J’ai marché, avec d’autres psychiatres, dans cette mystification qui consistait à donner à l’interdît de la drogue un statut fondamental, comparable à celui de l’inceste ou du meurtre. Nous pensions que tort que la survie de la civilisation occidentale en dépendait, que c’était là le prix à payer pour la défendre, et nous en étions venus à croire confusément que les interdits symboliques préexistants ne suffisaient plus à humaniser les générations montantes. Tout se passait également comme si les parents étaient devenus incapables de transmettre les valeurs de la civilisation à leurs enfants, puisqu’il fallait, de toute urgence, leur substituer le juge.
Toute escalade dans la répression augmentait seulement les profits énormes réalisés sur le marché de la drogue. En démembrant un réseau ou en opérant une saisie spectaculaire, on ne limitait jamais sérieusement l’offre de stupéfiants, on ne faisait que favoriser momentanément un groupe criminel par rapport à ses concurrents (…) Le seul moyen de venir à bout des mafias était de couper leurs profits à la source en supprimant la prohibition des drogues.
La drogue, objet totalitaire et tyrannique, occupait tout l’univers intérieur de ses adeptes et réduisait à néant toute chance d’investissement dans une relation avec autrui.
En clair, cela signifiait que la drogue constituait un écran infranchissable entre le toxicomane et le thérapeute.
La toxicomanie, nous étions tous d’accord sur ce point, n’était qu’un symptôme. Pour la guérir, il fallait débusquer la blessure fondamentale qui l’avait causée.
Mais cette blessure était inaccessible tant que perdurait la consommation de drogue puisque, par cette consommation, le toxicomane là masquait quand le travail analytique aurait impliqué qu’il la dise. Pour que l action thérapeutique de la parole se déploie, il fallait donc éliminer la drogue du jeu.
La guerre à la drogue n’a pas exclu les trafiquants, mais les consommateurs de drogues, dont la plupart vivent aujourd’hui dans le dernier cercle de l’enfer urbain.