"La beauté sauvera le monde" dit le Prince de
Dostoïevski ; cette phrase a résonné en moi pendant ma lecture.
Car le Narrateur est plongé depuis l'enfance dans une quête de la beauté, de la Beauté même comme concept abstrait plutôt que concrète et réelle. Il fixe donc son regard sur des petites choses, attiré notamment par des couleurs, pour y trouver l'essence même de ce qu'il cherche : des feuilles argentées sous la lune, le blanc d'un sein, le rouge des lèvres, le bleu d'un kimono, le jaune du duvet d'un oiseau, et par la perfection architecturale du Pavillon d'or...
Oui, le personnage principal cherche la beauté dans un tout qui unit à la fois le paysage et les corps féminins réifiés. J'ai d'ailleurs trouvé certaines scènes assez dérangeantes, toutes celles en réalité où une femme ou une jeune fille est présente, une sensation de malaise se dégage : le Narrateur est un voyeur pervers, qui observe et jouit de loin du corps des femmes.
Et progressivement, le Narrateur s'aperçoit que cette quête de la beauté absolue est vouée à l'échec. A nouveau, mêlant femmes et nature, il s'aperçoit que la corruption et la pourriture s'immiscent partout, en lien avec la modernité économique et la défaite militaire - dans de brèves et rares allusions au contexte historique, que j'aurais aimé plus approfondies : la plage est sombre sous la pluie, les kimonos n'ont pas d'éclat à cause des restrictions, les usines crachent des suies et des fumées noires, les occupants américains avilissent les geishas... La quête de la beauté devient donc une quête de la laideur, qui se transforme en pulsion de vie. La tonalité devient alors pessimiste, morbide même, notamment avec Kashiwagi, figure de mauvais génie, de mauvaise conscience, du Narrateur, qui l'initie à voir le mal partout.
Or, je n'ai pas apprécié ce Narrateur, je n'ai pas pu ressentir d'empathie pour lui, éprouvant un certain malaise à nouveau face à cette accumulation de bassesse, de crudité - voire de cruauté - et à cette volonté d'humiliation du Narrateur qui insiste sans cesse sur sa laideur, sa pauvreté, son bégaiement, qui humilie sa pauvre mère car s'estimant humilié par sa pauvreté, qui maudit sa misère... tout en faisant preuve d'un immense orgueil puisque considérant que le monde entier devrait lui prêter attention, voire tourner autour de lui. Et qui, voyant que ce n'est pas le cas, s'enfonce encore plus dans sa misanthropie et son goût pour la laideur. Pour reprendre des mots chers à
Victor Hugo, aucun sublime n'est opposé à cette monstruosité et à ce gouffre.
Je citais
Dostoïevski pour commencer car, tout au long de la lecture, je me disais que, même si je ne connais pas la société et la culture russes, j'apprécie beaucoup
Dostoïevski. Or, ne connaissant pas non plus la société et la culture nippones, je n'ai pas réussi à être sensible à cette écriture. Je n'ai pas lu des évocations de la beauté, mais des descriptions forcées d'un auteur qui, pour moi, voulait donner l'impression d'écrire de la prose poétique en parlant des nuages changeant, des reflets dans l'eau ou des découpes des feuilles.
Une lecture qui m'a déçue tant j'avais lu du bien de cet ouvrage, et qui me laisse un goût amer, un goût de cendres.