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sur 325 notes
Peut-on " vivre hors jeu" ?
C'est-à-dire retirée du monde, isolée ici en pleine montagne dans un refuge accroché à une paroi, conçu pour cette quête singulière par une femme. L'hypothèse de l'isolement reste relativement classique et a déjà été posée par d'autres auteurs, le déroulement de l'expérience et la forme du texte le sont nettement moins. C'est ce qui m'a plu dans ce journal intime de survie.

Confrontée à la faim, la fatigue, l'isolement prolongé et d'une façon plus large aux conditions parfois brutales qu'impose la montagne, une femme très entraînée, dont le lecteur ignore à peu près tout - ce qui facilite sans doute l'identification - tente de survivre tout en livrant ses questionnements existentiels au fur et à mesure de ses péripéties.

La première partie, très introspective, centrée sur son installation et sa nécessaire adaptation devrait plaire aux amateurs de montagne familiers des efforts, de l'humilité requis par le milieu montagnard mais aussi de sa beauté fascinante. Une étonnante impression de retrouver des sensations de randonnée en montagne, une justesse de narration, m'ont permis de savourer toutes les questions qui émaillent le récit, comme une façon d'aller plus loin que le bout du chemin...vous savez, ce besoin de savoir inlassablement ce qu'il y a après le prochain virage.
Interessante expérience de lecture !

La seconde partie, plus insolite et plus animée, ménage un suspense qui évite au roman de n'être qu'un récit de montagnard-philosophe en élargissant le postulât de départ : la narratrice découvre dépitée un autre être humain aux alentours de son refuge.
Solitude écornée et confrontation instructive !

Le style, précis et direct, sans fioritures ni effets de style, colle bien je trouve au caractère austère d'une telle expérience de survie en milieu hostile. En revanche, beaucoup de questions et fort peu de réponses déconcertent à la longue et j'aurais apprécié par moments que l'auteur aille un peu plus loin dans sa quête existentielle.
Je sors donc de ce roman à la fois emballée et légèrement frustrée, mais globalement conquise par l'écriture et le propos de Céline Minard que je découvre avec La Grande Expérience...pardon le Grand Jeu.
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"Un bain de lune" dans une baignoire, en pleine nature, à 1600 mètres d'altitude. Une soirée à la belle étoile sur "une vire de vingt mètres carrés accrochée à désert vertical". Une petite séance de slackline sur une sangle tendue entre deux pitons rocheux, face au coucher du soleil. Trois moments de vie intense qui marquent le quotidien de la narratrice dans : le grand jeu de Céline Minard.
Décidée à abandonner pour quelque temps le monde civilisé, elle a acquis deux cents hectares de roches, bois et prés au coeur d'un massif montagneux, sur lesquels elle va accrocher au dessus du vide ce qu'elle appelle "son tube de vie" ou "son tonneau". Et pour cause ! Dans ses bagages, un questionnement existentiel qui la poursuit et qui balaie tout le roman : quel est le fondement de toute relation humaine ? Qu'est-ce qui se joue lorsque nous allons à la rencontre de l'autre ? S'en suivent, des questionnements posés en rafales et qui versent parfois dans l'hyper intellectualisme.
Mais heureusement notre héroïne n'est pas une philosophe désincarnée , c'est aussi une montagnarde aguerrie. Et passionnants sont les passages où elle décrit avec brio le nouveau rapport qu'elle va instaurer avec un environnement totalement "déshumanisé". Retour à des techniques primitives de survie : chasse et pêche. Longues marches à la fois exploratoires et initiatiques. Ses repères au monde basculent et tous ses sens se mettent en éveil pour la mettre en phase avec le monde animal, végétal ou animal. Son corps lui-même devient un moyen de connaissance comme elle le dit si bien : "j'ai senti le fil de mon chemin passer dans mon ventre et se tendre au-delà de mon point de mire jusqu'au sommet que je ne voyais pas".
Mais la rencontre avec l'Autre à laquelle elle voulait momentanément se soustraire va pourtant avoir lieu sous la forme la plus inattendue qui soit : "une boule noire est tombée à mes pieds". C'est ainsi que se présente, celle qu'elle nommera par la suite, dans ses moments de colère "le tas de laine". Une sorte d'ermite, un compromis entre une vieille bergère oubliée dans une cabane, par certains côtés et une yogini pour d'autres. Va s'en suivre entre la narratrice et ce personnage détonnant une vraie querelle de territoire, avec des passages jubilatoires où le comique se marie avec le réalisme le plus cru... Rituels d'intimidation, d'agression ou de bienvenue vont se succéder et ont constitué pour mon plus grand plaisir une sorte de contrepoint parodique des questionnements métaphysiques qui jalonnent le début du roman. La narratrice fait preuve dans ces passages d'un humour décapant avec un sens de la formule qui fait mouche.
L'écriture est d'ailleurs un des points forts du roman. Polyphonique, elle s'adapte à chaque tempo. Précise, méticuleuse lorsqu'il s'agit de décrire au plus près un environnement ou autre, elle devient ample, fougueuse voire houleuse dans les envolées lyriques ou émotionnelles.
Bref, ce court roman a été pour moi un vrai bonheur de lecture.
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Il y a de cela quelques années, il existait une petite librairie indépendante pas très loin de la rue de Siam, à Brest, qui s'appelait le Grand Jeu, tenue par une certaine Isabelle. La librairie a fermé en septembre deux mille. J'aimais cette librairie, j'y entrais parfois sans idées précises, le hasard faisait toujours bien les choses et Isabelle savait toujours proposer un auteur, un livre, un rendez-vous, un chemin nouveau hors des sentiers battus ; dire qu'elle a forgé ma conscience de lecteur serait peut-être prétentieux, mais cet endroit m'a donné le goût des livres et c'est déjà immense...
Ceux qui ont fréquenté cette librairie se souviennent d'une très belle aventure.
Je crois savoir que depuis, Isabelle a repris avec d'autres personnes une librairie du côté de la rue Mouffetard à Paris...
Pourquoi cette librairie s'appelait le Grand Jeu ? Je ne sais pas, peut-être une allusion à cette revue littéraire des années vingt, expérimentale, hors des sentiers battus elle aussi...
Mais je m'égare sans doute ou peut-être pas, revenons à ce livre de Céline Minard, qui s'appelle justement le Grand Jeu et qui m'a fait connaître cette auteure.
Peut-être suis-je venu inconsciemment vers ce livre comme une manière de revenir sur mes pas lorsque j'étais un jeune lecteur... Peut-être n'y a t-il jamais de hasard dans nos vies, dans nos gestes ? Simplement des rencontres, des rendez-vous...
Mais alors, pourquoi ce roman atypique s'intitule-t-il ainsi ? Peut-être pour les mêmes raisons qui avaient conduit Isabelle à baptiser ainsi sa librairie...?
Ce roman devrait donner envie aux amateurs de montagnes d'y venir, il les fascinera sans nulle doute. Les déconcertera aussi, j'en suis sûr.
J'adore les randonnées en montagne, sans forcément être un adepte des grandes hauteurs. Marcher longtemps, de préférence en solitaire, est déjà pour moi une forme de voyage intérieur. Côtoyant l'océan quasiment tous les jours, la montagne me fascine d'une tout autre manière. Marcher en montagne accentue, je ne sais par quel magie, cette sensation, cette grâce.
Ici c'est le récit d'une femme qui décide de quitter provisoirement son quotidien, le bruit du monde, prendre de la hauteur au sens propre comme au sens figuré, coller au plus près de la nature...
Un bivouac à même la paroi de la montagne, dans un endroit escarpé inaccessible à pied, une paroi rocheuse de haute montagne, à trois mille quatre cents mètres d'altitude. C'est d'ailleurs par hélicoptère qu'on l'aide à installer son bivouac.
Un bivouac sophistiqué.
Elle doit y rester quelques jours, quelques semaines, peut-être quelques saisons, observer, noter.
Une façon de de réapprendre à vivre, renaître ailleurs.
Ou tout simplement apprendre à vivre pour la première fois.
La narratrice nous présente avec moultes détails cette préparation, une organisation high-tech qui sort le grand jeu et où rien n'est laissé au hasard ; mais ce n'est doute pas ici que réside l'intérêt du roman, même si j'ai totalement adhéré au questionnement initial de l'auteure.
Rebondir,
apprendre,
apprendre à accueillir.
C'est une quête de sens, un chemin philosophique, un texte qui nous questionne sur ce qu'est notre existence, notre relation à nous-même, nos proches, nos sensables, notre rapport avec le monde.
C'est une vie en ermite que s'invente la narratrice.
Le Grand Jeu, est-ce être hors jeu, hors du temps, hors du monde...?
Il y a ici une esthétique de l'isolement, non pas la solitude, mais la survie, le retrait provisoire, le pas de côté, la marge, être brusquement hors-jeu, se regarder ainsi, s'observer, s'étudier méticuleusement, laisser infuser....
Tout est prévu dans l'organisation de cette expérimentation comme du papier à musique... Il y a même un potager à proximité du bivouac, c'est dire...
C'est un isolement volontaire en milieu hostile.
Et brusquement, une note discordante survient, ou plutôt une note inattendue s'invite dans la partition...
Sur cette paroi, elle n'est plus seule. Quelqu'un d'autre est là tout près, montre des signes d'existence, jette ici et là des indices, des traces d'une autre vie.
Ami ? Ennemi ? Élément perturbateur dans ce rouage trop bien rodé ? Prédateur ?
Moi aussi j'ai été perturbé par ce grain de sable...
C'est la confrontation avec l'autre, l'intrus forcément au premier abord, tout autre est souvent cela...
C'est un questionnement qui se poursuit dans ce rapport à l'autre.
Une solitude minérale qui se transforme en traque animale.
Mais la narratrice n'est-elle pas d'ailleurs l'intruse pour cet autre peut-être déja là avant elle ?
Le récit va alors prendre une tout autre dimension.
Que serait Robinson sans Vendredi ?
Que serait la cabane de Sylvain Tesson au fond de la Sibérie sans le surgissement du visiteur imprévu au bord du lac Baïkal, animal ou semblable, invitant le narrateur à des lendemains qui déchantent, où la vodka continue de cogner aux tempes.
Ici c'est le rhum...
L'intérêt du récit ne réside donc pas dans cette expérience high-tech de l'isolement volontaire, mais dans le surgissement de quelqu'un d'autre qui vient modifier le comportement de la narratrice dans cette aventure verticale.
C'est l'expérience d'un isolement où l'inattendu s'invite.
Je ne sais que penser de ce roman totalement déconcertant.
C'est un livre qui m'a fasciné, étonné, rendu perplexe.
Je reste sur tant de questionnements au final.
Mais c'est peut-être là ce que voulait l'auteure, laisser la part belle au lecteur, se retirer de cette paroi abrupte, pour laisser celui-ci imaginer le vertige, agir à son tour.
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"Le grand jeu"... ou plutôt devrais-je dire "le grand JE"; tout un programme... La 4ème de couverture nous parle d'une auteure "considérée comme l'une des voix les plus singulières de la littérature française actuelle". Là-dessus, je n'irai pas dire le contraire. Niveau singularité, on est amplement servis! Mais je m'attendais clairement à autre chose... et j'ai été déçue. le résumé est tourné de telle manière qu'il en devient presque mensonger. On s'attend à une sorte de voyage initiatique qui tournerait presque au thriller! Enfin, moi, c'est comme ça que j'avais compris l'entrée en scène de "la mystérieuse ermite". Au lieu de quoi on se retrouve avec un livre extrêmement froid (on ne connaît même pas le nom de la narratrice!), bourré d'analyses cliniques et de descriptions futiles vues qu'on ne sait même pas où se situe l'action (dans les "montagnes", mais encore?) Si le but était de donner au récit une dimension universelle, pour moi c'est un plantage en beauté!

Je l'ai lu jusqu'au bout par curiosité, mais sans aucune passion ni même le moindre intérêt. 180p des préoccupations métaphysiques d'une femme anonyme sur laquelle on ne saura au final pas grand chose, si ce n'est qu'elle est un véritable couteau-suisse humain et qu'elle ne se prend pas pour la moitié d'une abrutie... A force de ne parler des autres êtres humains qu'en ces termes: "un envieux, un ingrat, un imbécile" (et on y a droit un sacré paquet de fois!), on se demande ce qu'ELLE peut bien avoir de si extraordinaire.

Alors oui, sur le plan technique Madame est très forte, et dans beaucoup de domaines (d'ailleurs la pléthore de termes d'alpinisme employés tout au long du livre nuit clairement à la lecture des pauvres profanes que nous sommes...) Sur le plan humain par contre, c'est morne plaine... Et j'ai envie de dire heureusement qu'elle s'est exilée dans la montagne car je n'aimerais pas l'avoir pour voisine... de +, ses penchants pour la bouteille et les substances illicites tendent à démontrer qu'elle n'a pas une vie si parfaitement contrôlée qu'elle voudrait bien le dire: comme tout le monde, elle cherche à s'évader de la réalité, et + souvent qu'à son tour...

Je m'attendais à suivre le cheminement psychologique (voire les réflexions philosophiques) d'une personne en quête d'épanouissement, d'accomplissement personnel. Mais en fait c'est très différent. Des interrogations, "elle" s'en pose à la pelle, mais peut-être pas les bonnes, ni de la bonne manière. Tout est sur-intellectualisé, et toujours biaisé par la (trop?) haute estime qu'elle a d'elle-même, et son mépris affiché à l'égard du reste du genre humain. Ca m'a laissé perplexe, et à la limite du mal de tête. En tous cas, si je suis maintenant beaucoup + calée en matière de noeuds, mousquetons et autres cordages, on n'a pas avancé d'un iota sur le chemin de la sagesse.

On nous parle de "journal de bord"; je l'attends toujours. Parfois, quand un livre est très différent de l'image qu'on s'en était faite, on est agréablement surpris. Là, malheureusement, c'est un flop total. C'était bien la peine de coller dessus un énorme bandeau "Rentrée littéraire 2016"! Toujours se méfier des livres et des auteurs "tendance"... Ce livre est totalement plat et linéaire, malgré la hauteur des pics qui entourent la narratrice: il n'y a pas de fil rouge, pas d'intrigue. Aucun repère temporel si ce n'est les saisons. On n' a donc pas la sensation d'avancer, de partager une tranche de vie. Mais plutôt celle d'observer une personne qui écrit pour elle-même et ne s'adresse à personne d'autre. Il n'y a pas d'enseignement à tirer de ce récit qui m'est apparu avant tout comme un "trip égotique".

Pas trace ici non plus de la moindre poésie: la narratrice étouffe dans l'oeuf tout ce qui fait la beauté de l'instant. Ainsi, observant des nappes de brume pareilles à de la crème fouettée, elle ne songe qu'à la composition atomique du brouillard... Tout est si froid et impersonnel! On lit les péripéties d'une personne dont on ne sait RIEN; comment, dans cette situation, ressentir ne serait-ce que de l'empathie? La seule "relation" qu'elle entretient, avec "l'ermite", est extrêmement déroutante, et parfois même à la limite du malsain. Peut-être n'ai-je pas su saisir le message sous-jacent, mais cela m'a laissée plutôt mal à l'aise, et dubitative: tout cela est-il réel? Ou après tout n'est-ce qu'un effet des substances que la narratrice ingère en quantité? le livre se termine sur une perturbante considération: "mais elle est complètement défoncée, ou quoi?" Je n'ai toujours pas bien compris en quoi consistait son "entraînement général", et rien dans ce livre ne m'a donné envie d'en savoir +...
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Tout retranchement est-il une fuite plus ou moins assumée du risque que comporte toute relation humaine? Toute relation humaine ne peut –elle reposer que sur une promesse compromettante ou une menace intimidante ?

L'enjeu est-il de rester hors jeu ou de se mettre tout entière en jeu ?

Ce sont les questions, lancinantes, retournées dans tous les sens comme des gants mouillés ou des vêtements qui grattent, par la narratrice du Grand jeu, retranchée dans sa montagne et son abri high tech, équipée de tous les outils qu'il faut pour pourvoir à sa survie en milieu extrême – la haute montagne alpine- et nantie de l'équipement le plus sophistiqué d'escalade pour lui permettre de défier l'ennui.

Le face à face avec le milieu, le climat, les saisons, la faune et la flore occupent une première partie du livre : on robinsonne allègrement dans une sorte d'enfance retrouvée ou de paradis perdu, avant l'arrivée de l'homme – ou de la femme.

Mais déjà des questions existentielles hantent cet espace concret, elles viennent régulièrement rompre, pour la narratrice, la prise en main de son « domaine », mettent parfois en doute sa méthode (cartésienne), ou à l'épreuve son désir d'ataraxie…ah ce terrible divertissement (pascalien) qui vous tire insidieusement hors de toute contemplation des deux infinis ..et ce doute qu'il faut endormir à coup de rhum, cette subjectivité de la peur qui se réveille , comme, chez Montaigne, le vertige du sage suspendu entre les tours de Notre-Dame…

Non, je ne vous joue pas les pages roses de la philosophie scolaire : Céline Minard est philosophe de formation et son Grand Jeu est une sorte de pari pascalien, non sur l'existence de Dieu, mais sur la nécessité de la relation humaine.

Car tout est là : Robinson, le refuge, le potager, la baignoire improvisée, les terrasses conquises sur la paroi, plus près du ciel , tout cela cache, un temps, la raison profonde de cet érémitisme forcené : fuir les autres, fuir l'autre.

En effet, mieux vaut endurer la grêle, la foudre, la brûlure du vent ou du soleil, l'humidité sournoise des brumes ou la lessive radicale des pluies que risquer de croiser un idiot, un imbécile, un fou, un prédateur. Et d'y perdre son intégrité, son identité.

C'est pourtant l'autre, une autre, - un peu folle, un peu nonne, un peu bonze, un peu chamane, un peu stylite, un peu funambule- , que notre narratrice va rencontrer, après l'avoir épiée, pistée, approchée, comme à la chasse. Et qu'elle « rencontre » finalement comme un animal en rencontre un autre- incroyable scène, farouche et forte.

Une autre qui va l'entraîner dans un Grand Jeu, audacieux, vertigineux. Vital ou mortel. Mais sans l'enjeu d'une promesse, sans la contrainte d'une menace.

Un Jeu gratuit, librement consenti, excitant et féroce comme la vie.

J'ai lu d'une traite le livre encore une fois extrêmement original et très bien écrit de Céline Minard. Il m'a laissée à la fois fascinée et perplexe.

Dans Faillir être flingué, on assistait à la lente émergence d'une vie sociale, à partir d'un chaos, d'un imbroglio de personnages, d'un fouillis d'existences individuelles – on assistait à la naissance d'une ville du wild, wild west- , et on s'arrêtait au bord du cliché- le western.

Dans le Grand Jeu, c'est l'inverse.

On part d'un cliché : la régression infantile de la « cabane" isolée, du refuge perdu - le retour volontaire à la vie « sauvage » mais avec tous les atouts de la technologie et de la civilisation- et on aboutit à une relation primitive, originelle, presque mutique, animale, qui met tout en danger, au bord du vide et du chaos, mais qui donnera peut-être LA réponse aux questions…

En revanche, cette méthode qui mène du très ordonné, très maniaque, très obsessionnel au border line absolu –rhum, shit, voltige et lâcher-prise – si elle fascine davantage, met la narratrice, comme le lecteur, en porte-à-faux.

Il faudrait plus en dire, ou en dire moins- les questions m'ont souvent paru une redite, voire même un « truc »… la pensée n'y progresse guère, et notre compréhension non plus.

Petit défaut de construction ? Ou travail de sape volontaire ?

Reste une écriture incroyablement maîtrisée- parfois un peu trop technique pour qui n'est pas un familier de l'alpinisme de haut niveau - une langue belle et captivante, même si elle nous lâche cruellement dans le vide final, après nous avoir séduits.

Ecriture-promesse et rupture-menace…en parfaite osmose avec le sujet !
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J'ai joué et j'ai perdu. Jusqu'ici, aucun roman de Céline Minard ne m'avait tentée malgré les louanges et les prix. Mais ce thème, une femme qui décide de s'isoler et de vivre en autarcie loin du monde et de ses paillettes a suffisamment éveillé ma curiosité pour que je franchisse le pas. Non, pour être honnête, c'est l'entretien avec l'auteure relaté sur trois pages dans Télérama qui m'a définitivement convaincue.

Sauf que... Sauf que je me suis faite une idée fausse de ce livre. Je l'ai imaginé bien autrement qu'il n'est en réalité. Je ne m'attendais pas à cette approche si intellectuelle. Je ne m'attendais pas non plus à ces longs descriptifs liés à l'alpinisme... Alors en refermant le livre, je suis restée perplexe. Consciente de l'intelligence du propos, mais totalement hermétique à ce que je venais de lire. Peut-être parce que le cérébral prend le pas sur l'émotion, éloignant toute possibilité d'empathie.

C'est une sorte de misanthropie qui a mené la narratrice à se retirer du monde et à tenter une expérience, un Grand Jeu comme elle le nomme. Elle a fait construire un refuge de montagne high tech, autonome en énergie et entreprend d'y vivre seule, avec quelques provisions, du matériel de montagne et de bricolage, de quoi cultiver quelques arpents de terre et produire ce dont elle a besoin.

"J'ai investi cet environnement et ces conditions qui me permettent de n'être pas dans l'obligation de croiser tous les matins un ingrat, un envieux, un imbécile."

Observation de la nature, randonnées et escalade, elle explore son territoire, tente de faire corps avec les éléments pensant n'avoir pour compagnie que quelques représentants de la faune sauvage. Jusqu'à une rencontre insolite avec une ermite, une très vieille femme qui semble directement sortie d'un livre de contes et légendes. La solitude est brisée. Peut-il encore y avoir un Jeu ?

"J'ai essayé. On ne peut pas jouer seul aux échecs. On ne peut pas s'oublier au point de se surprendre. Peut-on s'oublier au point de s'accueillir ?"

Au rythme de ses journées d'isolement et tandis qu'un lien muet finit par se tisser avec la vieille femme, la narratrice reconsidère son expérimentation à l'aune de sa relation avec les autres et avec elle-même. Et se pose la question de la liberté à laquelle elle aspirait. Se couper des autres rend-il plus libre ?

"Et si la retraite n'était pas du tout, au fond, une réponse sauvage mais une erreur de calcul, un calcul erroné ? Si se retrancher c'était s'enfermer avec un ingrat, un oublieux, un imbécile ? Si s'éloigner des humains c'était céder à l'affolement ? Refuser de prendre le risque de la promesse, de la menace."

Comme je le disais un peu plus haut, il y a des questionnements intelligents, qui interpellent car nous avons tous eu au moins une fois la tentation de fuir, disparaître, casser tous ces liens sociaux contraints. Mais ces courts passages viennent entrecouper de très longues pages qui racontent en détail (techniques) les marches et les ascensions de la dame et qui ne peuvent qu'ennuyer quiconque n'est pas féru d'alpinisme. Au final, ce sont ces courts passages que je retiens et je regrette que la démonstration de son propos ne se fasse pas de façon plus fluide, plus agréable, plus émotionnelle.

Bref, j'ai fait ma propre expérience et c'est raté, il m'a manqué le plaisir d'une intrigue, l'intérêt d'une histoire, l'évasion tout simplement.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Une femme s'isole dans un refuge high tech, épuré, accroché dans la montagne. La fatigue, la faim font partie de ce qu'elle appelle "[mon] traitement." Elle n'est pourtant pas malade : "Je ne me suis pas détachée par erreur , ni par lassitude, ni par aveuglement. Je travaille à mon détachement. Je suis en pleine santé."
Elle entend confronter son corps et son esprit aux éléments, s'entraîner tant physiquement que mentalement et répondre à cette question : comment vivre ?
Elle a tout prévu, tout organisé et s'emploie à tirer le meilleur parti de son espace, cultivant, pêchant, explorant, interrogeant ses relations aux animaux. Tout prévu, sauf la présence d'une nonne ermite. Impossible de l'ignorer. à la moitié du livre s'enclenche donc une nouvelle dynamique qui culminera dans un finale à la fois logique et extrême, le grand jeu.
Récit de la découverte progressive d'une pratique, le grand jeu est un roman qui en déroutera plus d'un mais qui m'a enthousiasmée au plus haut point. C'est encore dans un nouvel espace que nous entraîne Céline Minard. On y retrouve son goût d'un vocabulaire précis, celui lié à tous les sports d'escalade et d'équilibre, son style aiguisé.
Ponctué de nombreuses interrogations, le texte incite son lecteur à la réflexion et lui offre de vivre, par procuration ,une expérience ontologique de retraite dans une nature extrême. On en ressort transformé.
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Pas vraiment un grand jeu pour moi...me suis senti un peu perdu plusieurs fois dans ces multiples sorties en montagne en cherchant les meilleurs passages , pas ceux du livre, mais ceux de l'alpiniste qui cherche sa voie...me suis senti totalement égaré dans les réflexions trop intellectuelles et puisantes voir épuisantes de l'auteur quand elle se lance dans son grand je....bref me suis ennuyé malgré un grand talent dans l'écriture , un scénario original et un début de roman très séduisant ...à vous de voir.
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On est quelques-uns a à avoir cru, au vu de Faillir être flingué, que Céline Minard allait devenir l'une de nos principales romancières avec un style et une originalité que très peu pouvaient égaler. Là-dessus, voici qu'arrive le grand jeu, qui laisse sans voix, mais pas pour la bonne cause. Qu'est-ce donc que ce livre qui accorde aussi peu d'attention à la narration ? Certes, d'autres écrivains ont su nous passionner en ne décrivant que des impressions ou sensations sans avoir à leur disposition un récit digne de ce nom. Mais dans le grand jeu, il y autre chose qui gêne et c'est le ton. L'histoire de cette recluse volontaire à haute altitude est celle d'une fichue égoïste qui a l'air de penser que rien ne vaut le coup en dehors de ce qui tourne autour de sa petite personne. On cherche en vain un peu d'ironie de Céline Minard vis-à-vis de ce personnage imbu de lui-même et qui a décidé que la fréquentation de la société représentait bien trop d'efforts d'autant qu'elle était plutôt méprisable (la société). Sans doute commet-on l'erreur de confondre Céline Minard avec son "héroïne" mais la romancière l'a bien cherché et on ne peut décemment lui reprocher de chercher la sympathie du lecteur. Qui plus est, la majeure partie du livre est assommante, sans enjeux, avec des descriptions à n'en plus finir des difficultés rencontrées par cette aventurière du moi hypertrophié et ses bonheurs devant son potager. Ah oui, elle rencontre tout de même une étrange ermite au nom chinois avec qui elle partage des soirées bien arrosées. Et puis ? Rien du tout. Tous les chemins mènent au rhum mais ils sont bien escarpés. le grand jeu n'est pas une purge parce qu'il n'a pas le temps de l'être, il est trop court. Mais c'est tout juste.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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Exercices d'attention, d'isolement, de sobriété et d'ivresse, d'escalade, d'épuisement d'un lieu, d'autosuffisance, d'écoute, d'équilibre, de pêche à la truite, de jardinage ... et j'en passe, ce sont à ces exercices très exigeants que va s'adonner la narratrice durant quelques mois, isolée dans un chalet de forme cylindrique qu'elle s'est fait construire en pleine montagne. Il faudrait y ajouter l'exercice de style que constitue ce récit lui-même.

La vie comme un jeu donc, qui ne serait intéressant que si on le pousse aux extrémités. Donc il y a aussi l'exercice du questionnement sur la bonne méthode de jouer. Questions sans réponse. Il y a de l'obsession à gogo dans tout cela, peut-être bien de la paranoïa. La solitude n'est pas totale : un autre être traine dans les parages et peut foutre en l'air l'expérimentation. L'Autre est-il fréquentable ?

Comme pour "Exercice de style" de Queneau ou "La vie mode d'emploi" de Perec, il y a un côté hypnotisant dans le récit de Céline Minard et ici, comme chez son aîné, fan de mots-croisés et de défis littéraires ("La disparition"...), il y a une totale maîtrise de la langue qui sert le projet littéraire et philosophique. D'où vient que j'ai trouvé cette fois l'exercice un peu vain ?
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