AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,3

sur 644 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il m'aura bien fallu du temps pour digérer cette lecture. Plus d'un mois que je l'ai terminée, et je me sens seulement maintenant capable d'exprimer ce que j'ai pu ressentir à la découverte de cette histoire d'un drame états-unien malheureusement banal, mais décortiqué d'une plume de maître par Joyce Carol Oates.

Effectivement, et plus encore depuis l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade, l'accès à l'IVG est un puissant cheval de bataille dans le pays : les anti et pro s'affrontent à ce sujet, plus ou moins violemment, et le meurtre d'Augustus Voorhees, médecin progressiste qui pratique des IVG dans diverses cliniques du Midwest, au gré des menaces qui les environnent, sa famille et lui, par Luther Dunphy, convaincu d'être un soldat de Dieu qui doit protéger les « enfants » à naître « sacrifiés » par le Dr Voorhees, ne vient que montrer un état de fait qui s'est en effet réellement déjà produit à plusieurs reprises.

Par ce meurtre, et ses conséquences, notamment sur les familles des protagonistes, l'un dont l'on découvre l'existence par l'intermédiaire de sa fille Naomi, principalement, l'autre par la description de sa situation en prison, mais aussi par l'intermédiaire de sa propre fille, Dawn, c'est la fracture qui finit de se fissurer entre deux mondes qui nous est peinte avec une précision chirurgicale, et qui nous mènera finalement vers un chemin inattendu, dans lequel l'on peut bien parler de « martyr » au pluriel.

Et le plus fort, sûrement le plus difficile à digérer, surtout lorsque l'on est soi-même pro-IVG et franchement athée, c'est la capacité qu'a l'autrice à nous présenter ces deux mondes comme ils sont, sans aucun jugement, afin de mieux faire prendre conscience au lecteur que, de chaque côté, il y a, finalement, une forme d'extrémisme, même si l'un est effectivement moins virulent et funeste que l'autre. Et cela m'a ramenée, avec beaucoup de pertinence, à des questions que je m'étais moi-même posé quant à l'accession de Donald Trump à la présidence, au fait que j'ai dépassé la simple critique de l'état de fait pour essayer de comprendre les raisons et les mécanismes qui y ont mené – cela fonctionne aussi pour la France, désormais.

Encore une fois, Joyce Carol Oates m'a poussée dans mes retranchements, peut-être encore plus que d'habitude, en m'obligeant à voir de l'humain là où je ne souhaitais vraiment pas en voir, sans prendre parti, juste en me racontant des vies, elles aussi terriblement banales, comme le drame qui les noue, dans les États-Unis d'aujourd'hui.

Encore et toujours malaisant, encore et toujours brillant, en somme.
Commenter  J’apprécie          289
One morning, Luther Dunphy, a devout catholic, shoots Gus Voorhees, a doctor who performs abortions. On both sides, a wife and children. Beginning at the level of the two men, the story alternates through a multi-layered structure between the two perspectives and slowly gives us to hear the voices of the wives and then the two daughters. This novel feels like a house of cards. A single act at the top, and two entire families come toppling down. No one will emerge from this story unscathed. This gripping, topical novel tackles weighty moral issues and explores the human cost of ideological extremism. It is difficult to finish this book without being disturbed.
Lien : https://redheadwithabrain.ch..
Commenter  J’apprécie          40
Muskegee Falls, Ohio, 2 novembre 1999.
Une journée comme une autre, ou plutôt qui n'aurait pas du être différente d'une autre.
Mais…..
Lorsque Augustus « Gus » Voorhees, médecin arrive au centre des femmes de la petite ville dans lequel il officie depuis quelques mois, il est « attendu » comme tous les jours par des opposants à l'avortement.
Gus Voorhees est l'un de ces médecins qui pratiquent l'avortement dans cette Amérique profonde prenant ainsi des risques considérables.
Mais ce matin-là, un homme a décidé que Gus Voorhees qu'il considère comme un criminel à grande échelle le comparant même aux médecins nazis, a décidé de passer à l'action.
Cet homme s'appelle Luther Amos Dunphy, il est catholique fondamentaliste, membre de « l'Armée de Dieu » et engagé dans une branche encore plus extrémiste appelée « Operation Rescue ».
Il ne va donc pas hésiter à abattre à bout portant Gus Voorhees et Tim Barron un ancien Marine vétéran de la guerre du Viêt-Nam engagé pour protéger Gus.
Gus était menacé il le savait, lui le médecin qui aurait pu comme son père choisir la médecine privée et engranger des millions de dollars, passer ses soirées dans des cocktails mondains, ses week-ends sur le green des golfs et ses vacances avec sa famille en visitant le monde.
Mais Gus avait choisi la médecine publique et surtout plus spécialement de s'occuper des femmes et de leur permettre le choix de ne pas continuer une grossesse non désirée ou à risque.
Oui Gus était menacé, il était même le numéro trois de la liste « Avis de recherche : les tueurs d'enfants parmi nous » qui recensait des médecins à éliminer.
Luther Amos Dunphy issu de cette population de blancs pauvres peu éduqués (Luther avait du mal à lire, et d'ailleurs ne connaissait pas d'autres livres que la Bible) vivant essentiellement dans ces petites localités rurales où le chômage et l'alcool sont un fléau.
Luther, qui, pour très croyant qu'il était, était en fait un homme violent et infidèle, dont l'épouse toute aussi exaltée que lui (c'était d'ailleurs elle qui l'avait fait entrer au sein de l'Eglise missionnaire de Jésus de Saint-Paul) n'était qu'une ombre.
Et Joyce Carol Oates va nous conter la vie de Gus et celle de Luther pour essayer de savoir comment un tel drame a pu se produire.
Mais surtout elle va s'attacher à l'après, et comment Jenna la femme de Gus que l'on pourrait qualifier « d'intellectuelle de gauche » et comment Edna Mae la femme de Luther qui elle est une « extrémiste religieuse » vont poursuivre leur vie.
Elle va aussi s'intéresser aux enfants, Gus en avait 3 et Luther 4, et surtout à Naomi Voorhees et à Dawn Dunphy qui avaient 12 ans quant le père de la première a été assassiné par le père de la seconde.
Une lecture très déstabilisante, et surtout s'il fallait encore le démontrer, la preuve que le fossé ou plutôt l'abysse qui sépare ces deux conceptions (pro-life / pro-choix) est énorme et qu'au lieu de se refermer il se creuse de plus en plus, alors que le droit à l'avortement est un droit qui recule dans de plus en plus d'états, notamment ceux de cette Amérique profonde que nous décrit Joyce Carol Oates.
Mais en France, alors même que ce droit vient d'être scellé dans la Constitution de notre pays, il y a aussi des opposants qui s'ils ne vont pas jusqu'à tuer les médecins n'en mènent pas moins des actions virulentes.
Un sujet grave qui certainement divisera pendant encore longtemps « pro » et « anti ».
Commenter  J’apprécie          143
Un uppercut.
Le combat ne cesse d'imprégner ce roman très fort avec au centre la question de l'avortement aux Etats-Unis.

L'autrice parvient dès le début à diffuser de la consternation et de la réflexion avec des sujets d'une grande sensibilité, touchant aux convictions profondes, religieuses, idéologiques.
Cause des femmes. Mouvements anti-avortement. Foi. Fanatisme religieux. Deuil. Complexité des liens familiaux.

Le 2 novembre 1999, Luther Dunphy – marié, père de famille, se dirige vers le Centre des femmes d'une petite ville de l'Ohio, il va tirer sur le Dr Augustus Voorhees, l'un des « médecins avorteurs » de l'hôpital, marié et père de famille lui aussi.
Le récit détricote les mécanismes et met à jour les circonstances, le cheminement, avec l'acte criminel commis ; et, l'avalanche de conséquences provoquée.
Une analyse fouillée et pertinente.
Une réflexion d'une extrême finesse psychologique.

JCO dissèque avec talent les circonstances et conséquences depuis différents points de vue exposés ; marquant un clivage au sein de la société américaine en deux groupes quasi irréconciliables, et mettant en scène plusieurs personnages des deux familles directement impliquées dans cette histoire.
Ce roman explore des sujets clivant au coeur d'une société ébranlée dans ses fondements.

L'autrice parvient à décrire des scènes très rudes, réussissant à heurter (de mon avis) ses lecteurs.
Elle explore la psyché humaine dans ses confins les plus opaques et complexes, et offre un portrait de l'Amérique époustouflant et inquiétant.

Un roman social, dense et captivant qui alterne différents angles narratifs, méritant donc de maintenir l'attention tout au long de ce « pavé ».
La référence du titre est mentionnée dans les premières pages du roman, et celles bibliques sont nombreuses, apportant une certaine dimension au récit.

Une lecture profondément marquante.
A mon sens, un très bon JCO que je recommande vivement.
Merci pour notre lecture commune à @Flaubauski @Marie2406 et @Libertybojangles
*
En 2022 la Cour suprême des Etats-Unis annulait un arrêt fédéral (Roe vs Wade) garantissant depuis 1973 le droit d'avorter dans tout le pays.
Depuis lors, chaque état est libre de légiférer en la matière.
L'abrogation de ce droit constitutionnel par les juges conservateurs marque un retour historique, et apporte un éclairage supplémentaire à ce roman écrit en 2017, donc antérieurement à cette actualité.
Un profond retentissement donc avec ce roman.

Notons qu'en France, depuis la loi de 1975 que nous devons à Madame Simone Veil, l'avortement est dépénalisé. Au moment où j'écris ma critique, le Parlement français inscrit dans la Constitution la liberté des femmes de recourir à l'IVG.
« La France devient le premier pays au monde à faire explicitement référence à la notion d'interruption volontaire de grossesse dans son texte fondamental » (source : gouvernement.fr/actualite).
Pour autant, le sujet reste brûlant d'actualité, dans certains milieux, et dans de nombreux pays encore.
Je publie ma critique en cette journée internationale des Droits de la femme.
Commenter  J’apprécie          190
Un livre de martyrs américains est un roman qui s'ouvre sur une déflagration au sens propre du terme, une double déflagration d'ailleurs. Nous sommes le 2 novembre 1999. Luther Dunphy prend la route du Centre des femmes de la petite ville de Muskegee Falls dans l'Ohio et tire sur le Dr Augustus Voorhees, obstétricien et directeur du centre, l'un des « médecins avorteurs » de l'hôpital, le tuant à bout portant, puis il dirige son arme vers l'homme qui se tenait aux côtés du médecin, chargé d'escorter ce dernier, tire, le tuant lui aussi...
Luther Dunphy appartient à ce groupe social qui se désigne sous l'appellation d'Armée de Dieu et qui a ses propres codes. Dès les premières pages nous sommes plongés avec sidération et dans un sentiment de malaise total dans la tête de ce « soldat du Christ », un évangéliste américain, anti-avortement et je reconnais que cela a de quoi décontenancer le lecteur.
Non il n'y aucune erreur dans le propos que je vous relate, je vous assure que l'histoire débute bien en 1999 et non en 1935 ou en 1955. Je crois bien qu'elle pourrait se passer exactement de la même façon en 2024.
Comment comprendre l'Amérique et ses fractures ? Cette Amérique divisée en deux clans sans doute irréconciliables pour longtemps... C'est en effet un récit qui plonge en apnée dans l'Amérique profonde et en même temps à visage ouvert, de plus en plus visible, c'est presque comme une guerre civile... de plus en plus visible est ce creuset de l'ignorance et de la superstition. Suintant de ces zones grises de la société américaine, la manière dont ce fondamentalisme s'incarne, s'enracine, se propage dans une société, quelle qu'elle soit, est juste terrifiante.
Tout au long des 864 pages que compte cet imposant roman choral publié en 2017, Joyce Carol Oates dissèque le débat sur l'avortement qui agite le pays depuis l'arrêt Roe vs Wade en 1973. Ce roman nous plonge dans les affres d'un pays complexe, un texte qui ne l'est pas moins, indispensable peut-être pour mieux comprendre, par exemple, pourquoi la nomination par Donald Trump en 2020 de la juge conservatrice Amy Coney Barrett a tant déchaîné les passions et pourquoi cette nomination préparée dans une intention tactique a entraîné le 24 juin 2022 l'abrogation du droit constitutionnel à l'avortement par la Cour suprême des États-Unis.
Voilà pour le contexte sociopolitique ! le reste, c'est une fiction qui laisse sans répit, à peine une fiction, tant on sent que l'histoire qui nous est racontée ici est empreinte d'une réalité palpable, à fleur de peau, sidérante.
Dès les premières pages, j'ai senti les relents d'une certaine Amérique à plein nez, l'Amérique divisée, l'Amérique cassée en deux, peut-être depuis toujours, depuis qu'elle existe, c'est un portrait sans concession, multidimensionnel d'une Amérique déchirée par ses passions et ses contradictions.
À partir de la première scène fondatrice du roman qui est d'une violence inouïe, j'ai été littéralement emporté dans la suite d'un récit polyphonique intense, malgré mes premières hésitations, malgré l'inconfort des premières pages... La suite du récit, c'est tout d'abord un retour en arrière sur les deux protagonistes, le passé de ces deux hommes, l'un protestant évangélique membre de l'Église missionnaire de Jésus de Saint-Paul, enferré dans l'absolutisme de sa religion, tandis que l'autre, médecin ayant une vision libérale du soin, est un infatigable militant pour le droit des femmes à disposer de leurs corps.
La déflagration sera temporelle, elle va se propager dans les familles respectives des deux protagonistes principaux du roman, plus loin qu'eux, jusqu'à leurs enfants... Ce seront deux familles dévastées, épouses et enfants... Dans les cendres de leurs histoires, surgissent deux filles, les deux filles aînées des deux familles, l'une s'appelle Dawn Murphy et l'autre Naomi Voorhees...
C'est à cet endroit que j'ai totalement été emporté dans le flux de conscience de ces deux personnages féminins. Plus que des flux de conscience, ce sont deux trajectoires que nous sentons brusquement tendues l'une vers l'autre, inexorablement.
C'est sans doute aussi à cet endroit que la qualité narrative de Joyce Carol Oates assène des uppercuts, la manière dont elle s'empare du destin de ces deux jeunes femmes qui ne sont pour rien dans la tragédie survenue mais dont l'existence en sera marquée à jamais. Joyce Carol Oates donne voix à leurs itinéraires chaotiques, la complexité et les contradictions qui animent les personnages de cette histoire cristallisée par la question de l'avortement.
Bien sûr, il est impossible de ne pas entrer en empathie ni en résonance avec certains des personnages de ce roman, mais la force de Joyce Carol Oates est de nous délivrer un récit qui est tout autre chose qu'un pamphlet manichéen contre les anti-avortements et c'est là sans doute la puissance de son propos.
Se retrouver dans la tête d'évangélistes anti-avortement fut dès les premières pages de ce roman une expérience malaisante, mais je n'y ai décelé aucune complaisance de l'autrice envers la cause de ces croisés. Elle nous invite à nous approcher au plus près d'eux, chercher à comprendre leur dessein, plutôt que les juger ou les condamner de manière dogmatique, esquisser tout en nuances les conséquences effroyables de leurs actes. Je n'ai cependant eu aucun doute, Joyce Carol Oates ne cesse de dire en creux où elle se situe : du côté de la liberté de chaque femme à choisir et décider pour elle-même. Cela se lit en filigrane. Ainsi, le roman déploie une forme bien plus subtile qu'un plaidoyer, qu'une charge virulente, qu'un manifeste manichéen. La force romanesque de la fiction est justement pour l'autrice de pouvoir se départir de toute approche morale.
Le fait que Joyce Carol Oates s'affranchit de tout jugement moral lui permet alors d'élargir la portée de son texte à la question plus vaste des passions sacrificielles.
Ainsi, à un moment du roman, un personnage en faveur de l'avortement n'hésite cependant pas à dire cette phrase, qui pourrait peut-être à elle seule révéler la subtilité du propos de l'autrice :
« La seule restriction que j'aurais concernant ce médecin avorteur héroïque, c'est la sanctification absurde qui a suivi sa mort. Cet homme n'est pas un saint, un martyr... c'était un idiot. Il était parfaitement idiot d'agir comme il l'a fait, de pousser aveuglément, témérairement, les ennemis de la rationalité à l' « assassiner » - ce qu'ils font toujours avec plaisir. Ce sont des gens désespérés, des chrétiens fondamentalistes. On ne peut pas s'interposer entre des gens désespérés et leur Dieu : ils vous mettront en pièces. Par définition, un martyr est un idiot. » 
Mais qui sont les véritables martyrs de cette histoire ? Chrétiens-martyrs, médecins-martyrs, épouses-martyres, foetus-martyrs, enfants-martyrs...
Soulevant de manière souterraine et tellurique cette question des passions sacrificielles, Joyce Carol Oates déploie alors l'autre force du récit et laisse son style incroyable porter dans la lumière les déflagrations de l'existence. Elle nous fait entendre des voix multiples, des voix secondaires, tendues, tordues, balbutiantes dans leurs trajectoires abîmées, elle les entremêle dans une narration asymétrique construite en miroir qui se dessine inexorablement d'un versant à l'autre. Ce sont des voix faussement dissonantes, chaotiques, meurtries de désir et de douleur dans leur coeur et leur âme, sacrifiées sur l'autel des passions exclusives et aveugles, chacune à leur façon tente de se révéler dans les décombres des vies qui s'effondrent...
Ce sont des voix cependant éprises à jamais de lumière et c'est dans cet embrasement que le roman de Joyce Carol Oates m'a emporté.
Commenter  J’apprécie          6550
Or donc, Luther, petit cerveau intoxiqué à la religion (version américaine, rien à voir avec la France..) tue volontairement un médecin pratiquant l'avortement. Un livre vertigineux qui prend le temps de développer les points de vue des uns et des autres pour dresser un portrait sidérant des USA contemporains, ce qui fait songer à leur campagne électorale à venir. Vraiment très grande autrice (elle s'intéresse à ses contemporains pendant que certains académiciens français ressassent le passé...) et méritant à amplement le Nobel, tans son oeuvre est magnifique. Pas un style stendhalien néanmoins mais on ne lâche pas ce livre qui n'oublie pas les enfants des criminels et victimes.
Commenter  J’apprécie          70
Très beau roman qui mène 2 familles en parallèle, si différentes et si proches pour se mêler et ne plus se quitter sur des valeurs profondes… choisir en toute liberté la vie reste un débat. Vivre avec la mort reste une épreuve. L'amour et le partage triomphe.
Commenter  J’apprécie          00
Je ne m'attendais pas à un livre aussi nuancé sur un sujet qui suscite autant de passions : le droit à l'avortement.

Aux États-Unis, en 1999, un médecin pratiquant des avortements est assassiné par un homme partisant du mouvement "pro-life", un protestant convaincu que Jésus l'a chargé d'une mission, celle de sauver des bébés innocents.

Cette première scène passée, tous les fils emmêlés de cette pelotes complexe sont tirés.
Les histoires des familles sont narrées, celle de l'assassin et celle du tueur, telles un miroir magique reflétant l'humanité de chacun.
Les 2 hommes, Gus Vorhees le médecin aux grands principes et son bourreau, Luther Dunphy, lui aussi sûr de sa cause. Tous deux s'efforçant d'être de bons pères de famille, avec toutes les difficultés que cela représente.
Leurs femmes, avant et après le drame, leurs manières de survivre, leurs fragilités, chacune à sa manière.
Les enfants, les fratries étonnement similaires, avec un aîné garçon un peu froid, et une jeune soeur perdue et laissant éclater sa sensibilité.
Chacun a son destin propre, bien entendu, mais les récits s'emmêlent tant qu'ils finissent par se superposer pour mettre en lumière la rudesse de la vie. Et de quelle manière magistrale !

Le droit à l'avortement est un terrain compliqué, souvent clivant, chacun sent une résonance intime à l'intérieur de soi et il est difficile d'en parler, de l'évoquer même tout simplement.
Or ici Joyce Carol Oates le traite, 840 pages durant, avec neutralité et émotion en même temps, en un magnifique oxymore qui met l'humain au centre de tout.
La fin splendide parachève et transcende ce récit bouleversant.
Lisez le !
Commenter  J’apprécie          150
Troublant sentiment que de lire ce livre au moment ou aux Etats Unis, le droit à l'avortement est sérieusement menacé et ou plusieurs états ont même réussi pour l'instant à le supprimer.
Ce qui frappe encore ici et que seule ou presque la Littérature américaine est en capacité d'offrir, de Steinbeck à Roth en passant par Dos Passos, c'est la figuration d'un monde multi-scalaire, ou la capacité du récit à partir de l'évocation de simples personnages, de leur quotidien, de leurs rapports au monde qui les entoure, à parler de l'Amérique, d'un segment historique, temporel qui met en scène en réalité ici , deux Amériques.
Ce qui ailleurs prendrait une dimension épique, celle d'une nation en train de produire sa propre histoire, se traduit dans ce roman par le choix d'une caractérisation sociologique précise et fine de deux familles certes emblématiques au regard des grandes questions sociétales, mais qui réussit à pointer leurs contradictions, la singularité de certains parcours, leurs zones d'ombre, le maillage de valeurs parfois incompatibles.
On est très loin ici d'une opposition entre Bourgeoise de gauche urbaine, versus Rednecks désocialisés du vieux sud. le personnage du Médecin qui pratique les avortements n'est pas un mandarin et consent par idéal au nom de l émancipation des femmes, au déclassement de sa famille en allant exercer une activité à hauts risques, dans une petite agglomération. le personnage qui refuse lui, le principe de l'avortement au non d'un dogmatisme religieux, appartient à un milieu populaire mais évolue dans une communauté structurée dont l'existence est rythmée et guidée par le respect strict de valeurs.
La grande force du livre c'est aussi de parvenir à partir de son sujet principal, à aborder les questions du deuil, de la filiation, mais aussi et c'est l'autre thématique importante, de la place et de la situation des femmes dans une société donnée, et de l'enjeu social et religieux que représente leur corps.
Un très grand livre.
Commenter  J’apprécie          110
Un chef d'oeuvre ! Deux enjeux sociaux et non des moindres : l'avortement et la peine de mort ! Rien que ça ! Si le contexte est assurément américain, la réflexion est évidemment universelle. Que dire de cette plume aussi aiguisée que profonde ? Joyce Carol Oates force d'autant plus mon admiration qu'à aucune moment elle ne se positionne. J'ai a-d-o-r-é me faire bousculer …

Commenter  J’apprécie          10




Lecteurs (1623) Voir plus



Quiz Voir plus

Joyce Carol Oates (difficile si vous ne connaissez pas son oeuvre)

Un des nombreux romans de Joyce Carol Oates est consacré à Marilyn Monroe. Quel en est le titre ?

Corps
Sexy
La désaxée
Blonde

10 questions
382 lecteurs ont répondu
Thème : Joyce Carol OatesCréer un quiz sur ce livre

{* *}