Je pouvais tout faire, avoir toutes les audaces, vivre des histoires d'amour torrides et exaltantes avec les plus beaux échantillons masculins que la terre n'ait jamais portés, vivre à Londres ou à Berlin, d'un seul clic, partir en vacances à Pointe-à-Pitre, ou à Los Angeles, sans passeport, ni visa,( ni fouille au corps).... Je pouvais être médecin ou aiguilleur du ciel, partir pour un tour du monde de trente jours, à bord d'un bateau de luxe. Mon imagination me transformait en fille de rêve plus sûrement que la baguette magique d'une fée de conte.
Mais je pouvais aussi faire les pires vilenies. Connaître le grand frisson en volant un tableau de maître dans un musée, ou des bijoux somptueux. Être une reine du porno, ou un banquier suisse aseptisé, qui blanchissait l'argent sale de la drogue, et s'habillait en bébé le soir venu pour être fessé par une femme masquée, toute de cuir vêtue. Et je pouvais être cette femme là aussi. J'étais tous les personnages, et je maîtrisais toutes les situations.
Il vaut mieux oublier, me soufflait l'autre moi, l'Iris avocat du diable, celle qui ne lâchait jamais prise. Oui, sûrement, acquiesçai-je. Mais non, c'est grotesque, pourquoi un type comme lui voudrait me draguer, moi ? Je ne joue pas dans sa catégorie. Je l'imaginais plus volontiers avec une blonde sophistiquée qu'avec une brune nature. Non, il est juste gentil, en plus d'avoir un look à poser pour les calendriers. Oui, je le vois bien en monsieur Mai, sa virilité habilement dissimulée par un gros bouquet de muguet... Hum, joli mois de mai... Iris, tu dérailles complètement ! Oui, bon, j'ai bien le droit de fantasmer un peu, non ?
J'ai nagé quelques brasses puis j'ai fait la planche, ou l'étoile de mer, comme l'appelait ma fille. Je fixais le bleu du ciel tant et si bien que je finissais par avoir l'impression d'y être. C'était délicieux comme sensation. J'ai fermé les yeux, un sourire aux lèvres en me laissant flotter tranquillement. Si le paradis existe et qu'il ressemble à ça, ce ne sera pas si mal finalement. Oui, ça fait beaucoup de « si ». Et rien ne dit que j'aurais une place là-haut...
C'était toujours comme ça quand je commençais à écrire, une espèce d'angoisse s'emparait de moi, au moment de poser les premiers mots. Le trac, comme avant d'entrer sur scène, mais en moins pire quand même. J'avais fait du théâtre au lycée, et je me rappelais précisément de ce que c'était. Une angoisse affreuse, une expérience horrible. Exposée aux regards, le stress me coupait le souffle et les jambes. C'est pour ça que j'avais délaissé cette voie, pour rester sur celle de l'écriture. Mon clavier était ma scène, je choisissais mes mots, je les clamais du bout des doigts, et quand des yeux se posaient sur mon travail, je n'étais pas là pour les affronter... C'était nettement plus confortable.
J'allais faire ce voyage à Tahiti, avec ma fille. J'allais vivre avec elle une dernière fois, toutes ces choses que nous rêvions de faire. Et en même temps, je finirais mon livre. Les trente prochains jours seraient un condensé de toute une vie. Il le fallait. Pour elle. Pour moi. Pour pouvoir m'en aller en paix.