Gladys Eysenach a tué
Bernard Marin. Pourquoi ? Dans la salle du tribunal qui ouvre le roman, cette femme, que le public vient voir, avide de constater sa beauté, quoique flétrie par le temps, avoue tout. Oui, elle a tenté d'échapper aux conséquences de son acte en inventant un cambriolage. Oui, elle a menti en prétendant avoir agi en légitime défense. Oui, elle a eu de nombreux amants. Oui, elle a refusé la demande en mariage de son amant Monti. Pourquoi ? Ce dernier dira qu'elle « hésitait à aliéner sa liberté. » On sent la réprobation silencieuse des hommes. Fréquentait-elle les maisons de rendez-vous ? Oui, elle les fréquentait. Frémissement de dégoût devant cette grande bourgeoise qui se vend comme la dernière des filles. Mais cette femme qui avoue tout, y compris ses « vices » les plus odieux, se taira obstinément sur la raison pour laquelle elle a tué
Bernard Marin. Sans surprise, elle est condamnée. Et tout aussitôt oubliée, laissée à sa solitude.
Seule, Gladys repense à sa jeunesse, à son parcours qui la mènera à l'acte fatal, dévoilant peu à peu la réalité derrière les apparences. Fille délaissée par sa mère, elle découvre, lors d'un séjour à Londres chez sa cousine plus âgée, les plaisirs mondains, la joie légère, futile, des bals. Mais surtout, elle découvre le pouvoir de sa beauté, l'ascendance qu'elle a sur les hommes. Car Gladys est fatalement belle. Et elle goûte plus que tout à la volupté de plaire et de se savoir aimée, d'allumer dans les yeux des hommes le désir.
Elle se souvient de son deuxième époux, Richard Eysenach, un homme laid, mais riche et puissant, qui aime les femmes belles, dociles et surtout, qui se taisent. Alors il « dress[e] Gladys à lui obéir, à paraître gaie et heureuse sur un signe de lui, à ne se soucier au monde que de sa beauté et du plaisir. » le mariage est heureux, même si les époux se trompent mutuellement. Et l'enfant
Marie-Thérèse grandit lentement, dans l'admiration qu'elle éprouve pour sa mère.
Mais quand un enfant grandit, la mère, elle, vieillit. Gladys est toujours aussi belle, mais à quarante ans, elle commence à mentir. Elle dissimule l'âge de sa fille, lui retranche trois années.
Marie-Thérèse à quinze ans. Et Gladys se rassure en s'entourant de femmes plus âgées qu'elle, moins belles. Elle se rassure en choisissant des amants qui l'ont connue quand elle était jeune, et qui la voit encore comme à l'époque. Elle plaît encore, on ne voit qu'elle. Elle arrive encore facilement à éclipser ses rivales, même les jeunes.
Mais plus elle repousse son âge, et plus son angoisse s'accroît.
Marie-Thérèse est amoureuse, elle souhaite se marier. Quoi ? Elle a atteint l'âge d'être une belle-mère ? Non, c'est ridicule. Sa fille est encore mineure. Elle lui demande d'attendre trois ans avant de penser au mariage.
Marie-Thérèse se résigne, elle aime sa mère. Mais on est en 1914, la guerre éclate et l'urgence de goûter aux joies du mariage se fait plus pressante. Gladys reste sourde aux supplications.
Advient ce qui devait fatalement arriver :
Marie-Thérèse est enceinte. Et le père vient de mourir sur le front, il n'y a aucune chance de cacher la « faute » dans un mariage précipité. Mais plus que le scandale d'une fille-mère, ce que Gladys ne peut supporter, c'est de se savoir grand-mère. le temps la rattrape, la harcèle inlassablement. Et ses tentatives de plus en plus désespérées pour y échapper provoqueront des catastrophes toujours plus grandes.
Le temps, pour Gladys, est une fatalité. Vieille, elle ne pourra plus plaire. Vieille, le bonheur lui échappera. Vieille, elle sera seule. Vieille, elle finira oubliée.[...]
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