L'art, dans son acception multiple, est un éternel recommencement avec des formules nouvelles, une interprétation différente, un verbe particulier. Littérature, musique, peinture, statuaire s’inspirent aux mêmes sources ; mais il se trouve que, par le développement des systèmes, l’évolution des idées, ces sources sont détournées de leur point de départ, élargies ou rétrécies suivant le courant d’opinions qui règne, l’esprit de progrès qui flotte au-dessus de toute chose. Aussi, nous avons des écrivains, des compositeurs, des peintres, des sculpteurs qui se recommandent de leurs prédécesseurs et tentent, à des siècles ou à des années de distance, de les faire revivre.
M. Gérôme est, avant tout, un sincère qui se sacrifie volontiers à son art. Il est méticuleux â l’excès, question de tempérament. Il est souvent trop parfait, question de conscience. Chez lui, tout est harmonieux et pondéré; il ne prise pas les fureurs désordonnées, mais il aime la tempête qui couve sous un masque de glace ; ce sont les fureurs les plus cruelles, parce qu’elles ne s’épanchent pas au dehors. Il n’apprécie pas ce beau désordre qui est un effet de l’art, et le corrige toutes les fois qu’il se montre. Mais, dans cet esprit d’élite, on sent une force latente, on découvre quelque chose de robuste et de hautain qui attire et qui retient. On est parfois tenté de lui résister, on lui résiste souvent, mais on y revient avec des regrets qui sont comme les « repentirs » dont les les peintres modifient leurs contours. Certes, ici, on peut tout dire : M. Gérôme a notre admiration et notre respect.
M. Lobrichon entra chez Picot, où il apprit les rudiments de la peinture. M. Lobrichon, Picot, tout un monde dans le rapprochement de ces deux noms! A ce moment, la misère hurlait au seuil du néophyte. Le futur artiste tint bon, et pour un instant, demanda à l’industrie le pain que lui refusait la carrière qu’il avait embrassée. Il fut photographe, il dessina des pieds et des mains pour un peintre dont les connaissances du corps humain étaient incomplètes. Cependant, il comblait les lacunes d’une instruction par trop rudimentaire, dessinait sans relâche, et ébauchait des toiles d’un romantisme outré.
M. Chaplin, en plein siècle de progrès, sous le règne de l’électricité et de la téléphonie, conserve les grâces d’autrefois, les illusions d’antan. Pour lui, la Femme est plus qu’une femme, c’est la distinction, l’élégance, l’idéalisme des déesses. Il ne se la figure pas marchant dans les bottines de Ferry ; il la rêve chaussant des mules de satin serties de duvet de cygne. Toujours elle descend du château de Versailles par l’escalier de marbre rose. Elle s’échappe d’un bosquet de Trianon ; elle se dérobe derrière un paravent de Coromandel niellé d’exquises arabesques, elle surgit par la porte d’ivoire des rêves dans un costume qui est le plus provocant des déshabillés; elle a des sourires dans le regard et des aveux sur les lèvres. Elle trouble et elle excite. A coup sûr elle captive tous les cœurs.
Enfance pénible dans un petit village de la Somme, le Roussoy, près Péronne; misères supportées en commun avec tous les siens; peu ou point d’instruction; ayant des aptitudes natives pour le dessin, et en cela assez semblable au Giotto enfant; entré chez un professeur de dessin, M. Patrouillard, de Saint-Quentin, ensuite chez M. Lemasle, directeur de l’école Latour. Puis des années de travail, de luttes : l’existence de la plupart des peintres modernes. Tous y ont passé. Meissonier peint des enseignes, Diaz des assiettes , Jules Dupré des tableaux-horloges, Robert-Eleury père, le do^^en , des armoiries sur des panneaux de voiture. Corot vend du drap. Est-ce que Prud’hon n’a pas dessiné des en-têtes de facture! Tous ont souffert et tous ont résisté. Ceux qui ont déserté étaient de faux artistes.