Je ne peux rester très longtemps sans lire un livre de
Haruki Murakami.
J'aime son univers mystérieux et envoûtant, sombre et inquiétant, son style unique et inimitable. Avec subtilité et délicatesse, l'auteur entretient la confusion entre la banalité et l'étrangeté du quotidien qu'il rend perméable en introduisant des situations surréalistes et énigmatiques.
J'ai choisi une nouvelle datant des années 80 d'environ quatre-vingts pages pour un petit moment cosy. C'est un format que j'apprécie de plus en plus et un genre littéraire idéal avant d'entamer une lecture plus conséquente.
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L'histoire est intrigante, étrange : un adolescent se rend à la bibliothèque de son quartier pour emprunter des livres sur la collecte des impôts sous l'empire ottoman, mais n'étant consultables que sur place, on l'envoie dans une salle de lecture au sous-sol dans laquelle il se retrouve emprisonné par un vieillard effrayant et perfide.
Pour quitter sa prison, le vieil homme lui propose un marché, mais peut-il lui faire confiance ?
« Je m'assis sur le lit, m'enfouis le visage dans les mains. Pourquoi devais-je subir une telle épreuve ? Alors que j'étais simplement venu à la bibliothèque emprunter des livres ! »
Comme toujours avec l'auteur japonais, les frontières de la réalité s'estompent insensiblement, pour finir par se brouiller et laisser le lecteur dans l'incertitude. Il se tient alors en équilibre fragile sur le fil, entre réalité et hallucination, rêve éveillé et obsession, crainte et démence.
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On retrouve dans ce court récit de nombreuses caractéristiques de son style et des personnages figurant dans d'autres de ses livres : l'homme-mouton, la présence d'oiseaux.
« le vieillard se tourna vers moi et se redressa de toute sa taille. Subitement, il était très grand. Sous ses longs sourcils blancs, ses yeux luisaient comme ceux d'une chèvre à l'approche de la nuit. »
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« L'embêtant, avec les
labyrinthes, c'est qu'on ne saura qu'à la fin si l'on a choisi le bon chemin ou pas. Et si en fin de compte on s'est trompé, il est en général trop tard pour repartir en arrière et recommencer. C'est le problème avec les
labyrinthes. »
En s'insinuant dans les tréfonds obscurs de la bibliothèque, on pénètre un monde fait de couloirs labyrinthiques qui rappellent l'antre du Minotaure.
Le jeune garçon est comme Thésée, livré à l'appétit vorace du vieux bibliothécaire et cherchant à s'échapper. En l'identifiant au jeune héros grec, j'ai vu dans son épreuve un rituel de passage de l'enfance à l'âge adulte.
Du coup, le vieil homme devenu le monstre de la mythologie grecque symbolise pour moi les pulsions instinctives et la violence des hommes.
J'ai également pensé aux dédales de
Jorge Luis Borges, et notamment à deux de ses nouvelles les plus connues : « le Jardin aux sentiers qui bifurquent » et «
La Bibliothèque de Babel ».
Comme lors de la lecture de «
Kafka sur le rivage », j'ai ressenti l'influence de
Franz Kafka à plusieurs niveaux : tout d'abord, à travers une ambiance étrange, mystérieuse et surréaliste ; ensuite par les thèmes communs aux deux auteurs, à savoir l'aliénation, la quête identitaire, l'absurdité de la condition humaine, la solitude, les rêves et la peur.
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Dans cette nouvelle, outre certaines influences,
Haruki Murakami explore l'importance de la littérature, l'intérêt des livres sur l'imagination, le savoir, la compréhension.
« … depuis tout petit, j'avais été éduqué à me rendre à la bibliothèque et à y faire des recherches dès que j'ignorais quelque chose. »
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L'édition que j'ai eue entre mes mains est magnifiquement illustrée de dessins en noir et blanc, une autre façon d'entrer dans l'oeuvre de l'auteur et dans cette atmosphère onirique et fantastique.
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Ce qui est extraordinaire avec les livres, c'est qu'ils sont une fenêtre ouverte vers l'imagination, le rêve, la compréhension du monde qui nous entoure.
Dans les romans de
Haruki Murakami, le climat étrange et irréel, l'univers surréaliste, les personnages impénétrables et mystérieux, les illustrations sont autant d'éléments qui amènent le lecteur à s'interroger sur le sens du texte et à livrer sa propre interprétation. Ses histoires continuent à vivre dans notre tête, parfois longtemps après les avoir refermé.
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Pour finir,
Haruki Murakami maitrise parfaitement l'art du récit court, plongeant doucement le lecteur dans un univers inquiétant et envoûtant.
Ce n'est pas le meilleur récit de l'auteur mais j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette histoire où on ne manque pas de faire des liens avec ses autres romans plus récents.