Il y a, chez mademoiselle Nothomb, une propension toute naturelle à l'écriture. Je ne sais pas, du reste, quand elle trouve le temps de tout faire : satisfaire à ses obligations de vedette de la littérature française (salons, émissions de télé et radio, nombreuses et variées interviews, que sais-je d'autre?), voyager dans le monde entier (Amélie est traduite dans bon nombre de pays qu'il faut régulièrement visiter au risque de ne jamais vendre un seul exemplaire de votre prose) et accessoirement, écrire. Car la romancière est un iceberg. La vingtaine de ses publications (le rythme d'un vrai métronome, un par an depuis 1992) n'en cache pas moins quatre fois plus de manuscrits qu'elle doit entasser dans un bureau qui apparait comme la caverne d'Ali Baba au moindre de ses lecteurs admiratifs. Mais cela ne s'arrête pas là. A croire qu'Amélie n'a pas de vie de famille, ne fait pas de tourisme, ne va jamais au concert, n'assiste à aucun spectacle, ne parcourt nullement les galeries de peintures. Si, évidemment. A-t-elle une botte secrète pour rallonger les journées? En effet, l'écrivaine belge aime plus que tout correspondre. Elle avoue même entretenir quelque deux mille relations épistolaires. Faites l'expérience vous-même : envoyez une lettre à son éditeur (faites court, s'il vous plait, Amélie déteste les missives se répandant sur plusieurs pages, baveuses de détails inintéressants et, surtout, écrivez recto-verso : Nothomb est une adepte de l'opisthographie) et il est fort probable que quelques mois après (elle met un point d'honneur à ne pas répondre illico) vous receviez une réponse personnalisée, pas une de ces
lettres types qui respirent le mépris et l'indifférence.
Elle avait déjà évoqué sa rencontre avec une de ses lectrices dans
Pétronille; cette fois, il s'agit de la correspondance avec un soldat américain basé en Irak (le roman est paru en 2010) et souffrant… d'obésité.
Et là, on est au coeur du thème récurent dans la production Northombienne : la difformité des corps. On ne peut s'empêcher de songer au héros de «
Péplum » (1996) que
Eric Emmanuel Schmitt avait un brin singé dans « lorsque j'étais une oeuvre d'art » six ans plus tard ou encore les personnages tordus campés dans «
les catilinaires« . Seulement, dans le cas qui nous occupe, le héros épistolaire ne revendique son obésité que pour dénoncer la guerre en Irak. Il en souffre. Porte sa graisse comme un étendard lui permettant d'investir une galerie d'art.
Autant
Amélie Nothomb a le chic pour dénicher les patronymes les plus loufoques, ce n'est pas le cas ici : Melvin Mapple est tout ce qu'il y a de plus banal. En revanche, sa description ne laisse aucun doute. C'est une aberration, à tel point qu'il s'imagine avoir fondé une famille : ses 55 kilos d'avant son incorporation plus les 50 kilos d'une compagne qu'il baptise Schéhérazade (on est au pays des 1001 nuits tout de même!) et leur rejeton. Et encore, le compte n'y est pas, puisque à la fin du livre, Melvin affiche deux quintaux.
On connait l'intérêt sinon la passion de Nothomb pour la nourriture (
métaphysique des tubes,
biographie de la faim). Alliée aux réflexions portées sur l'écriture de
lettres à ses admirateurs, correspondants parfois à la limite de l'incorrection, ce corpuscule (tout comme les missives, Amélie n'apprécie que les romans éclairs et cite volontiers
Madame de Sévigné « excusez-moi, je n'ai pas le temps de faire court ») se déguste comme une crème glacée. Reste que depuis pas mal d'années, l'écrivain belge ne sait plus comment clôturer ses romans. La fin est une fois de plus tirée par les cheveux. On lui pardonne. D'autant qu'il reste tout de même quelques exemples de la prose la plus délectable du monde.
« Il n'avait plus de cou, car l'isthme censé relier la tête au tronc ne présentait pas le caractère d'étroitesse relative qui permet d'identifier ce segment ». Chapeau!