AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,89

sur 173 notes
5
10 avis
4
19 avis
3
6 avis
2
0 avis
1
2 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Un beau jour, tu ne veux plus rien conserver pour toi-même, tu n'attends plus de la vie ni bien-être, ni apaisement, ni satisfaction, mais tu aspires à exister pleinement quitte à en mourir …..Alors ce jour là, tu éprouves le désir de connaître une passion dévorante. »

J'éprouve toujours la sensation de pénétrer à pas feutrés dans un roman de Sandor Marai. Lecture tout en contraste de deux confessions ; J'ai quitté Imma Monso qui est une auteure d'aujourd'hui, une battante et me voilà dans cette ambiance slave envoûtante, mélancolique, nostalgique avec en mains, ce roman exigeant, qui demande une lecture attentive.

Sandor Marai me convie, de son écriture élégante, à un plongeon dans l'âme humaine. Me voilà installée dans un salon de thé à Budapest, le café « Gerbeaud » sans aucun doute. L'auteur invite son lecteur à prendre place au milieu de son récit et à recevoir les confidences des trois intervenants : Ilonka, première épouse de Peter, Peter, et Judit, domestique chez les parents de ce dernier qui deviendra sa seconde épouse.

Sur un sujet somme toute banal, Sandor Marai nous offre l'histoire de la décomposition d'un mariage mais aussi de la décomposition d'un pays envahi, torturé, meurtri. C'est ce qui en fait aussi un témoignage de grande valeur : une étude de cette société hongroise de l'entre deux-guerres, celle d'Horthy mais aussi celle de l'après guerre sous le joug des communistes. Il parvient à embrassé plusieurs thèmes, celui de la Hongrie comme celui de l'intime, ou celui de l'écrivain désenchanté, amer, le grand ami Lazar de Peter.

Ce qui m'a le plus troublée, ce sont les confidences de Peter. A bien l'écouter, j'ai perçu dans l'écriture plutôt les méditations de l'auteur, je devenais dépositaire d'une part de son intimité. C'est amer, morose, mélancolique. Héritier lui-même de la grande bourgeoisie, je l'ai senti portant comme un fardeau les convenances de cette classe sociale pendant l'entre deux-guerres, avec ses codes, les usages en vigueur régissant les rapports aux autres classes sociales. Et en même temps, à travers les réflexions et le désenchantement de l'ami Lazar, la fin d'une certaine culture, d'un mode de vie. Peter évoque son questionnement sur le sens de la vie, sur la solitude, sur les femmes. Il décrit les sentiments humains avec subtilité, profondeur. A travers la question essentielle de Peter : peut-on se mentir à soi-même longtemps sans risque, nager à contre courant de ses propres aspirations, préserver les apparences, l'auteur ne se pose-t-il pas une question existentielle comme il pose la question de l'amour entre deux personnes issues d'un milieu différent.

Dans cette atmosphère d'une époque révolue propice aux confidences mezza voce, IIanka et Judit se sont épanchées. Elles ont parlé de leur vie sous le prisme individuelle de chacune mais j'ai reçu leur histoire avec plus de distance. IIanka, honnête, amoureuse, cultivée mais trahie et Judit, qui va intriguer auprès de Peter dès qu'elle comprend qu'elle suscite l'émoi chez celui-ci, réglant ainsi ses comptes avec une classe sociale qu'elle déteste, ce sera sa lutte des classes.

J'ai retenu la confession, le questionnement de Peter, et l'Histoire de la Hongrie qui est un déchirement pour l'auteur, j'ai ressenti sa détresse, c'est poignant et je me réjouis de ne pas avoir vécu sous de tels cieux. le récit démarre pendant l'entre deux guerres pour se prolonger jusqu'en 1979. Si j'ai bien compris, il y a deux romans en un seul, l'un paru en 1941 et l'autre qui sera terminé à San Diégo en 1979.

« Moi, je l'ai écoutée sans piper, jusqu'à l'aube. Ce qu'elle m'a raconté, on aurait dit un polar…. Elle m'a parlé de la vie chez les riches. »


Commenter  J’apprécie          7210
N'avez-vous jamais fait l'expérience d'un souvenir, par vous oublié, mais rapporté par celui ou celle qui l'a vécu avec vous ? Chacun de ceux qui nous ont connu détient une part de notre vérité. de notre histoire. Ma mémoire c'est les autres. 

Né avec le XXème siècle, à Košice (Cassovie), dans l'actuelle Slovaquie, cet immense écrivain hongrois, mort en exil en Californie, signe ici un roman psychologique subtil autour de son thème de prédilection : les chassé-croisé amoureux d'une bourgeoisie déclinante.
“Méfiez-vous de la vérité : elle commet toujours des erreurs” écrivait Romain Gary. La vérité est morcelée, comme une porcelaine brisée. Les Métamorphoses d'un mariage s'évertuent à recoller les morceaux. Certes, l'amphore ne retrouvera jamais son unité, il restera quelques fragments perdus dans la nuit de l'oubli. 


L'histoire débute avec l'ex-épouse, Ilanka, se poursuit avec l'ex-époux, Péter, et laisse enfin la parole à Judit, celle qui s'est invitée à la table de la bourgeoisie, celle qui a transgressé les lois d'airains des codes de classe et des sacrements du mariage.

De Pest à Buda, le lecteur recueille les souvenirs de ces personnages à travers les trois longs chapitres du livre. Il est le confident de l'intimité bourgeoise de ce mariage, mais davantage encore. Que ce soit autour d'une glace à la pistache dans un café de Budapest, autour d'un vin hongrois à la fermeture d'un bar ou lové dans les draps fins d'une garçonnière de Rome, le procédé littéraire, qui consiste à placer le narrateur face à un interlocuteur muet, crée tout de suite une intimité et une quasi absence d'intermédiation entre les « confessions du bourgeois » et le lecteur. Nous suivons ces vies sur plus de trente ans, de l'ambiance feutrée des salons mondains de l'entre-deux-guerre à l'occupation allemande puis bolchevik de la Hongrie. Le temps de l'écriture n'en est pas moins long puisque l'auteur débute son roman en 1949, à Pausilippe et en termine l'épilogue en 1979, à San Diego. Márai, aujourd'hui célébré dans son pays, mourra en exil, avant de voir le mur de Berlin s'effondrer, l'année de sa mort.

L'épure de la bourgeoisie s'étiole, s'érode, guerre après guerre, Péter en étant le dernier représentant, sous les yeux de l'écrivain, Lazar, chroniqueur du crépuscule. Malade de l'injustice, malade d'être un artiste sans spécialité, Péter est hanté par la solitude et le remords. Ilanka, finit à son tour par souffler sur “les braises” du souvenir de Judit, la bonne de la famille, et celle qui pensait faire une belle union ne récolte qu'un « divorce à Buda ». 

Márai Sandor se vit-il comme un passeur de flambeaux, forcé de témoigner du « monde d'hier » ? Ou est-ce la nostalgie qu'il expie tout au long des 500 pages de ce livre. Toujours est-il que l'auteur magyar surprend, il habite ses différents narrateurs de façon singulière et vraisemblable et ainsi donne à chacun des chapitres une tonalité et un caractère propre. 

« Le corps humain, tu sais, contient soixante-dix pour cent d'éléments liquides et trente pour cent d'éléments solides. de même, la vanité représente soixante-dix pour cent du caractère humain, le reste étant partagé entre le désir, la générosité, la peur de la mort et l'honnêteté.” Si le début du livre est plein d'intrigue, il arrive un moment où la subtilité des émotions, le suspense (car il y a du suspense) ne suffisent plus et il y a une sorte de répétition sourde qui se fait sentir, et parfois même un sentiment de banalité, car la langue (à tout le moins la traduction) n'est pas d'une aussi grande singularité que celle, très riche et raffinée d'un Zweig ou celle chirurgicale, précise et scientifique d'un Musil, deux autres monuments littéraires de la Mitteleuropa.

Ces répétitions, en partie imputables à la structure du livre, les différents personnages ayant vécu partiellement les mêmes évènements, sont moins digestes lorsque les considérations fleuves sur l'art, la culture, le rôle de l'écrivain, la mission du bourgeois et sa critique tournent un peu sur elles-mêmes. Au contraire, lorsque les répétitions nous permettent de voir le même évènement sous un prisme différent, avec des informations que nous ignorions ou une interprétation plus nuancée, alors Márai nous emporte dans le courant danubien d'une jouissance littéraire redoutablement efficace.

Cette chronique du sentiment d'être “passé à côté” porte le nom original de “Az igazi, Judit…és az utóhang”, et c'est sans doute cette dernière partie du titre “…et l'arrière-goût”, qui définit le mieux l'odeur douce-amère du passé, l'odeur de foin sur la peau, de cet art de vivre et d'aimer bourgeois, avec ses conquêtes et ses névroses.

Derrière la mélancolie non pas d'un âge d'or mais plutôt d'une époque pleine de promesses finalement non tenues, on devine toute l'ambivalence de l'auteur vis-à-vis de la bourgeoisie hongroise, dont il se fait tour à tour dépositaire et fossoyeur.
C'est toujours « l'arrière-goût » qu'écrit Márai dans cette incapacité à rencontrer l'autre, cette solitude à deux, cet échec du “vouloir-saisir”, comme l'eut dit Roland Barthes dans ses “Fragments d'un discours amoureux”. 

Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          5815
C'est l'après-guerre, un pont vient d'être reconstruit entre Buda et Pest, qui avaient été à nouveau séparées par les bombardements allemands. Les deux villes sont en ruines. Une foule déguenillée, sale, affamée, tout juste sortie des caves où elle fuyait les bombes, le traverse dans les deux sens. Un individu dénote parmi elle : Peter, un bourgeois impeccablement vêtu tenant sur son bras un pardessus. Il incarne la dignité d'une classe menacée, d'un monde à l'agonie. Brusquement une femme se jette à son cou. C'est Judit, son ex-femme, la deuxième, l'ancienne bonne de ses parents. Ils se voient pour la dernière fois. La Hongrie sera bientôt aux mains des Soviétiques, l'espoir d'un monde nouveau anéanti. Peter est sur le point d'émigrer aux États-Unis, il est désormais de trop dans son propre pays.

Ce roman est leur histoire, celle de Peter d'abord, marié à Ilonka, dont il aura un enfant qui malheureusement ne vivra pas, secrètement attiré par Judit, une femme du peuple, née dans la misère, qui nourrit à son égard des sentiments ambivalents. Ilonka comprend vite, malgré sa souffrance, qu'elle ne parviendra pas à conquérir le coeur de son mari et le laisse partir. le mariage avec Judit sera également un échec, partagé entre la vaine générosité de l'un et le ressentiment de l'autre. C'est l'histoire d'individus pris dans la tourmente d'une époque qui touche à sa fin, racontée par les différents protagonistes. Peter est attaché à défendre les valeurs de sa classe, son humanisme, la culture, l'éducation. Illonka s'efforce de jouer son rôle mais sent que Peter lui échappe. Pour Judit la bourgeoisie est figée dans une accumulation d'objets et de rituels, qui lui font dire que c'est très compliqué d'être riche, en opposition à une classe sociale qui lutte pour sa survie.

Mais très vite une nouvelle menace s'élève, prétendant résoudre cette fracture sociale en prenant le pouvoir au nom du peuple, l'instauration de la dictature communiste. Et finalement pour beaucoup, va s'imposer l'exil aux Etats-Unis où là aussi la démocratie et la liberté restent souvent des illusions mais qui laissent la possibilité de se faire une place au soleil.
Un très beau roman sur la décomposition d'un monde, où un personnage, l'écrivain, ami de Peter, semble le témoin silencieux de cette agonie et le double de l'auteur qui analyse ce glissement avec une grande lucidité. Malgré quelques longueurs, encore un très grand roman de Sándor Márai.
Commenter  J’apprécie          240
"Métamorphoses d'un mariage" n'est pas un roman facile, vite lu et vite oublié, il exige constance et concentration si on veut pleinement le saisir, mais vaut largement le temps qu'on lui consacrera.
Sándor Márai nous parle d'une époque, entre les années 30 et bien après la Seconde Guerre Mondiale, d'un lieu, Budapest, qui subira tour à tour le nazisme puis le communisme soviétique. Dans cette période, trois personnes seront unies puis séparées tour à tour, Ilonka, Peter et Judit. Chacun des personnages apportera son histoire, et sa vision de l'époque. Et leurs origines, de la pauvre hongroise employée comme bonne à tout à faire au riche industriel, apportera un éclairage différent sur cette époque qui verra disparaître la bourgeoisie hongroise traditionnelle et une partie de sa culture.
Tout ce récit est captivant, teinté de mélancolie. Révoltant également, quand Judit évoque son enfance dans un trou sous le sol, qu'elle partage avec des rats, pendant que les plus privilégiés entassent biens et richesses, et se considèrent comme les garants de l'équilibre de la nation. Fascinant quand on évoque Lazar, l'écrivain qui ne veut plus écrire, façon pour lui de tenter de résister aux changements inéluctables qui déferlent sur la Hongrie.
Un roman dense, désenchanté mais particulièrement prenant.

Challenge des 50 objets 2021-2022

Commenter  J’apprécie          192
Bien heureusement, Métamorphoses d'un mariage est le douzième roman que je lis de Sandor Marai sans compter le Journal des années hongroises 1943-1948.
Bien heureusement car ce roman-là n'est sans doute pas le plus facile à approcher. La construction en est très intéressante et elle m'a souvent aidée à me relancer dans la lecture car il y a un petit côté policier, énigme, qui permet d'échapper à quelques moments d'ennuis et de lassitude ou de morosité.
Trois personnages se racontent, leur vie se sont croisées, leurs relations ont échoué, se sont terminées, et ils se racontent après ces ruptures et ces échecs. Ce n'est pas tout à fait ce que l'on appelle aujourd'hui un roman chorale, car les personnages avancent dans le temps.
Ici, surtout Sandor Marai a voulu mettre en abime les antagonismes de classes et le concept de luttes de classes, dans la société hongroise qu'il a bien connue, celle des années trente, mais aussi il a voulu évoquer cette lutte des classes telle que l'avait conceptualisée et mise en pratique les soviétiques après leurs "coups" de 1948.
Et puis il a voulu aussi mettre en abime, sans apitoiement, sans misérabilisme, mais tout en en parlant, la pauvreté paysanne en l'opposant frontalement à la richesse, dans cette société hongroise des années 20-30.
Et, enfin il place dans cet antagonisme de classe, l'artiste, l'intellectuel, celui qui se soumet ou celui qui exprime une forme de révolte.
Alors, il tente, par la bouche ou la tête de ses trois héros, de poser la question : qu'est-ce qu'être pauvre ? qu'est-ce qu'être riche ? Quels sont les signes distinctifs ? Est-ce qu'on peut passer d'un état à l'autre (de pauvre à riche) et si oui comment ?
Et il entremêle ces questions cruciales dans le mariage et le couple.
Cela lui permet des observations ironiques, sarcastiques et de dresser des portraits de personnages désopilants, car ni Peter, ni Judit, ni Ilonka, ni Lazar,, ne ressortent grandis. Bien au contraire. Comme on dit, rien pour rattraper l'autre. Et c'est là que j'ai ressenti une infinie tristesse, car il me paraît évident que ce roman transpire une amertume, une envie de partir, de s'éloigner de ces pauvres types (hommes et femmes), futiles, désuets, inutiles, amoraux, fossilisés.
Sandor Marai voyait-il ainsi sa Hongrie avant de s'en exiler ? Mais ce roman écrit bien longtemps après, exprime-t-il aussi toute son amertume sur ce qu'est devenue la "civilisation" (il en parle à plusieurs reprises) ?
J'ai donc ressenti une très intense nostalgie de la part de l'auteur, une belle et profonde et très intéressante réflexion à la fois philosophique, politique et sociale. Il est clair que Sandor Marai est aussi un grand humaniste comme il n'en existe plus.
Mais ce roman pêche par des longueurs, des répétitions.
Aussi, si je puis me permettre, si l'on veut découvrir l'oeuvre de cet immense écrivain, européen, humaniste, ne surtout pas commencer par ce titre.
Mais s'offrir la lecture de Les Braises, Les Révoltés, l'Héritage d'Esther, etc..., entrer dans son univers, c'est un grand plaisir car son écriture est pleine, propre, définitive, ses thématiques sont toujours intéressantes et n'ont pas si vieillies (quand il explique que le problème du riche ce n'est pas d'être encore plus riche mais c'est d'avoir la totalité.) .
Sandor Marai, écrivain bourgeois, certes, mais pas politiquement correct.

Commenter  J’apprécie          123
Ce pourrait n'être qu'une banale histoire de divorce et de remariage ou encore le récit de la passion morganatique d'un riche industriel hongrois pour la jeune servante de ses parents ; ce pourrait n'être qu'une fresque historique supplémentaire évoquant les mutations politiques et sociales qui ont suivi la 2ème guerre mondiale.

Il y a tout cela dans Métamorphoses d'un mariage, tout ce qui constituerait déjà la trame de n'importe quel bon roman et justifierait amplement qu'on le lise. Il y a bien plus aussi, qui relève à la fois d'une étonnante maîtrise des techniques narratives et de profondes implications existentielles.

Trois grandes parties structurent le livre, qui correspondent aux points de vue, sous forme de confidences à des amis, des trois protagonistes principaux : Peter, l'industriel grand bourgeois, Ilonka, sa première femme et Judit, la bonne qu'il épousa en seconde noces. Trois points de vue sur la même histoire nous donnant à mesurer cet abîme qui sépare la perception des mêmes événements par chacun d'entre nous et, par voie de conséquence, la solitude essentielle dans laquelle nous sommes tous enfermés, chacun dans son monde, quand bien même nous serions mari et femme, partageant la même maison, le même lit.

Une dernière partie, sous forme d'épilogue, introduit un quatrième point de vue, à la fois plus synthétique et plus lointain, car c'est celui du dernier amant de Judit, ce jeune batteur, beau comme un dieu, à qui elle s'est confiée dans la chambre d'un hôtel romain avant d'y mourir parce que son temps était fini. Nous ne sommes plus en Hongrie, nous ne sommes plus à Rome; pour fuir son pays bolchevisé il s'est exilé dans le nouveau centre du monde, l'Amérique ; là, il a dû renoncer à son art pour gagner sa vie comme barman à Broadway et devenir l'un des adeptes forcés de la nouvelle société de consommation.

C'est pour l'un des ses clients qu'il évoque cette histoire qu'il n'a pas vécue mais que Judit lui a racontée ; un récit au troisième degré en quelque sorte, encore mis davantage à distance par l'éloignement dans l'espace et le temps. Et c'est en cela que consiste la véritable métamorphose, celle qu'opère sur le réel toute grande oeuvre romanesque : en cette mystérieuse alchimie qui restitue les simples événements à l'Histoire et confère à nos vie particulières la dimension d'un Destin.
Commenter  J’apprécie          70
Un homme et deux femmes. L'homme a été marié à ces deux femmes. Péter, Illonka et Judit. Chacun à son tour va raconter son histoire dans un long monologue et va revenir sur la relation qui les lie. Péter et Illonka se sont mariés. Issus du même monde bourgeois, leur union allait de soi. Mais très vite, Illonka a senti une fêlure chez son mari. Elle a compris qu'elle était seule à aimer, que Péter était pris ailleurs. de désillusions en dialogues qui tournent court le couple se délite jusqu'au divorce. de son côté Péter est un être constamment insatisfait, toujours en quête de quelque chose qu'il n'a pas. Et ce qu'il n'a pas, c'est cette autre femme qui occupe tout son coeur et son esprit. Judit, domestique chez ses parents et pour qui il éprouve une attirance irrépressible. Judit pour qui il finira par quitter Illonka et qu'il épousera. Avant de découvrir que cette femme ne l'aime pas mais l'a utilisé pour sortir de sa condition.

Un jeu de miroir semble donc s'être installé entre Ilonka qui aime Péter sans retour et Péter qui aime Judit sans être aimé d'elle. 

Chronique de la déception, de l'échec amoureux, de la solitude et de l'exil ce livre possède une véritable atmosphère. Sans grandiloquence et de manière feutrée Sándor Márai donne la parole à ses trois personnages livrant des vies faites de compromis, de renoncements ou de prises de décisions à la fois courageuses et irrévocables. Des vies conditionnées par une appartenance à une classe sociale, à un sexe, à une époque, à un pays. Mais des vies qui se dévoilent sans far dans ce qu'elle ont de plus magnifiques comme de plus mesquins, ne cachant rien de leurs sentiments et de leurs actes. 

C'est magnifiquement écrit, dans une langue pleine, riche et élégante qui donne toute sa dimension aux récits des trois personnages. Ainsi malgré la longueur des monologues le lecteur n'éprouve aucun ennui, totalement happé par les confessions des personnages. L'aspect historique et politique joue aussi son rôle dans ce roman donnant au lecteur un aperçu de la Hongrie du XXème siècle jusqu'au delà de la seconde guerre mondiale.

Un récit d'une grande profondeur qui se lit à plusieurs niveaux. 
Commenter  J’apprécie          50
C'est assurément une oeuvre de Márai d'une grande maturité, un oeuvre de réflexion, du début à la fin de ce copieux roman.
J'ai toujours pensé que mon roman préféré de Márai était "Les braises" , mais je reconnais que dans "Métamorphoses d'un mariage" il y a davantage de matériel de réflexion et de maturité.
La trame du roman est un triangle amoureux où trois voix différentes donnent une version de ce qui fut un amour. Et la perception "juste" de cet amour pour l'homme ou les femmes, mais ce sont de toute façon trois perceptions différentes.

On sent très bien dans ce livre que Sándor Márai nous narre la fin de quelque chose, la fin d'une bourgeoisie, la fin d'un style de vie.
Livre excellent.
Commenter  J’apprécie          44
Suite imminente avec Métamorphoses d'un mariage que les critiques considèrent comme la pièce maîtresse de l'oeuvre,solide,de Sandor Marai.Histoire d'un trio classique composé de la femme,du mari et de la domestique et maîtresse qui tour à tour confient leur versions des évènements de leur vie.Chaque monologue,très long,est d'une précision diabolique sur cette bourgeoisie que connaissait si bien Sandor Marai et sur les rapports de classe parfois fielleux entre les castes.Peut-on parler de castes?Ce qui est sûr c'est que comme dans Les Braises ou Mémoires de Hongrie(dont j'ai remonté la critique) la vérité est cernée par les subtiles,très subtiles et très littéraires arabesques du grand Marai.

Je trouve les livres de Sandor Marai d'une extraordinaire cruauté,alliant l'analyse de la déchirure hongroise du siècle avec ses oppresseurs de toutes les couleurs à un portrait de famille catégorie Europe Centrale qui n'épargne personne.M'en voudrez-vous beaucoup si ue fois encore je cite Schnitzler,Zweig,Roth,etc...?A l'Est toujours du nouveau et rien n'est plus actuel que cette littérature d'entre deux guerres qaund elle est marquée du sceau du génie.Pour Sandor Marai,je vous assure,c'est le cas.
Commenter  J’apprécie          40
Le mari, la femme, la bonne… On se croirait prêts à embarquer pour un vaudeville. Sauf que non. Sandor Maraí, dans Métamorphoses d'un mariage, publié au @livredepoche, livre un récit particulièrement dense et maîtrisé.
🔹️
Une même histoire, trois points de vue. Tout d'abord celui d'Ilonka, l'épouse malheureuse et dédaignée. Alors qu'elle est déjà divorcée de Peter, elle le rencontre dans une pâtisserie. Et profite de l'occasion pour raconter à l'une de ses amies sa vie tourmentée auprès de cet homme froid qui l'abandonnera pour la bonne de sa mère. Puis vient le tour du mari, divorcé deux fois, qui s'épanche auprès d'un ami revenu du Pérou : comment sa vie bascule le jour où il rencontre Judit, la jeune domestique de ses parents, mais aussi son choix d'un mariage de raison avec Ilonka, avant que la passion ne revienne le tourmenter pour son plus grand malheur. La conversation prend alors un tour philosophique : « Chaque sentiment humain est entaché d'égoïsme, de velléité, de chantage discret et d'attachements impuissants autant que désespérés. Lorsque tu le comprends, et que tu n'espères plus rien du genre humain, ni le secours des femmes, que tu connais enfin le prix, toujours exorbitant, du pouvoir et du succès, lorsque tu ne souhaites plus qu'une chose : te retirer dans un coin, seul, sans confort et sans aide, pour écouter le silence qui monte lentement dans ton âme comme sur les rivages du temps – alors, tu peux partir. Parce que tu en as le droit. » 🔹️
Enfin, c'est au tour de Judit, ancienne domestique issue d'une famille profondément démunie, de prendre la parole : en une nuit, elle conte à son amant, dans un hôtel romain, cette bourgeoisie hongroise de l'entre-deux-guerres, qui s'apprête à perdre sa superbe. « Ils achetaient tout ce qui pouvait rendre leur abondance plus abondante encore », décrit-elle, au bord de la nausée. « Soit on est riche, et on l'est pour toujours ; soit on ne l'est pas et, alors, on a beau avoir de l'argent, on ne le devient jamais », explique-t-elle aussi. Son discours est aussi l'occasion d'aborder son désir de revanche sociale, ou encore la question de l'exil.A noter d'ailleurs que Maraí s'est, tout comme l'amant et Peter, exilé aux Etats-Unis.
.
A travers des destins individuels, Maraí dessine aussi l'histoire de son pays, la Hongrie pays bouleversé, saigné et traumatisé par les occupations nazie puis communiste. Mais également l'effondrement de cette haute bourgeoisie névrosée et méprisante, étouffée par sa froideur. Alliant le tout à une analyse psychologique fine de l'âme humaine. Un roman sacrément impressionnant ! Mention spéciale pour la traduction de Georges Kassai et Zéno Bianu.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          30




Lecteurs (441) Voir plus



Quiz Voir plus

Freud et les autres...

Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?

3
4
5
6

10 questions
436 lecteurs ont répondu
Thèmes : psychologie , psychanalyse , sciences humainesCréer un quiz sur ce livre

{* *}