Bien heureusement,
Métamorphoses d'un mariage est le douzième roman que je lis de
Sandor Marai sans compter le Journal des années hongroises 1943-1948.
Bien heureusement car ce roman-là n'est sans doute pas le plus facile à approcher. La construction en est très intéressante et elle m'a souvent aidée à me relancer dans la lecture car il y a un petit côté policier, énigme, qui permet d'échapper à quelques moments d'ennuis et de lassitude ou de morosité.
Trois personnages se racontent, leur vie se sont croisées, leurs relations ont échoué, se sont terminées, et ils se racontent après ces ruptures et ces échecs. Ce n'est pas tout à fait ce que l'on appelle aujourd'hui un roman chorale, car les personnages avancent dans le temps.
Ici, surtout
Sandor Marai a voulu mettre en abime les antagonismes de classes et le concept de luttes de classes, dans la société hongroise qu'il a bien connue, celle des années trente, mais aussi il a voulu évoquer cette lutte des classes telle que l'avait conceptualisée et mise en pratique les soviétiques après leurs "coups" de 1948.
Et puis il a voulu aussi mettre en abime, sans apitoiement, sans misérabilisme, mais tout en en parlant, la pauvreté paysanne en l'opposant frontalement à la richesse, dans cette société hongroise des années 20-30.
Et, enfin il place dans cet antagonisme de classe, l'artiste, l'intellectuel, celui qui se soumet ou celui qui exprime une forme de révolte.
Alors, il tente, par la bouche ou la tête de ses trois héros, de poser la question : qu'est-ce qu'être pauvre ? qu'est-ce qu'être riche ? Quels sont les signes distinctifs ? Est-ce qu'on peut passer d'un état à l'autre (de pauvre à riche) et si oui comment ?
Et il entremêle ces questions cruciales dans le mariage et le couple.
Cela lui permet des observations ironiques, sarcastiques et de dresser des portraits de personnages désopilants, car ni Peter, ni Judit, ni Ilonka, ni Lazar,, ne ressortent grandis. Bien au contraire. Comme on dit, rien pour rattraper l'autre. Et c'est là que j'ai ressenti une infinie tristesse, car il me paraît évident que ce roman transpire une amertume, une envie de partir, de s'éloigner de ces pauvres types (hommes et femmes), futiles, désuets, inutiles, amoraux, fossilisés.
Sandor Marai voyait-il ainsi sa Hongrie avant de s'en exiler ? Mais ce roman écrit bien longtemps après, exprime-t-il aussi toute son amertume sur ce qu'est devenue la "civilisation" (il en parle à plusieurs reprises) ?
J'ai donc ressenti une très intense nostalgie de la part de l'auteur, une belle et profonde et très intéressante réflexion à la fois philosophique, politique et sociale. Il est clair que
Sandor Marai est aussi un grand humaniste comme il n'en existe plus.
Mais ce roman pêche par des longueurs, des répétitions.
Aussi, si je puis me permettre, si l'on veut découvrir l'oeuvre de cet immense écrivain, européen, humaniste, ne surtout pas commencer par ce titre.
Mais s'offrir la lecture de
Les Braises,
Les Révoltés,
l'Héritage d'Esther, etc..., entrer dans son univers, c'est un grand plaisir car son écriture est pleine, propre, définitive, ses thématiques sont toujours intéressantes et n'ont pas si vieillies (quand il explique que le problème du riche ce n'est pas d'être encore plus riche mais c'est d'avoir la totalité.) .
Sandor Marai, écrivain bourgeois, certes, mais pas politiquement correct.