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Voilà un roman qui ne payait pas de mine à la maison de la Presse de la Clusaz, au titre gnangnan, à la couverture niaiseuse, au résumé cent fois lu, et dont le succès planétaire rabaché ne prouvait a priori en rien la qualité. Et pourtant ! Bienvenue à Melbourne, Victoria the place to be, c'est écrit sur les plaques minéralogiques des voitures. Ses quartiers à perte de vue de maisons toutes de plain-pied, la place ne manque pas sur l'île continent, leurs jardins en version grands espaces sans clôture, ses mères de famille très bénévolement investies dans les écoles privées et souvent cathos de leurs enfants, préparant des petits déjeuners avec du Vegemite, cette pâte noire au goût et à la texture de mélasse mâtinée de goudron, et de bons gâteaux à l'huile de sésame. Cecilia Fitzpatrick appartient à cette catégorie de femmes, classe moyenne, un bon et beau mari gagnant correctement sa vie, trois filles. Sa vie semble gravée dans le marbre, rangée hermétiquement dans une boîte Tupperware qui ne laisse pas s'échapper les mauvaises odeurs, et dont elle fait avec succès le commerce. S'il n'y avait pas eu un grain de sable pour dynamiter ce parfait ordonnancement familial, Liane Moriarty n'aurait même pas eu besoin d'écrire un roman, car c'est la vie de millions de gens, de couples, de familles qu'elle aborde dans les premiers chapitres, d'une plume leste et humoristique mais connue de tous. Le grain de sable se nomme Esther, c'est l'une des trois filles du couple Fitzpatrick. Elle possède la particularité de développer des lubies. Après les dinosaures, elle s'intéresse à l'histoire du mur de Berlin, de son érection à son démantèlement, et collecte obsessionnellement toutes les informations susceptibles d'enrichir ses connaissances historiques. C'est ainsi que Cecilia monte au grenier chercher un morceau du honteux mur qu'elle a acheté lors d'un voyage adolescent en Allemagne pour l'offrir à sa fillette. Ce faisant, elle découvre une lettre rédigée puis oubliée par John-Paul, son mari : “à n'ouvrir qu'après ma mort”. Ouvrir ? Ne pas ouvrir ? Là n'est pas la question (Cecilia ouvre) puisque l'on peut rapidement deviner ce que contient cette lettre pré-posthume. A tort ou à raison, j'ai trouvé que ce roman baigne dans une atmosphère religieuse. Ses sept parties correspondent aux sept jours de la semaine sainte, du lundi au dimanche de Pâques. L'école catholique des enfants occupe une place importante y compris à travers le décès d'une bonne soeur y officiant, les interventions d'un prêtre, les évocations de messes, parsèment le récit ici ou là. Et c'est bien, ce n'est que mon avis, un questionnement sur le sens de leur foi et leur morale que nous offrent à partager Cecilia, “catholique jusqu'au bout des ongles” (p. 103) et les deux autres personnages principaux et féminins du récit, Tess et Rachel, toutes les deux en recherche de réponses à des questions existentielles qui peuvent concerner Dieu puisque sans réponse humaine. Avec sensibilité, légèreté, humour, Liane Moriarty pose des questions graves sur le deuil, l'adultère, la sexualité, le pardon, l'absolution, le poids des secrets familiaux et le sens de la famille. Mais la plus essentielle de toutes est peut-être celle-ci : peut-on expier, payer, monnayer, et si oui comment, une faute commise quelques vingt ans plus tôt ? Liane Moriarty fournit une tentative de réponse ouverte dans les dernières pages de son roman, magistrales, qui permet à chaque lecteur de donner la sienne personnelle et intime, en fonction de ses convictions. Un grand roman qui n'en a pas l'air. Mais il en a les paroles... + Lire la suite |