AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,3

sur 644 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ai déjà lu tant d'ouvrages de Joyce Carol Oates que je pourrais me sentir blasée.
Oui, la grande dame de la littérature américaine enchaîne les réussites et je sais déjà tout d'elle, de sa capacité à prendre un sujet et l'étudier sous tous ses aspects, de son aptitude à créer des personnages marquants, de sa façon d'appuyer là où ça fait mal, de son talent pour fouiller l'âme humaine.
Elle ne peut plus me surprendre, non ?
Et pourtant...

Sur un thème ultra sensible, surtout aux États-Unis où il déchaîne les passions, Joyce Carol Oates a réussi une oeuvre magistrale.
Les meurtres de médecins pratiquant des avortements sont hélas fréquents outre-Atlantique et si une partie de la population s'en indigne, une autre les approuve.

Joyce Carol Oates ne cautionne rien, ne condamne rien non plus, elle se place en observatrice attentive et impartiale.
Avec le talent qui est le sien, le lecteur se doute d'emblée qu'il ne va pas perdre une miette de la situation, qu'il va tout connaître dans les moindres détails et qu'il va pouvoir étudier toutes les facettes d'un problème qui est bien moins manichéen qu'il ne semble de prime abord.
Tel un fabuleux grand reporter la grande dame de la littérature américaine vous donne accès à tout mais c'est à vous de réfléchir et, vu la qualité de ce que vous avez sous les yeux, la réflexion est riche et passionnante.

Deux hommes : le Docteur Augustus Voorhees, gynécologue exerçant dans une clinique dans laquelle sont pratiqués des avortements, et Luther Dunphy, membre d'une église intégriste. le second va assassiner le premier.
Au-delà de ces deux hommes, deux familles dont la vie va se trouver bouleversée.
Au-delà de ces deux familles, le regard de la société américaine, et en particulier celui de la justice.
Restant admirablement neutre de bout en bout, Joyce Carol Oates creuse chaque personnage et donne à chacun sa part d'ombre et sa part d'humanité.
Par le biais de la fiction, elle se livre à une analyse à la fois sociale, politique et sociologique de la société américaine qu'elle aime tant disséquer.
Le lecteur ne peut rester extérieur au texte, il ne peut demeurer simple témoin de ce qui se joue sous ses yeux : la romancière l'entraîne dans un tourbillon de réflexions et d'interrogations qu'elle fait naître en lui.
Quelle habileté, quel talent !

Une lecture époustouflante, qui secoue, et dont l'onde de choc subsiste bien longtemps après que l'on a tourné la dernière page.
Des questions en pagaille qui vous trottent dans la tête. En particulier celle-ci : mais qui sont donc les martyrs ?
Les médecins assassinés ? Les futurs bébés "empêchés de naître" ? Les soldats de Dieu ?

Je ressors éblouie de ce roman.
J'ai aimé me faire bousculer, j'ai aimé m'interroger sans cesse, mais au milieu de tous ces questionnements, une certitude m'apparaît plus que jamais essentielle : chacun peut avoir des croyances et des convictions, religieuses ou autres, mais doit se garder de vouloir les imposer aux autres.
Nul n'a le droit de nuire à autrui pour la simple raison qu'il ne pense pas comme lui. Chacun doit rester à sa place de simple mortel uniquement de passage sur terre car n'oublions pas que "Pour finir, il n'y a que... le silence. le monde sans nous."

Un livre prodigieux d'une écrivaine au sommet de son art.
Je ne peux qu'à nouveau poser la question : quand le jury va-t-il enfin décerner le prix Nobel de littérature à Joyce Carol Oates ?
Commenter  J’apprécie          427
Le 24 novembre 2022, pendant ma lecture, la France entamait le processus d'inscription du droit à l'IVG dans sa constitution. Un fait historique qui souligne à quel point le mouvement qui s'opère de l'autre côté de l'Atlantique est à l'opposé, et c'est la violence de cette opposition que JCO la grande spéléologue des cerveaux et de son temps vient éclairer de sa torche implacable.
Quel que soit le "martyr" qu'elle met en scène, le fou de Dieu tueur "d'assassin d'enfants" ou le médecin avorteur assassiné par ce tueur, elle ne nous épargne rien. Vraiment rien, jusqu'à l'insoutenable, jusqu'à explorer jusqu'au bout les conséquences d'un choix messianique pour l'un comme pour l'autre : les corps torturés par la balle du fusil, le bistouri, l'injection létale, les familles détruites, les enfants perdus, la violence des mots, l'antagonisme irréconciliable de deux Amériques dont l'une voit les ténèbres là où l'autre aspire à la lumière.
Un livre éprouvant, qui cogne sans relâche.
Commenter  J’apprécie          395
En 1999, Luther Amos Dunphy, un fanatique chrétien, abat deux hommes devant le Centre pour femmes de Muskegee Falls, dans l'Ohio : le médecin gynécologue Gus Voorhees qui pratique des avortements et l'homme qui assurait sa sécurité. À partir de cet événement, JC Oates nous brosse le portrait saisissant et impressionnant d'une Amérique déroutée, complexe, déchirée en deux.
D'un côté, l'Amérique pauvre et ouvrière de l'Ohio, où à 16 ans, on quitte rapidement l'école qui ne sert pas à grand chose, pour tenter de trouver du boulot. Les villes sont sans attrait, sans avenir et les gens du coin enclins à trouver en Jésus une raison d'espérer, voire une vocation. Être un bon chrétien, voilà une raison d'exister.
De l'autre, des gens ayant fait des études, issus de familles intellectuellement dominantes, engagés et militants pour les droits humains. Deux cultures, deux façons de voir le monde, l'une fondée sur une croyance et l'autre sur un idéal, dont l'antagonisme et l'incompréhension culminent ici dans la violence.
Mais réduire ce roman de JC Oates à une simple démonstration du combat entre pro et anti avortement serait un déshonneur pour cette femme de lettres brillantissime. Les personnages de l'auteure révèlent toujours à travers leur héroïsme leurs propres failles. Luther Dunphy est sincère dans sa "mission" de défendre les sans-défense mais se parjure lui-même en se croyant "choisi" comme soldat de Dieu. Gus Voorhees, quant à lui, est tellement convaincu de la légitimité de sa cause qu'il n'hésite pas à sacrifier sa propre famille, femme et enfants. Non, rien n'est simple chez Oates. Si elle révèle toute l'ignorance simpliste de la religion, elle n'hésite pas à taper sur les principes même du médecin charismatique Voorhees lors d'un échange avec sa mère sur l'avortement, personnage qui symbolise le plus le féminisme.
Les femmes. Comme toujours chez Oates, ce sont elles qui mènent le monde. Si les épouses, survivantes inconsolables des deux martyrs se noient dans leur chagrin, ce sont leurs filles respectives qui refusent ce désastre. Naomi Voorhees et Dawn Dunphy (personnage incroyable et bouleversant), chacune à leur manière, affrontent l'histoire de leurs pères et décident qu'elles sont bien vivantes.
Je pourrais encore en écrire des heures sur cette lecture totalement époustouflante mais ce roman est tellement dense dans tous les thèmes qu'il aborde, tellement fort avec ses personnages portés à bout de bras par l'auteure, qu'il apparaît infini. Religion, ambition, droits des femmes, santé publique, idéaux, filiation et transmission, famille et fratrie, peine de mort, deuil ... JC Oates nous emporte dans un tourbillon, avec des chapitres qui s'enchaînent comme des rounds sur un ring de boxe - sport bien connu de l'auteure qui occupe une grande partie du roman -, dévoilant la vie et le ressenti des différents protagonistes sur une douzaine d'années. Les 840 pages nous paraissent finalement bien vite passées lorsque l'on arrive à la fin, éblouissante.
Après "Les Chutes", je reste une nouvelle fois scotchée par le talent de cette femme. C'est ça, la magie de Oates.
Commenter  J’apprécie          378
Dans une petite ville de l'Ohio un matin de 1999, dans l'allée qui mène au « centre des femmes », un médecin, Augustus Voorhees, est tué par balles par Luther Dunphy, autoproclamé « soldat de Dieu ». Gus Voorhees était n° 3 sur la liste « les tueurs d'enfants parmi nous » du site de l'Armée de Dieu », lequel se retranche derrière le 1er amendement de la constitution des Etats-Unis (celui sur la liberté d'expression) pour réfuter l'accusation d'appel au meurtre. Gus n'est pas le premier médecin pratiquant des avortements légaux à être assassiné par des hommes se réclamant de Dieu.

Joyce Carol Oates s'empare de ce combat sociétal qui continue à agiter les Etats-Unis pour écrire un roman-fleuve qui nous met au coeur des deux points de vue. En quatre parties, nous vivons le drame et ses conséquences sur les deux familles impliquées malgré elles. La force de l'auteure est de réussir à évoquer le point de vue des « pro-life » et celui des défenseurs de l'avortement sans jamais adopter une position moralisante.

Pourtant il est compliqué pour moi de me plonger dans la tête de Luther Dunphy et de sa famille, d'entendre leur argumentation. Mais le talent de JCO va au-delà des positions partisanes. En nous menant sur les pas de Naomi Voorhees, et de Dawn Dunphy, les filles de la victime et du tueur, elle nous permet de les accompagner sur la route du deuil, de la résilience (si elle est possible), de la recherche d'un sens à toute cette histoire. Elle s'adresse à tous, quel que soit le point de vue sur la religion, sur l'avortement, et dresse le portrait d'une société divisée en nous démontrant que malgré nos divergences nous avons beaucoup en commun.

Le récit est polyphonique. Il y a Luther Dunphy, croyant bourré de complexes, qui n'a pu devenir l'homme de Dieu qu'il espérait être, mais persuadé qu'il obéit à Jésus. Il y a sa femme Edna Mae qui ne se remettra jamais de la perte de leur petite fille dans un accident de voiture. Il y a leur entourage, une communauté soudée dans ses croyances. Il y a Jenna, l'épouse de Gus Voorhees qui sombrera dans la dépression, ne pourra affronter la vie d'après avec ses enfants. Il y a les parents de Gus et de Jenna qui prendront le relai. Il y a Dawn, la fille ainée de Luther, enfant et adolescente souffre-douleur, mal dans sa peau, mal dans sa vie, incapable de suivre une scolarité normale. Il y a Naomi, la fille ainée de Gus qui dix ans durant cherchera une vérité et finira par trouver la sienne. Il y a l'amour et la haine. Il y a surtout beaucoup de solitude pour tous et une multitude de voix qui se font éclairantes sous la plume vertigineuse de Joyce Carol Oates, nous poussent à voir au-delà de nous préjugés et à ôter nos oeillères.
Commenter  J’apprécie          356
Joyce Carol Oates montre dans ce formidable livre une Amérique en guerre : le terme peut paraître fort mais, dans le vocabulaire même choisi (ennemi, combattre, soldat de Jésus, armée de Dieu..), il s'agit bien d'une guerre entre les pro-life et les pro-choix, entre des chrétiens d'une Amérique rurale et des médecins de santé publique et ceci à travers l'histoire de deux hommes et de toute leur famille.
Joyce Carol Oates a écrit ce roman en 2017 et depuis le droit à l'avortement n'a jamais été autant d'actualité aux Etats-Unis.
Ce roman est magistral car Joyce Carol Oates réussit avec un immense brio à tisser des liens que l'on aurait cru impossibles entre deux hommes si diamétralement opposés.

Tout du long de ce riche et fascinant roman, le lecteur se pose aussi cette question cruciale: qui est le martyr du titre : celui qui meurt au nom de Dieu ou celui qui devient un héros parce qu'il est mort pour une cause (le droit des femmes à disposer de leur corps) ?
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
Commenter  J’apprécie          350
J' avoue que je ne sais pas par où commencer pour vous parler du dernier roman de Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains. Par mon admiration devant cette auteure capable d'écrire un roman de 800 pages aussi riche et complexe et à la productivité stupéfiante ? Par cette rencontre qui n'a pas été immédiate ? Il m'a fallu un certain temps pour rentrer dans l'histoire (heureusement que je n'ai pas lâché ce livre pour autant) et puis soudain, malgré ma lenteur de lecture, j'avais envie de connaître la suite, d'en savoir plus sur chacun des protagonistes.

Une Amérique en guerre
Le terme peut paraître fort mais dans le vocabulaire même choisi (ennemi, combattre, soldat de Jésus, armée de Dieu..), il s'agit bien d'une guerre entre les pro-life et les pro-choix, entre des chrétiens d'une Amérique rurale et des médecins de santé publique et ceci à travers l'histoire de deux hommes et de toute leur famille. Joyce Carol Oates a écrit ce roman en 2017 et depuis le droit à l'avortement n'a jamais été autant d'actualité aux Etats-Unis.

Un livre de martyrs américains s'ouvre sur le meurtre du médecin Augustus Voorhees par Luther Dunphy. Joyce Carol Oates s'attarde sur la jeunesse de ce « soldat de Dieu », sur son comportement avec les filles, sur son cheminement et comment il se sent « sauvé » par l'église. Si l'auteure adopte un point de vue neutre, je l'ai trouvé pour ma part très antipathique (raciste, prêt à étouffer sa femme dans un moment de rage) et je me suis demandée comment j'allais pouvoir passer plus de 800 pages avec lui !

Heureusement dans le chapitre suivant, Joyce Carol Oates adopte le point de vue de Naomi, une des filles du Dr Augustus Voorhees et c'est à ce moment précis, que j'ai commencé à avoir réellement envie, chaque soir, de me replonger dans ce pavé.

Pourquoi Un livre de martyrs américains est un grand roman
Ce roman est d'une telle richesse qu'il est difficile d'en isoler certains éléments en particulier. Néanmoins une scène m'a frappé et témoigne pour moi du génie de l'écrivaine : celle du coup de fil, celle où on annonce à la femme du docteur qu'on a tiré sur son mari et probablement de manière mortelle. Cela m'a rappelé cette fabuleuse scène d'ouverture de Daddy Love où l'auteure décrit la même séquence sous différents angles faisant monter une pression incroyable.

Dans cette scène du coup de fil, on perçoit tout : le basculement, l'avant/après, l'effondrement, la fragilité des choses et le côté éphémère de la vie.

Joyce Carol Oates a une façon de revenir sur certains détails, certaines minutes comme si elle tenait à la main d'abord un crayon de papier, puis un feutre puis de la peinture pour ajouter des nuances de couleurs. Il n'y a jamais de facilité, de binarité. le tableau est complexe et vibrant.

Ce roman est magistral car Joyce Carol Oates tisse des liens que l'on aurait cru impossibles entre deux hommes si diamétralement opposés. En effet les enfants de l'assassin comme ceux du médecin tué doivent changer d'école, changer de ville et sont l'objet de tous les regards, mis au banc pareillement. Leur mère, de façon différente, est absente et chacune chute face au drame.

Et puis qui est le martyr ? Celui qui meurt au nom de Dieu ou celui qui devient un héros parce qu'il est mort pour une cause (le droit des femmes à disposer de leur corps) ?

Au fil des pages, on suit les différents procès et comment ils sont vécus par les deux familles. Je ne peux pas vous en dévoiler davantage mais il y a une scène particulièrement terrible vue par les yeux d'un surveillant de prison, le genre de scène qui marque la mémoire à vie.

Plus j'ai avancé dans ma lecture et plus j'ai eu l'impression d'un kaléidoscope complexe, rendant l'histoire d'autant plus palpable, crédible, « vraie ». Kaléidoscope du fait du nombre de points de vue différents sur la même histoire, kaléidoscope car dans la grande histoire, il y a des dizaines et quelle talent de conteuse a Joyce Carol Oates.

Un livre de martyrs américains n'est pas seulement le destin de deux hommes et le portait d'une Amérique déchirée, c'est aussi celui de deux femmes : Naomi la fille du médecin et Dawn, celle de son assassin. Toutes les deux sont obsédées par la mémoire de leur père. le meurtre change totalement le cours de leur vie jusqu'à un final qui m'a laissé sans voix !

Impossible de ne pas citer l'immense travail de traduction de Claude Seban, traductrice de Joyce Carol Oates depuis 23 ans !

Ne vous laissez pas impressionner par le nombre de pages, prenez le temps qu'il faudra (la lecture n'est pas une course ou une compétition) mais ne passez pas à côté de ce roman incroyablement puissant !
Lien : http://www.chocoladdict.fr/2..
Commenter  J’apprécie          326
Wouah, quelle oeuvre ! On retrouve dans cet extraordinaire roman plusieurs des thèmes chers à J.C.Oates, les filles, les mères, la boxe, le deuil, les classes sociales, la résilience, la fuite, la peine de mort... qui s'articulent ici autour du grand débat de l'avortement, polarisé autour des deux figures paternelles, chacun champion de son camp… Le combat oppose d'une part, dans le coin gauche, le ''médecin avorteur'' qui défend les féministes, athés et socialistes ''pro-choix'' et dans le coin droit, le ''soldat de Dieu'' qui défend les fondamentalistes ultra-religieux ''pro-vie''. (Vu d'ici au Québec, on oublie à quel point la droite religieuse a d'emprise sur des larges pans de la population des É-U si proches et si loin de nous...) Le ''soldat de Dieu'' tuera le ''médecin avorteur'' à bout portant, dans le stationnement de la clinique... (basé sur un fait vécu)... Pour être ensuite éliminé par l'État (peine de mort) après plusieurs années d'incarcération...

La construction de l'ouvrage est brillante, avec son écriture précise, ciselée, Madame Oates nous entraîne dans un de ces entonnoirs dont elle a le secret. La dialectique est son terrain de prédilection ! Comme dans tous ses livres, elle creuse, cherche à comprendre les motivations de l'Autre, éclairant son sujet de multiples points de vue. Le véritable sujet du roman est le vécu des deux familles survivantes au départ/martyrs(?) des pères, et en particulier, celui des deux filles, Dawn et Naomi, les orphelines, leur résilience, comment elles arrivent à vivre leur vie, fille de père assassin, fille de père assassiné.

Parmi les meilleurs d'une des meilleures, à consommer sans modération.
Commenter  J’apprécie          292
Dans l'État de l'Ohio, en novembre 1999, devant une clinique où l'on pratique des avortements, Luther Amos Dunphy, « soldat de Dieu », va commettre un assassinat et un meurtre. Il va d'abord tirer sur Augustus (Gus) Voorhees, gynécologue et accoucheur réputé qui pratique aussi des avortements, et sans préméditation, sur M. Barron, ancien marine, accompagnateur chargé de la sécurité du docteur. Le tireur, Luther Amos Dunphy, est le narrateur de la première des cinq parties de ce gros et passionnant roman (860 pages).
***
Je suis une inconditionnelle de Joyce Carol Oates, tout en reconnaissant bien volontiers que sa pléthorique production se révèle inégale… J'ai eu peur, à la lecture de la première partie, que ce roman-ci ne me plaise pas. J'avoue que la fréquentation de Luther Amos Dunphy m'a été particulièrement pénible. Ce fanatique religieux, à qui Dieu et Jésus parlent, misogyne, raciste, habité par des pulsions de meurtre (pas seulement envers les pro-choix !), infidèle, narcissique rejetant toujours ses fautes sur les autres, incapable de se remettre en question, tourmenté par une sexualité dont il a honte, m'a paru franchement détestable et a suscité bien peu d'empathie de ma part dans un premier temps… Heureusement, dès la deuxième partie, Joyce Carol Oates donnera la parole à plusieurs narrateurs qui interviendront longuement ou brièvement, que ce soit à la première ou à la troisième personne, pour nous proposer une sorte de parallèle entre la manière dont les deux familles vont appréhender la vie après cette tragédie, jusqu'en 2012. Tous nous tendent un miroir de l'Amérique contemporaine, des républicains purs et durs aux démocrates ouverts d'esprit, mais en passant par toutes les nuances des palettes politiques et religieuses. On suivra alternativement la famille Voorhees (Naomi, Darren et Melissa, les enfants, ainsi que Jenna, leur mère) et la famille Dunphy (essentiellement Dawn, une des filles, et Edna May, la mère), sans oublier Luther qui attend son procès en prison, Naomie et Dawn étant les personnages principaux.
***
Nous verrons donc vivre les Dunphy, une famille de « petits Blancs », républicains fanatiques religieux, peu instruits, issus d'un milieu modeste, et les Voorhees, démocrates, universitaires, cultivés, relativement à l'aise financièrement, généreux, ouverts d'esprit et pleins d'humour. Le roman n'est pourtant pas manichéen, même si ce que je viens d'écrire pourrait le faire croire, parce que J. C. Oates s'attache à présenter les conséquences qu'impliquent les positions tranchées des deux pères, défenseurs acharnés de leurs engagements respectifs : les deux familles souffrent de leurs convictions bien avant l'assassinat. Après, les retombées sur les uns et les autres sont désastreuses psychologiquement, bien sûr, mais aussi socialement : chaque membre de chaque famille se retrouve être l'épouse ou l'enfant d'un assassin… Assassin d'un médecin réputé et adoré par ses patientes pour les Dunphy, assassin d'enfants de Dieu, avorteur infâme pour les Voorhees, dans les deux cas, un héritage très lourd à porter. Comme toujours, l'auteure présente des personnages secondaires extrêmement fouillés et particulièrement intéressants qui font entendre un autre son de cloche. Dans ce roman, ce rôle est dévolu à deux personnages auxquels je me suis particulièrement attachée : Madelena, la grand-mère paternelle de Naomi, personnage entièrement autonome, intensément libre d'esprit, respectueuse de la liberté d'autrui, et Karl Kinch, le provocateur, le personnage « poil à gratter », si j'ose dire, qui pose toujours les bonnes questions auxquelles il n'apporte jamais les réponses. Par ailleurs, je suis chaque fois admirative de la manière dont J. C. Oates utilise l'italique et les parenthèses, donnant à son texte une saveur, une couleur particulières. Un vrai plaisir de lecture, particulièrement propice à la réflexion sur ce sujet clivant à une époque où le droit des femmes à disposer de leur corps régresse dans de nombreux pays.
Commenter  J’apprécie          290
Il m'aura bien fallu du temps pour digérer cette lecture. Plus d'un mois que je l'ai terminée, et je me sens seulement maintenant capable d'exprimer ce que j'ai pu ressentir à la découverte de cette histoire d'un drame états-unien malheureusement banal, mais décortiqué d'une plume de maître par Joyce Carol Oates.

Effectivement, et plus encore depuis l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade, l'accès à l'IVG est un puissant cheval de bataille dans le pays : les anti et pro s'affrontent à ce sujet, plus ou moins violemment, et le meurtre d'Augustus Voorhees, médecin progressiste qui pratique des IVG dans diverses cliniques du Midwest, au gré des menaces qui les environnent, sa famille et lui, par Luther Dunphy, convaincu d'être un soldat de Dieu qui doit protéger les « enfants » à naître « sacrifiés » par le Dr Voorhees, ne vient que montrer un état de fait qui s'est en effet réellement déjà produit à plusieurs reprises.

Par ce meurtre, et ses conséquences, notamment sur les familles des protagonistes, l'un dont l'on découvre l'existence par l'intermédiaire de sa fille Naomi, principalement, l'autre par la description de sa situation en prison, mais aussi par l'intermédiaire de sa propre fille, Dawn, c'est la fracture qui finit de se fissurer entre deux mondes qui nous est peinte avec une précision chirurgicale, et qui nous mènera finalement vers un chemin inattendu, dans lequel l'on peut bien parler de « martyr » au pluriel.

Et le plus fort, sûrement le plus difficile à digérer, surtout lorsque l'on est soi-même pro-IVG et franchement athée, c'est la capacité qu'a l'autrice à nous présenter ces deux mondes comme ils sont, sans aucun jugement, afin de mieux faire prendre conscience au lecteur que, de chaque côté, il y a, finalement, une forme d'extrémisme, même si l'un est effectivement moins virulent et funeste que l'autre. Et cela m'a ramenée, avec beaucoup de pertinence, à des questions que je m'étais moi-même posé quant à l'accession de Donald Trump à la présidence, au fait que j'ai dépassé la simple critique de l'état de fait pour essayer de comprendre les raisons et les mécanismes qui y ont mené – cela fonctionne aussi pour la France, désormais.

Encore une fois, Joyce Carol Oates m'a poussée dans mes retranchements, peut-être encore plus que d'habitude, en m'obligeant à voir de l'humain là où je ne souhaitais vraiment pas en voir, sans prendre parti, juste en me racontant des vies, elles aussi terriblement banales, comme le drame qui les noue, dans les États-Unis d'aujourd'hui.

Encore et toujours malaisant, encore et toujours brillant, en somme.
Commenter  J’apprécie          289
Une lecture achevée quelques jours avant que Donald Trump affirme son soutien au mouvement anti-avortement en faisant une allocution lors de la quarante-septième marche Pro-Life à Washington. Cette Marche pour la vie a lieu depuis 1973, le jour de l'anniversaire de Roe v.Wade, jour marqué par la légalisation de la pratique de l'avortement par la cour suprême des Etats-Unis.
Je n'ai pas aimé ce que j'ai entendu.
Parce qu' à l'instar du personnage de Gus Voorhees, dans le livre de Joyce Carol Oates, un médecin "avorteur", porte-parole de la médecine de santé publique et champion du droit des femmes, j'adhère plus que tout à l'idée que la grossesse est un choix. Une femme doit avoir la maîtrise de son corps, c'est un droit humain fondamental.
Je fustige l'hypocrisie plus que tout également. Parce que le jour où la fille d'une "marcheuse pro-vie" se fera violée, ou parce que c'est son oncle, son père, son frère, ou parce que le père est marié ou que simplement elle perdrait son travail si elle avait un enfant...elle ira mendier les services d'un médecin, lui implorera de lui venir en aide, de lui sauver la vie, sa vie et celle de sa fille. Un secret avec lequel il faudra vivre parce qu'il ne faudrait pas que la communauté l'apprenne sous peine d'être la honte de sa famille.

" Il répéta ce qu'il avait dit. Et le répéta encore. Car beaucoup de ce qu'il disait à ces femmes désemparées devait être dit et répété plusieurs fois. Une bonne dizaine de fois. Viol sur mineure. Trop jeune pour consentir. le signaler. Loi de l'État. Crime grave. Cet enfant est une victime. Et la mère s'écria Non ! Je vous en prie, docteur, ce serait la fin de notre famille.Elle l'implorer d' « arranger les choses ». "

Les pro-Vie revendiquent le droit à la vie. Aucun enfant n'a envie de mourir, bien sûr, on est d'accord. Ce qui m'irrite, c'est que cette leçon est dictée, inculquée avec colère, menace et violence. Sous le voile d'une conviction religieuse déformée et pervertie, les fervents pro-life dérapent (c'est mon avis), ils attaquent, insultent, font des sitings devant les centres pour femmes, interpellent, agressent les patientes et puis, il y a ces illuminés, braves soldats de Dieu qui osent des mesures extrêmes et commettent l'irréparable. En obéissant aux ordres divins, ils se pensent au-dessus des lois et aux yeux de la communauté leur homicide est justifiable.
Je partage les principes de ce médecin avorteur, protagoniste emblématique du récit de Joyce-Carol Oates : des principes féministes d'égalité et de dignité aussi inattaquables que des vérités scientifiques, et que des femmes soient avilies et exploitées, sans doute de leur plein gré, me fait sortir de mes gonds !

" [...] des ouvrages de « sagesse » - textes sacrés des grands religions, apologies de l'oppression, de l'ignorance, de la superstition, du pacifisme face à la tyrannie politique. Sans parler de l'asservissement et du mauvais traitement des femmes. Aucune « sagesse» ne mérite autant d'ignorance [...]. Une ignorance qui avait pour furoncle la haine de la science. "

J'ai dérapé ! Désolée pour ce coup de gueule, pas pu me retenir. Je cesse sur le champ de vitupérer ;-) pour parler du livre en lui-même, parce que ce livre mérite vraiment qu'on s'y attarde un peu. Il faut dire que le thème de l'avortement passionne les foules et divise l'opinion publique.

" La guerre ? Que voulaient-ils dire ? Je pensais qu'ils parlaient d'une guerre comme celle du Vietnam ou de la Corée...Il me fallut un certain temps pour comprendre qu'ils parlaient d'une guerre à l'intérieur des États-Unis, chrétiens contre athées, pour l'âme de l'Amérique. "

Le livre donc :
Quelle prouesse ! Quel portrait saisissant et subtile de ce pays déchiré, oppressé, par les ressentiments, les inimitiés, les aigreurs ! Un portrait inspiré d'un fait-divers : le meurtre d'un médecin avorteur dans l'Ohio dans les années 90. Il y a bien sûr quelques longueurs parmi ces quelques 850 pages, mais il y a surtout une structure qui tient le lecteur en haleine, des personnages fragiles, touchants, empreints de paradoxes qui apportent une vraie richesse à ce récit. Un récit foisonnant de détails, qui chamboule l'intellect et pousse le lecteur à la réflexion, parce qu'au-delà des faits et des motivations, ce sont les conséquences que Joyce-Carol Oates nous donne à voir et qu'elle dépeint avec beaucoup de talent.
Un grand roman. Passionnant. Important. A lire !

" Dans sa naïveté d'enfant, il s'était imaginé ou avait peut-être souhaité imaginer que l'hostilité était idéologique, politique.Leurs croyances s'opposent aux nôtres, avait expliqué Gus. le débat devra trouver sa conclusion dans les isoloirs de ce pays. "
Lien : https://seriallectrice.blogs..
Commenter  J’apprécie          287




Lecteurs (1623) Voir plus



Quiz Voir plus

Joyce Carol Oates (difficile si vous ne connaissez pas son oeuvre)

Un des nombreux romans de Joyce Carol Oates est consacré à Marilyn Monroe. Quel en est le titre ?

Corps
Sexy
La désaxée
Blonde

10 questions
382 lecteurs ont répondu
Thème : Joyce Carol OatesCréer un quiz sur ce livre

{* *}