J'ai des souvenirs très forts des événements survenus en Algérie dans les années 90. Je me rappelle précisément certains moments où j'apprenais les nouvelles des massacres et comment cela m'horrifiait, alors que je n'avais que 15-16 ans. Je me rappelle aussi m'être interrogé, en parallèle des médias, sur le partage des responsabilités entre le pouvoir en place et les terroristes.
Mon choix dans la Masse critique non-fiction de cet ouvrage d'
Amer Ouali était donc logique, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette période tragique de l'histoire moderne algérienne. Je remercie donc Babelio et les éditions
Erick Bonnier de me permettre de découvrir le témoignage de ce journaliste, correspondant de l'AFP sur place pendant toutes ces années, et donc bien au fait de ce qui s'y est passé.
Je tiens en tout premier lieu à louer la rigueur et l'honnêteté du travail de l'auteur. Sur un sujet aussi difficile et sensible, il n'épargne personne et cherche à établir les responsabilités justes pour chacun. Il condamne fermement (et courageusement alors que les risques de représailles ne sont pas forcément écartés) les exactions commises par les différents groupes armés islamistes. Il rappelle à quel point ces actes étaient totalement en cohérence avec les discours officiels des théoriciens du FIS notamment, ce qui lui permet d'écarter en grande partie les accusations portant sur un régime qui aurait téléguidé les exactions. Il ne renonce pas en revanche à dénoncer les manoeuvres de l'État, les récupérations électoralistes, les manquements à la mise en sécurité qu'un peuple doit légitimement attendre de ses dirigeants. Pour ce travail louable, il doit être grandement remercié et il est plaisant pour quelqu'un comme moi qui a observé malgré tout de loin les évènements de mieux comprendre les différents ressorts qui ont amené à toute cette violence. J'ai également apprécié l'exhaustivité du propos, puisque tous les points les plus connus sont abordés et disséqués (massacre des moines de Tibérine, mort de
Matoub Lounes) et j'ai même pu découvrir le drame de Bentalha, un peu oublié par l'opinion internationale puisque concomitant avec le décès de Diana... A quoi la mémoire tient-elle ?
Le choix de passer régulièrement par la retranscription de témoignages de rescapés ou de djihadistes repentis récupérés après la loi de concorde nationale permet de se placer au coeur du drame et rend la lecture plutôt plaisante.
Quelques défauts sont pourtant à pointer, résultant pour certains d'une volonté de trop bien faire. Ainsi, les listes d'attentat ou de noms de victimes ou de terroristes qui ponctuent certains chapitres, si elles sont dressées dans le but louable d'un état des lieux destiné à éviter l'oubli, alourdissent logiquement la lecture (et poussent parfois même à sauter des passages). de même, le découpage thématico-chronologique un peu croisé nous perd parfois dans les dates avec certains retours en arrière obligés qui heurtent le lecteur sans doute pas assez initié.
Je tenais aussi à signaler ma déception dans la façon d'aborder les femmes victimes dans cette guerre qui ne disait pas son nom. Si l'auteur n'oublie jamais de dénoncer et de s'émouvoir des nombreux viols commis lors de cette période, s'il s'appuie sur de nombreux témoignages de femmes et sur une thèse écrite par une femme, sa façon d'aborder la souffrance féminine dans le chapitre qu'il lui dédie m'a heurté. le titre en est pourtant parfait ("Quand la mort est un moindre mal") mais il s'agit sans doute du plus court chapitre du livre, ce qui minore tout de même abusivement cette question. de plus, quand on lit le chapitre et qu'on se rend compte que c'est la douleur du père dont les femmes et les filles ont été violées qui est mise le plus en avant et qui reprend notamment le titre du chapitre, estimant que l'atteinte portée à sa virilité lui aurait fait préféré la mort, on mesure le chemin qui reste à parcourir sur la prise en compte de la souffrance de ces femmes. de la même façon que les moudjahidines femmes ont été bien moins mises en avant dans les hommages après la guerre d'Algérie, le fait de sembler mettre au second plan la souffrance féminine face au non respect de l'honneur masculin est pour moi un outrage à la mémoire de toutes ces femmes qui auront pour beaucoup subi la double douleur du viol et de la mort affreuse.
Beaucoup plus anecdotique mais que je me dois de souligner, les nombreuses erreurs typographiques (surtout oublis de mots ou répétition de mots) laissent présumer une relecture assez relâchée, notamment au niveau de l'équipe d'édition. Je me dis que mon devoir de lecteur honoré par une Masse critique est totalement de signaler ce problème qui aurait pu largement être évité.
Au total, et même si j'ai pu me rendre compte que la littérature sur le sujet est nombreuse, j'ai découvert beaucoup de choses par cette lecture et pu trouver des réponses à mes questions d'adolescent, ce qui est un plaisir assez particulier à presque 30 ans d'écart !