Impossible. Impossible, dis-je, de me souvenir quand et comment ce livre a pu atterrir entre mes mains. Que faisait-il dans ma PAL ? Comment a-t-il échoué sur ma table de chevet ? Cela risque de rester un mystère entier, tant la lecture de ce roman semble avoir anesthésié et ma force, et ma volonté, et mon souvenir.
Littérature jeunesse ? Et bien moi, du haut de mes quarante balais, j'ai chialé comme une gamine, et j'hésite encore à partager cette pépite avec l'adolescent bourru qui partage mon quotidien.
Choc vécu de l'intérieur, l'utilisation de la première personne, qui m'agace si souvent, me plongeant au coeur de cette fameuse ligne de démarcation, à l'entrée d'un No man's land ravageur. J'ai tenu de mes propres mains cette baïonnette atroce dont je ne savais que faire, j'ai senti dégouliner l'eau, mêlée au sang, contre mon corps, les rats me reluquer, la vermine m'envahir, la peur mordre mes tripes. J'ai vu mes potes tomber, sombrer, j'ai entendu la mort me poursuivre et j'ai refusé la prière ultime parce qu'elle venait bien trop tard.
Sultanne a craqué, Sultanne a pleuré, Sultanne a adoré.
Tommo, c'eût été mon fils ou mon frère, un ami, un fiancé ou le fils d'un voisin plus ou moins éloigné. C'eût été moi, ou un autre, un anonyme parmi tant d'autres, un troufion posté ici ; ici ou là, d'ailleurs, qu'importe, un pion posé comme un cheveu dans une soupe. C'eût été n'importe lequel de cette génération négligée pour une guerre qu'on nomme « Grande », qui partit la fleur au bout du fusil pour une simple partie de rigolade et qui revint décimé… enfin, quand il revenait.
Michael Morpurgo signe ici une oeuvre d'une humanité époustouflante, emplie d'une rage de vivre coupée juste sous le pied, dont les mots, simples et justes, ravagent le coeur.
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