Une demi-heure après avoir fini
La Nostalgie heureuse, c'est le sentiment de tristesse qui domine, comme si le titre était le contraire de ce que contient le livre. On a le coeur lourd de la perte et de l'autrefois.
Alors qu'elle s'étonne d'entendre l'interprète utiliser le mot "nostalgic" plutôt que "natsukashii", Amélie apprend d'elle:
""Natsukashii" désigne
la nostalgie heureuse,l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur.Vos traits et votre voix signifiaient votre chagrin, il s'agissait donc de nostalgie triste, qui n'est pas une notion japonaise."
Vingt ans après, pour les besoins du tournage d'Empreintes, "Une vie entre deux eaux", documentaire de Luca Chiari, écrit par
Laureline Amanieux, lectrice d'
Amélie Nothomb de la première heure et auteur d'un essai sur elle, Amélie retourne sur les terres de son enfance. Désir de retrouvailles avec le passé, certes, mais recherche aussi d'une preuve que cela fut. Dans ce Japon touché à deux reprises par des séismes très importants (1995 et 2011), les traces de l'enfance ont disparu : il reste une photo à la maternelle, un toboggan, les caniveaux et les égouts. le reste est dans le souvenir et l'imagination, pour preuve ce parc où Amélie venait avec Rinri, l'amoureux des vingt ans : il n'est plus qu'un carré de jeu pour enfants :
“Des immeubles ont été construits à la place des iris pour ce motif qu'on n'habite pas un iris.”
“L'Apocalypse, c'est quand on ne reconnaît plus rien.”
Sur place, deux personnes incarnent le passé perdu : la gouvernante japonaise, "mère sacrée", devenue une vieille femme de 79 ans abandonnée de ses filles et privée de sa maison détruite lors du tremblement de terre, et Rinri, l'amoureux abandonné autrefois juste avant le mariage envisagé. de ses retrouvailles avec Nishio-san, Amélie fait un récit émouvant qu'elle parvient à rendre moins pénible (alors que, dans le documentaire, l'épisode l'était) en racontant comment son nez s'est mis à couler sur la tête sacrée :
Bizarrement, c'est le seul moment qui m'a fait rire, même si j'ai souri aux caniveaux et au coup de fil de France.
Le dernier jour, Amélie fait l'épreuve du kensho (1) : broyée, vidée plutôt par toutes ces émotions, elle se laisse engloutir par la foule tokyoïte.
“Je suis une aspirine effervescente qui se dissout dans Tokyo.”
Elle perd la raison, le sens de la réalité comme quand elle s'évadait en se défenestrant dans
Stupeur et tremblements. le coup de fil de
Pascale Clark (dont je me souviens très bien, ce matin où Amélie fut jointe pour le prix Inter dont elle était présidente) est drôle et montre le décalage qu'il y a entre les réalités parisiennes et ce voyage en terre du souvenir. le réécouter après coup est intéressant! Amélie au téléphone en plein kensho!
Sur le chemin du retour en France, Amélie se laisse griser par la beauté et l'immensité de l'Himalaya, ce qui donne une très joli passage :
Le coeur se brise à maintes reprises dans ce Japon retrouvé et idéalisé, et pourtant idéal. Sa vie, désormais, est ailleurs, même si elle se surprend parfois à vouloir rester ou emmener avec elle la vieille gouvernante.
“Je suis trop occupée à contenir mon coeur brisé.”
La nostalgie de ce roman est qualifié d'heureuse, peut-être pour qu'Amélie puisse s'en convaincre.
Pour revoir le documentaire après lecture, c'est sur le site officiel.
(1) le kenshō (見性, littéralement « voir la nature » en japonais) est un concept important du bouddhisme Zen. On peut le traduire par éveil, illumination ou conscience de soi. Il désigne pour l'individu l'accomplissement de sa propre nature, c'est-à-dire celle du Bouddha. le kenshō indique un éveil préliminaire qui précèderait l'éveil complet du satori, que le Bouddha et les maîtres zen ont atteint.