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sur 1633 notes
On doit pouvoir mesurer la sagesse générale d'un individu à la façon dont il comprend Ainsi parlait Zarathoustra, dont il le reçoit non avec évidence (car le livre est en quelque chose surhumain) mais avec acuité, dont l'oeuvre confirme ce qu'il pense et ce qu'il est, dont l'auteur porte un éclairage sur ses lumières déjà acquises comme un surprojecteur sur des clartés en soi incertaines. Car il faut le reconnaître, on ne peut vraiment entendre – « entendre » au sens profond d'« intégrer » – ce texte avec une simple théorie, à la façon d'un étudiant systématique ou d'un professeur distancié qui ne se charge que d'inscrire ce livre dans l'histoire de la pensée occidentale, même si la lecture préalable d'autres Nietzsche permet d'en intellectualiser l'esprit et le style, ainsi qu'on trace en cohérence des taxonomies de concepts pro hominem. Beaucoup ont appris patiemment Zarathoustra, aidé de fiches de lecture et de renseignements contextuels, comme on fait en prétendant bien savoir plutôt que mal connaître, en multipliant les références, avec citations pour futures notes de bas de page, y compris en s'adossant à des penseurs aux idées contraires. On se contente alors de « concevoir » la verve hautaine et méprisante de Nietzsche, on anticipe l'orgueil et la jouissance, on augure la figure de l'antéchrist avec prédilection pour les renversement et dépassement des valeurs humaines, et l'on fait grande provision d'un lexique inutile, comme si ce philosophe se résumait à une terminologie qu'il avait toujours détestée – « volonté de puissance », « éternel retour », « littérature dionysiaque », que sais-je encore, moi qui ne me préoccupe pas tant de mots que je me passionne pour des réflexions ? fatras d'idées valorisantes à dessein de « briller » en une société prétendue de connoisseurs, un fatras presque faux, généralement surinterprété comme pérorent l'universitarien qui toujours cite beaucoup et comprend peu – ; on a ainsi gravé dans l'esprit du récipiendaire un rapport au texte, un rapport à la lecture, controuvé, travesti, inessentiel et presque périphérique, comme si un livre, particulièrement un ouvrage de philosophie, se relatait à distance à la façon d'un répertoire à destination d'une révision pour concours. le Français en vient à lire en désapprenant la lecture, c'est-à-dire avec la pensée de constituer une science toute faite plutôt que de l'éprouver et de se l'approprier, plutôt qu'elle résonne dans le vécu.
En l'occurrence, une clé de lecture considérera qu'Ainsi parlait Zarathoustra est une sorte de contre-Bible, empruntant ses emphases et son péremptoire au registre christique, en en détournant le sens originel, le traversant et supplantant avec l'intention d'une sur-Bible, raison pourquoi Nietzsche admet que l'oeuvre représente (je cite Ecce homo de mémoire) « le plus grand cadeau qu'on ait fait à l'humanité ». Il s'agit de remplacer les maladives faussetés d'un Nouveau Testament d'amour pleutre et de passivités tristes qui en font un culte pour la mort, par de gais enseignement du brave mépris et des actes hardis fondant une doctrine de vitalité contre la mort. Zarathoustra écrase Jésus, proclamant la mort de Dieu, ordonnant l'indépendance et l'accès à la création, réfutant les disciples et les vieilles valeurs, à la fois négateur et démiurge, dur, indocile, juste, libre. Il fallut l'innocent orgueil d'un hors-norme, d'un hors-hommes, avec le complet débarras du péché d'orgueil, pour oser une entreprise de si authentique démesure, spontanée, assumée sans outrance, sans même la pensée d'excès, consistant à se représenter en prophète, puisque Nietzsche est Zarathoustra, puisque l'auteur remet au monde sa sagesse sublimée sans les vicissitudes inutiles des apprentissages d'enfance – « inutiles » dans une perspective de transmission quintessenciée. Et cette autre Bible, plus morale et vraie, où l'homme de l'ancienne Bible est un être qu'il faut « surmonter », où l'homme normal est resté trop en-dessous de sa valeur et doit par nature être pionnier de l'existence, cherche un destinataire apte à l'entendre, se heurte aux préjugés des foules, aux conforts des routines, aux rituels peu exigeants qui rassurent, et il manque de disciples : Ainsi parlait Zarathoustra est un livre forgé de solitude qui se destine à des temps à venir, ouvrage pour une postérité de postérités, sans espérance ni déception, simplement né d'une résolution au devoir, une nécessité, un destin. Oui, tout ceci est exact, voici une herméneutique, même une exégèse, vraiment juste, cependant ce demeure théorie et synthèse, c'est mauvaise distance, recul qui enregistre et n'éprouve rien, compendium de l'oeuvre sans le commencement d'une critique, sans même le début d'une lecture, « digest » sans digestion, sans consommation pour soi, sans apport nutritif personnel, presque comme un tableau des valeurs nutritionnelles – en somme, typiquement de la lecture à la française.
La vérité : je suis un des rares au siècle à avoir si bien compris Ainsi parlait Zarathoustra, sans tentation de verbiages et d'analyses intellectuelles ; je l'ai même tant compris, avec une si nette philologie, que je comprends aussi ses défauts, ses faiblesses nées de sa volonté et de sa grandeur ; et je suis comme fier et étonné d'avoir fait ainsi plus que traverser cette oeuvre, c'est-à-dire non de m'en être imprégné et empli – je n'y ai rien appris cette fois, je savais déjà son contenu non par coeur mais par expérience –, mais de l'avoir à mon âge, du commencement à la fin, en esprit confirmée et réfutée – de l'avoir comprise en même temps que de la lire sans que rien ne m'en soit étranger. Sans pourtant qu'une simplification me tienne lieu, je crois, de vantardise ou de consolation, je dis avec sincérité que rien n'est compliqué dans cette oeuvre, qu'il n'y faut que la vertu d'un vrai lecteur c'est-à-dire la patience de l'examen, qu'un livre exige en principe un travail qui démontre le respect même qu'un esthète accorde à un artiste, et que c'est le retour à soi des enseignements qu'il contient, sans cesse convertis en exemples personnels ou en contradictions, qui confère à cet essai sa vivante dialectique au-delà de quelque « péremptoire mystique ». Je n'ai pas juste « consulté » ce Nietzsche, je l'ai vécu, sa matière m'était propre, et je devine les torts de Nietzsche, je l'ai réfuté d'avoir admis qu'il pouvait y avoir des disciples après avoir renoncé à chercher des individus au sein des foules (lui-même n'avait jamais disposé de disciple), je le blâme encore de la tournure poétique qu'il donne à son oeuvre parce qu'il surestime le poète en lui et conçoit le lyrisme à l'image des ampoules fastidieuses des siècles passées – c'est notamment la prédominance emphatique répétitive qui atténue l'efficacité de Ainsi parlait Zarathoustra et qui rebute le lecteur : le « marteau » disparaît où apparaissent l'émoi atermoyé, les figures imposées, les allégories de style, tout cet apparat de spiritualité chargé de donner à l'oeuvre une hauteur reconnaissable d'interprétations démultipliées. L'« éternel retour » surtout, sur quoi les commentateurs se sont tant appesantis justement parce qu'ils ont la manie de s'emparer des paradoxes en cuistres argutieux, est une de ces intuitions sans étayage, uniquement mystique, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs chez Nietzsche et qu'il ne faut pas admettre plus qu'une tendresse veule de l'auteur, qu'un épanchement pleutre et contradictoire surgi en Zarathoustra à l'heure de son flagrant abandon de faiblesse et de sa plus grande lassitude : avec les récurrences d'allégories et de lamentations, c'est ce qui nuit à l'unité ferme de la puissance du philosophe et qui entre en contradiction avec l'esprit de rationalité qu'il promeut dans toute son oeuvre – même s'ils ne démentira point cette « vision » dans sa synthèse Ecce homo. Peut-être – j'y songe sérieusement – récrirai-je ce livre en n'en gardant que les extraits éloquents, que les directions les plus fermes et inédites, que les synthèses les plus fortes – alors ce livre de 350 pages en comptera-t-il moins de 50 peut-être, et ce sera véritablement un guide clair et frappant plutôt que le délaiement élégant qu'il figure délibérément par souci de postérité et de patrimoine. Je distingue en ce Nietzsche ce que je n'ignorais pas, que j'estime personnellement un superflu, de ce que je me représente comme des excès de littérarité mystique, empruntée de manière à signifier la profondeur, pour la symboliser, pour étendre la portée et le lectorat de l'oeuvre grâce à la dimension céleste qui, ostensiblement éthérée, ne se soucie pas, sauf en « style » voire en « beauté », de la densité de l'écrit : ce sont ces facticités-là que je réprouve.
Et néanmoins, comme je suis satisfait ! Je continuerai Nietzsche, m'abstenant de ses manies, de ses biais, quoique d'un élan moins assidu sans doute, ne disposant pas des mêmes libertés : on ne dépasse un homme qu'après l'avoir entièrement compris et circonscrit. Une joie épanouie m'a saisi à la relecture de Ainsi parlait Zarathoustra : c'est que j'en ai écrit des pages entières sans le recopier, que j'en savais et prévoyais les termes de vérité. Ainsi ai-je tant connu Nietzsche : ses reculs avec ses défauts ; j'échappe à la position de disciple, de séide, d'émule ; Nietzsche m'est une borne chère : je l'ai passée ; presque tout son mystère m'est arrière ; je lui suis reconnaissant, mais aussi, je le sais, il voudrait malgré cela que je poursuivisse mon chemin. J'y vais, j'avance un pas avec son bagage et sa route : n'importe si je ne foule que quelques enjambées de plus ; c'est ma façon à moi de surmonter l'homme que je suis ainsi que tout l'homme resté au village dans son salon soporifique et aux lumières bleues. Nietzsche confirme chaque homme supérieur, il est l'essor et la visée, la science élémentaire en la fondation de sa méthode ; tout philosophe réel le considère comme un socle, mais il faut encore développer ce période, ce calvaire et cette passion, son extase ; sa « petite mort », ne doit pas être le dernier mot, l'ultime souffle exhalé : il faut, à partir de là, bâtir plus loin, plus loin…
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Cet ouvrage relève du visionnaire et du brillant ; un cri d'appel au réveil des âmes, plongée dans une vie anesthésiée bien que confortable. Un éloge à la vie, plus qu'au maintien en vie.

À ceux qui peine à comprendre ; vous arrive-t-il parfois de tenir des propos sans les expliquer, en présumant que les gens vous connaissent et comprendront donc où vous voulez en venir ?

J'ose avancer que c'est idem pour ce roman-poème de Nietzsche, il vaut mieux avoir lu préalablement ses autres ouvrages pour comprendre celui-ci.
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Bien que ses nombreux aphorismes ne soient pas tous compréhensibles, pas tous utiles, le livre est un incontournable. Beaucoup de paragraphes très pompeux qui rendent le livre peu digeste, mais également de nombreuses morales pépites à saisir et à garder en tête.
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Ici Nietzsche dévoile sa pensée la plus profonde, la plus aboutie mais il faut être prudent car le texte est écrit quasiment intégralement en métaphore. le philosophe contrairement à ses contemporains a voulu travailler son style pour justement le rendre plus accessible aux lecteurs évidemment le contraire peut se produire car on y trouve des contresens dûs à des différends avec son éditeur ouvertement antisémite.
Toujours est-il que la forme reste magistral et se rapproche plus du chant lyrique de la tragédie grec (si chère à Nietzsche) que du traité philosophique sa volonté étant d'être comparé au Faust de Goethe ou à la Divine Comédie de Dante. Sa pensée surpasse tous les systèmes et vise à nous affranchir des codes sociaux (et moraux) qui nous dictent une conduite donc qui nous brident et nous éloignent du bonheur: « Deviens qui tu es »
Aussi la traduction de Georg Arthur Goldshmit est la meilleure possible et sa préface offre les clefs de lectures nécessaires avant de s'attaquer à cette oeuvre visionnaire et intemporelle.
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Nietzsche apporte une vue différente de la philosophie.
Il assène un examen approfondie de l'âme humaine par un retour à soi, non pour écraser l'autre mais devenir ce que l'on doit être.
Il parle aussi du dépassement de soi, "doctrine" souvent reléguée dans les mangas ou les DA pour enfants.
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Je vous jure que j'ai essayé. En situation d'isolement, j'avais tout le temps devant moi pour m'y consacrer et lire avec calme et clairvoyance...
Rien à faire, ce texte ne s'est pas ouvert à moi, ou bien je n'ai pas réussi à m'y ouvrir et à m'y plonger.
Ma tentative n'a rien donné et au bout de deux semaines à ouvrir le livre chaque jour, je me suis rendu que j'avais même pas lu le quart alors que j'espérais être proche de la fin tellement j'avais passé du temps à lire ces mots... peine perdue.
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Curieusement - je dis curieusement car ce n'est visiblement pas l'impression commune - ce n'est pas l'un de mes Nietzsche préférés. Je le trouve un peu plus "confus" que d'habitude. Je préfère Généalogie de la morale ou la Volonté de puissance mais comment comprendre l'éternel retour nietzschéen sans ce livre ?
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Ça y est, j'ai lu le "chef-d'oeuvre" de Nietzsche, son oeuvre à la fois la plus atypique et la plus connue.

Verdict: Bien que je l'ai englouti rapidement, je ne l'ai pas apprécié plus que ça. le style lyrique, poétique et messianique de l'oeuvre est trop imagé pour mon esprit terre à terre.
"Ainsi parlait Zarathoustra" déborde de symbolisme ad nauseam, ce qui rend son propos opaque et son interprétation parfois intangible.

Au-delà de cette forme unique et perturbante, le philosophe allemand déroule de nombreux concepts de sa pensée:
-La Mort de Dieu, qui laissent les hommes livrés à eux mêmes et sans repères.
-L'Esprit de Pesanteur, soit l'ensemble des carcans moraux, religieux et culturels qui brident le potentiel des hommes
-Le Surhumain, une version magnifiée de l'humanité qui à su s'affranchir de l'esprit de Pesanteur.
-Le Dernier Homme, ou l'homme post-moderne égoïste sans autre ambition que le plaisir et bien-être individuel.
-L'Homme est un 'pont' et non une fin.
-L'Éternel retour, idée reprise aux stoïciens.

Pour conclure, je dirais que ce livre est un OVNI, une anomalie dans la matrice qui synthétise la pensée de Nietzsche sous forme d'une fable aux allures bibliques.
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L'un va auprès de son prochain, parce qu'il se cherche lui-même, et un autre parce qu'il aimerait se perdre. Votre mauvais amour pour vous -même fait pour vous de la solitude une prison. Ce sont ceux qui sont au plus loin qui paient votre amour du prochain et déjà quand vous êtes cinq ensemble, il faut toujours qu'il y en ait un sixième qui meure.
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Nietzsche renverse la table. A travers ce soit disant sage/prophète qui parle comme un illuminé/maître de sagesse/mystique, il déconstruit une certaine idée du monde que s'est construite une civilisation judéo-chrétienne au fil des siècles. Il faudrait lire en parallèle Bergson avec ses deux sources de la morale et de la religion pour voir à quel point le travail de Nietzsche est salutaire.

« Pour conquérir sa propre liberté et le droit sacré de dire non, même au devoir, pour cela, mes frères, il faut être lion. »

Ce n'est pas tant cette civilisation que Nietzsche dénonce mais qu'elle s'est dévoyée. C'est un retour aux sources qu'il propose, un retour au sens premier.

Est ce de la philosophie? Est ce de la spiritualité? C'est ce que la philosophie s'était interdite depuis longtemps, un livre de vie.

Qui cherche à conquérir sa liberté gagnerait à gravir cette montagne. S'il ne le fait en lisant ce livre, la vie se chargera de lui enseigner…
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