y a une esthétique dans ce volume , c'est celle de la survie .S'il ya une décision , c'est la mienne , celle de vouloir m'installer dans des conditions difficiles .En grande autonomie" .
Du reste , malgré cette cette grande maitrise("surmaitrise" ? ) , le ravissement sait surgir , avec forte contention quand même , Céline Minard n'est pas de cette trempe d'écrivain qui laisse discourir dans les herbes folles pour parer son récit de toutes les fleurs d'apparats qui cachent souvent un grand vide (comme je suis en train de faire ??? ) :
"De l'autre côté , tout était ouvert , étalé , érodé , doux .Le soleil glissait partout .Les montagnes étaient emballées de laine tendre , d'un vert rabatuu que le rose rallumait . Les sommets étaient ronds , la lenteur de leur courbe m'apaisait "
.Tout irait pour le mieux dans le meilleur de monde donc , avec la bonne grossefatigue et ce qu'on suppose d'endorphines pour que les questionnements ontologiques prennent leur juste place sans douleur , ni attente et de là à penser
"Je ne comprends pas ce qui m'arrive comme un acte de naiveté .Je comprends "s"en contenter" comme un acte de sagesse .
Ou bien
"La description , sans jugement , sans inclination , est peut être la seule discipline nécessaire .Aquoi ? A l'accueil du monde .Et comme ne saurait-il pas vivre celui qui accueille le monde ? .
Bon mais si le grand jeu finalement n'était pas celui prévu par l'autarcie mais que la grande menace revienne en puissance décuplée par l'hostilité des lieux à travers ce personnage aussi improbable qu'omniprésent qui provoque un brusque changement stylistique :
" Qu'est ce que ce fait ce putain de moine dans mon territoir ? Envahissement , occupation , traversée , trouble ? "
Car
"Dès que je vois un humain , j'ai l'idée d'une relation entre lui et moi"
A fortiori dans cet univers aux frontières minérales . Et de ce chemin initiatique , menant à l'autre , dans une forme d'altérité incongrue , désocialisée , Céline Minard nous entraine dans une reconnaissance de l'autre au delà du vernis , ce "si fragile vernis d'humanité " que je redoute tant depuis ma dernière lecture de Michel Terestchenko : aux frontières du fantastique , dans les plis de la roche , à travers l'oreille interne , dans une reconnaissance primitive , sans limite , dans l'acceptation du grand jeu , le seul , l'unique , celui qui m'unit à l'autre .Entaché, cependant, ce dernier parcours par un abus de substance euphorisante comme alcool ou autres drogues qui décrédibilisent quelque peu .A ces altitudes , on pourrait penser que l'ivresse des montagnes devraient suffire pour basculer dans une fantasmagorie décoiffante , comme en témoigne les dernières pages .
Néanmoins, un ouvrage insolite , hautement recommandable pour les amateurs d'écritures sèches et perforantes , pour les amateurs de sensations fortes et aux cérébralités en quête d'"accroches pitonesques"pas toujours très fiables (c'est ce qui en fait la saveur ! ) .
On en ressort bourré ( non pas que d'alcool ) de questionnements réveillés , un peu confus , peut-être légèrement agacé par un intellectualisme un peu forcé . Sans réponses mais aussi nourris par un voyage presque expérimental en bordure des limites habituelles , dans une sorte de délicieux vertige suscitant le soubresaut nécessaire pour inviter le lecteur vers d'autres ailleurs .
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