Millet dont tout à l'heure nous évoquions le souvenir, disait à propos des fillettes de M. Jules Breton: « Breton peint toujours, dans le village, des fillettes qui n’y restent pas. » Il y a un semblant de vérité dans cette appréciation du maître de Barbizon. Cependant on pourrait objecter que toutes les campagnardes ne sont pas des brutes et des monstres comme ceux qu’il nous a montrés. Une sève généreuse coule dans les veines des paysannes; le grand air, s’il haie les chairs, fouette le sang et donne aux carnations un éclat que ne connaissent pas les ouvrières chlorotiques des villes. Le corset ne déprime pas leur taille; les bottines ne meurtrissent pas leurs pieds, qui peuvent être grands, mais qui ne sont pas déformés. C’est pourquoi l’armée de la galanterie se recrute en province. M. Jules Breton a peint les femmes qu’il voyait agir devant lui, sans se soucier du lendemain que le vice leur réservait.
Maître n’est rien ; grandir, se développer, pousser au but quand même, y arriver, c’est tout. Telle est, résumée en peu de mots, la courte existence parcourue par M. Albert Maignan. Aujourd'hui le peintre a trente- sept ans; il entre dans le succès parce qu’il s’y est longuement préparé. Il devait être notaire comme son père; il fit même son droit très sérieusement, mais l’Art, dont les séductions pénètrent même au plus profond des études, le séduisit à l’heure heureuse des illusions; et les fiançailles éternelles de la vingtième année devinrent bel et bien un mariage indissoluble.
Il est incontestable que la haute personnalité de M. Puvis de Chavannes apparaît lumineuse dans chacune des œuvres qu’il a soumises à l’attention du public. C’est un artiste dans la plus pure acception du mot; c’est-à-dire un homme poursuivant un idéal, l’atteignant et arrivant à le faire accepter par la foule. Aucun tempérament ne s’est imposé avec plus de volonté que ne l’a fait M. Puvis de Chavannes. Tout d’abord il a été dédaigné, puis ensuite incompris. On lui reprochait le choix de ses sujets, la façon sommaire dont il les présentait, l’espèce de dédain qu’il montrait pour la coloration. L’éducation artistique de la masse n’était pas suffisamment développée pour qu’elle pût lire, à première vue, les admirables thèmes éclos dans l’imagination du peintre.
M. Tony Robert-Fleury est une exception à cet aphorisme. Il n’a pas souffert, matériellement; il est entré dans la voie de l’art soutenu par la gloire de son père, mais il a créé des œuvres qui ne doivent rien à l’influence de ce dernier, qui se distinguent de toutes celles produites autour de lui. Tout d’abord, il devait être médecin; il s’y était préparé. Cependant, il hésitait, pesant le pour et le contre, comparant la Science à l’Art, attiré par l’une et par l’autre, pris entre deux vocations. L’art l’emporta, et dès lors le jeune homme connut les hésitations, les doutes, les désespoirs.
Luminais a parcouru la gamme des sujets qu’offre l’art de la peinture, mais instinctivement il est revenu à son point de départ, c’est-à-dire de naissance : la Bretagne pour raconter en des pages héroïques tous les grands exploits de ses pères — nos aïeux.