[...] Il m'arrivait de penser à ce que les mères sont prêtes à faire pour sauver leurs enfants comme s'élancer dans un bâtiment en feu. Et je me disais que donner la vie à mes enfants méritait bien que je souffre encore un peu. J'avais le sentiment que ça faisait de moi un être magnanime. Mais aujourd'hui, je me rends compte que je ne suis qu'une folle à lire qui court dans un immeuble en feu pour sauver des enfants qui n'existent pas. Mes enfants n'ont jamais eu l'intention de naître. Ils étaient dans ma tête. Et c'est bien ça le plus humiliant. Chaque fois que j'ai pleuré un bébé fantôme, c'était comme pleurer un homme qui n'avait même pas daigné me regarder. Mes bébés n'étaient pas des bébés. Rien que des amas microscopiques de cellules, des poupons inachevés qui allaient le rester à jamais. Mes espoirs désespérés. Des bébés chimériques.[...]
– Hourra ! Je suis tellement contente que tu aies perdu la mémoire ! C’est du pain bénit, cet accident !
– Oui, mais il reste quand même un léger problème, n’est-ce pas ? objecta Elisabeth.
– Lequel ?
– Nick, lui, n’a pas perdu la mémoire. »
Ces messieurs ont ri à s’en tenir les côtes. Mais laissez-moi vous dire que ce n’est pas drôle du tout, chers internautes ! C’est sexiste. Dégoûtant. Quand je pense que ça a même amusé certaines femmes. Rita, par exemple. Elle a explosé de rire. Bon, elle souffre de démence sénile, mais quand même.
À quinze ans, Nick n’était pas dans sa vie et elle aurait son content de chagrins d’amour avant qu’il pointe le bout de son nez et recolle les morceaux de son petit cœur brisé en lui disant être « fou amoureux » d’elle.
« La vie n’est que souvenir, à l’exception du moment présent qui passe si vite que l’on peut à peine le saisir. »
Tennessee WILLIAMS
Cette impression permanente d'être à deux doigts de retrouver un souvenir, c'était comme avoir un moustique qui bourdonne à votre oreille en pleine nuit et savoir qu'à la seconde où vous allumerez la lumière, il aura disparu, jusqu'à ce que vous refermiez les yeux et... bzzz.
En 2008, le temps manquait. C'était devenu une ressource limitée. En 1998,les journées étaient beaucoup plus généreuses. Quand elle se levait le matin, les heures se déroulaient devant elle tel un long couloir qu'elle pouvait descendre en toute tranquillité, profitant à loisir des meilleurs instants. Aujourd'hui, quelle radinerie! Les jours se résumaient à d'avares lamelles de temps. Ils filaient comme des bolides. Vroum ! Chaque soir, quand elle tirait les couvertures pour se glisser dans son lit, elle avait l'impression que quelques secondes à peine s'étaient écoulées depuis qu'elle avait posé le pied à terre.
L'amour naissant, c'est excitant et grisant. Léger et pétillant. Tout le monde peut aimer de cette façon. Mais l'amour, après trois enfants, une séparation, un quasi-divorce, les blessures qu'on s'inflige, les pardons qu'on s'accorde, les moments où l'on se lasse, ceux où l'on arrive à se surprendre, après avoir vécu le pire comme le meilleur, eh bien, cet amour-là est indicible. Il mérite un autre lot.
Mais toi, tu m'aimes toujours non ? Tu ne peux pas ne plus m'aimer.
Les relations évoluent. On manque de temps.