L'oeil le plus bleu ou la Genèse de l'oeuvre de
Toni Morrison, un roman qui met en scène, avec l'imaginaire de l'auteure, un événement qui a éveillé la conscience afro-américaine (et esthétique) de
Toni Morrison en tant que femme noire Américaine.
Ce n'est pas un roman simple à aborder, et le résumé vraiment très réducteur sur la quatrième de couverture n'aide pas et ne prépare pas le lecteur lambda (à mon avis) à rentrer dans le récit.
A l'inverse des autres romans de
Toni Morrison,
L'oeil le plus bleu parle presque uniquement de l'enfance, de ce qui la construit autant que de ce qui la détruit. C'est aussi un roman plus terre à terre, dont la langue bien que très poétique n'a pas la dimension d'incantation aux ancêtres qu'on trouve pourtant souvent dans son oeuvre. Ce roman décrit des évènements quotidiens de la petite Pecola qui en plus d'être née dans une famille noire pendant la ségrégation raciale est aussi née dans une famille brisée, tant physiquement que moralement (y compris sur le plan de la moralité). Ce réalisme m'a beaucoup étonnée, d'autant plus qu'il est violent- le roman s'ouvre sur le récit d'un inceste, ce sui donne le ton à l'ensemble du roman. Viol d'enfant, meurtre d'animaux, humiliations et atteintes à la dignité sont le lit de ces personnages.
Curieusement (mais on comprendra vite pourquoi), la narratrice de l'histoire n'est pas Pecola elle-même, mais Claudia, une autre petite fille du quartier. Claudia et sa soeur Frieda tentent de comprendre ce monde violent qui les entoure et de lui donner un sens avec leurs mots et leurs réflexions d'enfants- ce décalage créé d'ailleurs une violence supplémentaire. Quant à la partie consacrée aux portraits de personnages adultes, le lecteur n'est pas en reste pour constater que les dégâts sur cette communauté font date ! Contrairement à d'autres romans, on ne voit pas la résilience qui viendrait éclairer ce récit. Les mits tombent comme des couperets, et l'écho des derniers mots résonnent comme une dénonciation individuelle de chaque personnzge dans le malheur de Pecola, que ce soit par ses moqueries ou son indifférence.
Avec du recul, on peut voir les thèmes qui seront récurrents dans l'oeuvre de la romancière américaine. Une chose est sûre, les différents visages de la violence dans ce récit ne laissent pas indifférent et interpellent, donnent matière à réflexion. En cela, la lecture de la postface de l'auteure dans l'édition Vintage apportent des éléments intéressants sur le contexte de l'écriture.
En bref, un roman âpre, mais beau malgré tout qui "remonte dans le temps", comme le fantôme de Marley de Dickens qui tente de nous expliquer comment et pourquoi une petite fille noire a pu détester son image au point de vouloir des yeux bleus. Et pas seulement bleu, les plus bleus.