« Ce matin-là, je reçus une lettre d'un genre nouveau ». Melvin Mapple est un soldat de deuxième classe dans l'armée américaine. Il est posté à Bagdad depuis le début de la guerre et en ce 18 décembre 2008, il envoie une lettre « d'un genre nouveau » à
Amélie Nothomb. Au départ, la romancière s'avère dubitative : est-ce un canular ? Quel est le sens de la missive ? Puis elle se prend au jeu et une correspondance s'établit, une correspondance « d'un genre nouveau », centrée sur une souffrance nodale du soldat : son obésité.
Une nouvelle rentrée littéraire : un nouveau Nothomb. Quelle allait être mon impression cette année ? L'an passé, je n'avais guère aimé «
le voyage d'hiver » : une histoire d'amour que j'avais trouvée très fade et très banale. «
Une forme de vie » est un peu meilleur sans être, à mon sens, le meilleur des Nothomb.
Un soldat écrit à la romancière
Amélie Nothomb : l'idée de départ peut sembler originale. Cependant, son traitement et un des messages sous-jacents de l'oeuvre me gênent. le soldat obèse tire grand profit de cette correspondance : à ses yeux
Amélie Nothomb l'a parfaitement compris en lui proposant l'idée de faire de sa pathologie du body art. C'est ainsi qu'elle fait appel à un galeriste bruxellois. A travers la narration d'une correspondance réussie, l'auteure s'adresse un bouquet de louanges, réalise sa propre apologie : une forme de publicité pour son oeuvre, son écriture aux vertus thérapeutiques sur l'autre ?
D'ailleurs, et cela constitue plutôt un point positif à mon sens, elle s'interroge sur le genre épistolaire qui interpelle directement l'autre et vise à le révéler :
La nature du genre épistolaire m'apparut : c'était un écrit voué à l'autre. Les romans, les poèmes, etc. étaient des écrits dans lesquels l'autre pouvait entrer. La lettre, elle n'existait pas sans l'autre et avait pour sens et pour mission l'épiphanie du destinataire. (p.92)
L'écriture est un autre point positif de ce roman qui interroge le genre épistolaire : elle est travaillée et précise, en témoigne ce passage qui m'apparaît comme la reformulation romanesque et très bien écrite d'un concept mis à jour par l'anthropologue américain Hall :
Les gens sont des pays. Il est merveilleux qu'il en existe tant et qu'une perpétuelle dérive des continents fasse se rencontrer des îles si neuves. Mais si cette tectonique des plaques colle le territoire inconnu contre votre rivage, l'hostilité apparaît aussitôt. Il n'y a que deux solutions : la guerre ou la diplomatie. (p. 73)
Cela me renvoie au concept de « proxémie » : Hall a montré que la distance physique qui s'établit entre des interlocuteurs au cours d'une interaction dépendait de règles culturelles.
Enfin, on peut s'interroger sur le sens du titre : «
Une forme de vie ». Il nous apparaît vers la fin, dans une confession de Melvin :
Savez-vous comment j'ai intitulé ce classeur ? «
Une forme de vie ». ça m'est venu instinctivement. Quand je repense à cette dizaine de mois pendant lesquels j'ai correspondu avec vous, moi qui ne vivais plus depuis près de dix ans, cette expression s'est imposée : grâce à vous, j'ai eu accès à
une forme de vie. (p. 156-157)
Une des questions de l'auteure précédemment était la suivante : le corps obèse du soldat doublé d'un esprit est-il encore vivant ? Melvin y répond ici : la correspondance avec
Amélie Nothomb lui a permis de retrouver non une vie au sens propre, mais
une forme de vie, un succédané d'existence grâce au regard de l'autre. On retrouve là à mon sens la dimension assez nombriliste de l'auteure, qui finit par agacer.
Une oeuvre entre autobiographie et autofiction où l'auteure aborde un thème qui lui est cher, celui du rapport à l'alimentation déjà traité par exemple dans «
Biographie de la faim ». Une fin qui n'est pas sans rappeler son roman de l'an passé : «
le voyage d'hiver ». Une intéressante réflexion sur le genre épistolaire doublée d'un agaçant discours laudatif.