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Critique de kielosa


Hubert Nyssen (1925-2011) n'était vraiment pas n'importe qui : un Belge qui s'était installé en Avignon, le fondateur des Éditions Actes Sud et le père de l'actuelle ministre française de la Culture, Françoise Nyssen. Et subsidiairement : membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et docteur honoris causa de l'université de Liège. Pour situer le personnage, je cite l'écrivain argentin, Alberto Manguel, qui lui a rendu hommage en ces termes : "Ce qui était toujours déconcertant chez Nyssen, c'était sa capacité de rassembler un groupe de gens divers sans jamais se placer au centre, telle une force gravitationnelle invisible qui prête mouvement et grâce aux autres corps..." (source : Wiképedia).

Comme néerlandophone, je lui dois une fière chandelle pour tous les auteurs qui ont écrit en néerlandais - Hollandais comme Flamands - que sa maison d'édition, sous son impulsion, a fait connaître en France et dans le monde francophone, en publiant leur oeuvre en version française.
Ce fut le cas de Hugo Claus, Harry Mulisch, Hella S. Haasse, Anna Enquist, Cees Nooteboom ... et tant d'autres écrivains et poètes.

Que ce romancier, poète ("Eros in Trutina") et essayiste (entre autres sur l'Algérie, Albert Cohen, Pierre Alechinsky etc.), se lançait également, à ses heures, dans les thrillers a sûrement de quoi surprendre et c'est cependant exactement ce qu'est : "Les belles infidèles", paru dans la collection Polar Sud, en 1991.

En linguistique, l'expression "belles infidèles" est réservée pour les libertés prises dans la traduction d'un texte.

La fille unique du riche et puissant promoteur Gaston Charmasson, Ludivine, 28 ans et ethnologue, épouse Ivan Jalabert, coopérant en Afrique, et qui manque à la cérémonie de mariage à l'hôtel de ville d'Avignon ? Justement... le père Gaston !
Louis Renoir, commissaire de la P.J. de Lyon à la retraite et témoin de Jalabert s'étonne, mais ne s'inquiète pas trop et essaie de rassurer l'épouse Carmen, qui elle panique. Il est vrai que Gaston mène une vie des plus actives : il y a ses affaires commerciales et extra-conjugales, entre autres avec sa "vamp" de secrétaire, Geneviève Brunetti.
Il est vrai également qu'à Louis Renoir les enquêtes policières ne l'emballent pas des masses. L'unique violon d'Ingres de ce veuf sans enfants est la traduction des livres. En passionné, il se procure des oeuvres traduites plusieurs fois et s'amuse à en faire des lectures comparatives.

Gaston, un prédateur qui adore le rouge-pourpre des lupanars, a surpris son futur gendre, dont il ne raffole pas du tout, le matin même du mariage à son hôtel pour avoir avec lui une conversation plutôt insolite. C'est du moins, ce que raconte Jalabert à Ludivine et Renoir. En réalité, il y a eu entre les 2 une altercation et une empoignade dans la boîte de nuit de Gaston "Apocalypse Now", qui ont forcé Pavel, un gorille à double colonne vertébrale et gardien des lieux, ainsi que Hassan Moktar, l'homme à tout faire de Gaston, à intervenir pour les séparer.
Renoir, le parrain de Jalabert, se sent obligé de mener sa petite enquête, bientôt rejoint, officiellement, par l'inspecteur avignonnais, Raoul Dutry, baptisé "le Capucin", à cause de sa coiffure.
Entretemps, le corps de Gaston est découvert dans sa bagnole : tué à coups de couteau dans le ventre.
Le duo Dutry et Renoir ont déjà 3 suspects : Jalabert, Pavel et Hassan. Auxquels il faut ajouter l'associé de Gaston, Luigi Rinaudi de Milan, qui a investi dans ses affaires, qui lui a prêté de l'argent et qu'il avait souhaité que Ludivine épouse.

Si vous croyez qu'il s'agit d'une simple énigme policière, vous vous trompez. C'est mal connaître les vastes connaissances littéraires de l'auteur et dans ce bref polar, Hubert Nyssen se montre digne de la citation d'Alberto Manguel. Non pas qu'il affiche ses connaissances à la façon d'un Yannick Haenel dans "Tiens ferme ta couronne" par exemple, mais au contraire avec modération et sagesse. Ainsi, l'inspecteur Dutry est un fanatique des syllogismes de Lewis Carroll dans "La chasse au Snark" et surtout "Alice au pays des merveilles", tandis que Renoir passe par Valery Larbaud et le seul Nobel belge, Maurice Maeterlinck.

Pour tout vous dire, j'avais choisi ce livre en hommage à Hubert Nyssen en reconnaissance de ses efforts pour notre littérature et j'ai été captivé par l'intrigue policière, la richesse littéraire, le style et l'humour. Un exemple de ce style : à Ludivine qui parle de son séjour en Sierra Leone, Renoir murmure, en passant, "À (Joseph) Conrad je préfère (Claude) Lévi-Strauss."
Mon dernier mot est pour Avignon, dont Mérimée a écrit : "En arrivant à Avignon, il me sembla que je venais de quitter la France." Indépendamment de la boutade de notre Prosper, j'espère pouvoir y retourner cet été.
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