AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,74

sur 288 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Staline l'avait appelé Judas ",
Jérusalem 1959, ( 11 ans après la création de l'Etat d'Israel et 8 ans avant la guerre des Six Jours), Shmuel, étudiant, en Histoire et Religions, rencontre dans son rêve Staline dans l'arrière-salle basse de plafond et enfumée du café où se réunissait le Cercle du renouveau socialiste,dont il est un des membres."Il avait été incapable d'expliquer à Staline, souriant sous sa moustache, la raison pour laquelle les Juifs avaient rejeté Jésus, et pourquoi ils campaient toujours sur leurs positions"........
Largué par sa copine, privé de l'allocation mensuelle de ses parents en banqueroute, il abandonne ses études....dérouté, il se rend à une annonce,offrant une position d'Homme de compagnie, nourri, logé,pour un invalide de 70 ans trés cultivé. Il y fera la rencontre de Gershom Wald, l'invalide et de sa colocatrice Atalia Abravanel, une belle femme ayant le double de son âge....et fille d'un des chefs du Yichouv (l'ensemble des juifs de Palestine avant la création de l'Etat d'Israel),un des premiers opposants à la création de l'Etat d'Israel, préconisant la création d'une seule communauté judeo-arabe, un "Judas", selon Ben Gourion.
On va suivre ainsi l'histoire de cet étrange trio en parallèle à celle de deux défunts, Shealtiel Abravanel et Judas Iscariote, deux "traîtres" de l'Histoire.

Trahison et loyauté sont les thèmes au coeur de ce livre.
Une histoire qui va de paire avec l'histoire d'Israël et les idées politiques d'Amos Oz.
Oz , de la bouche de Shmuel, qui travaille oblige, discute beaucoup avec le vieil homme,son employeur, énonce des phrases très fortes, "Mais dites-moi, vous, s'il existe un seul peuple au monde qui accepterait à bras ouverts l'invasion brutale de centaines de milliers d'étrangers, puis d'autres millions encore débarquant de lointains pays sous le curieux prétexte que les livres sacrés qu'ils ont transportés avec eux leur promettaient ce pays tout entier pour eux seuls ?"......
L'auteur, homme de gauche soutient depuis les années 70 la cause palestinienne et fermement l'idée que la paix n'est possible qu'à la condition qu'Israel quitte les territoires occupés depuis 67 et qu'un nouvel état palestinien soit créé en Cisjordanie. Une position qui lui a valu le titre de traitre, "Judas".
Revenant à l'histoire, Judas était-il vraiment un traitre ? Ou au contraire le plus fidèle et le plus dévoué de ses disciples à Jésus? Dans ce roman, essayant de réhabiliter la vraie nature de cette figure biblique, par le biais de Shmuel, Oz semble vouloir se justifier lui-même.Lui, le soit-disant "Judas", est en faites lui, un des plus vrais et plus sincères citoyens luttant pour la cause de son peuple, et non contre.
Je trouve formidable l'histoire qu'il a imaginé pour formuler et répéter ses idées pacifistes à sa propre nation, de plus en plus fanatique et s'enfonçant irrémédiablement sur un chemin de non retour.
Je ne voudrais pas terminer sans citer une de ses phrases prononcée lors d'un interview à l'occasion de la sortie de ce livre: "Le jour où les gens dans ce pays commenceront à appeler Netanyahu, "un traître", je saurais que quelque chose pourrait changer".(The day people in this country start calling Netanyahu a traitor I will know that something may change")

Un excellent roman qui se termine sur une image magnifique !
Commenter  J’apprécie          10517
« Je vous le dis, cher ami, deux hommes qui aiment une même femme, deux peuples réclamant la même terre auront beau boire ensemble des fleuves de café, ceux-ci n'éteindront pas leur haine, et les eaux ne la laveront pas. »

De ce constat tragique qui irrigue de façon récurrente, lancinante, la pensée et la littérature israéliennes naissent une myriade de questions douloureuses à peine dicibles, un véritable vertige existentiel, et c'est sans doute pourquoi les grands romans israéliens sont si authentiquement bouleversants. Tout tourne autour de la même question, au fond : Les Juifs ont-ils eu raison et avaient-ils le droit de créer leur Etat en terre d'Israël?
Si les personnages du dernier roman d'Amos Oz, dont l'action se déroule en 1959, incarnent chacun à leur manière une réponse à cette question, l'auteur accorde une large place à celui qui, au moment du combat pour la création d'un État juif en 1948, a incarné la voix du non. En imaginant le personnage de Shealtiel Abravanel, grand ami des Arabes et membre influent du Comité exécutif sioniste, Amos Oz pousse très loin le questionnement existentiel :
« Pourquoi êtes-vous si pressés d'établir ici dans la violence et le sang un nouvel État lilliputien au prix d'une guerre sans fin, alors que tous les pays du monde seront amenés à disparaître un jour ou l'autre pour être remplacés par une mosaïque de communautés parlant des langues différentes, vivant côte à côte ou imbriquées l'une dans l'autre? »
Ainsi, le combat pour un État juif relèverait tout à la fois d'une illusion archaïque (celle de ne pas voir que les États souverains constituent un anachronisme) et d'une erreur tragique (la guerre n'aura jamais de fin).
Et pourtant, un peuple qui, au cours de sa longue histoire, a connu l'exil, les persécutions, les pogroms, l'Inquisition, les massacres, les discriminations, et pour finir, la Shoah, n'était-il pas fondé, plus qu'aucun autre sur la terre, à avoir son État?
Débat sans fin hautement inflammable, à l'instar du conflit qui oppose Israël à ses voisins.
Shealtiel Abravanel, dont nous ne connaissons la pensée et l'engagement qu'au travers des deux personnes qui lui ont été proches et lui on survécu, Atalia, sa fille unique et Gershom Wald, le beau-père de celle-ci, a payé cher son engagement. Ayant vécu le reste de sa vie dans la solitude, le silence et l'opprobre, il est à jamais marqué du sceau de l'infamie : traître à son peuple.
Pourtant, s'interroge Amos Oz, l'Histoire n'a-t-elle pas produit bien souvent des « individus courageux, en avance sur leur temps, qui étaient passés pour des traîtres et des hurluberlus »? le grand Theodore Herzl lui-même ne fut-il pas accusé de traîtrise pour avoir un temps envisagé la création d'un État juif hors de la terre d'Israël? Et si celui qu'on accusait de traîtrise n'était pas, à l'inverse, l'être le plus dévoué, le plus fidèle à la cause qu'on lui reproche de trahir? Un utopiste? Un doux illuminé?
C'est ce que semble suggérer la passionnante réflexion que mène Amos Oz, au travers de son personnage principal Schmuel Asch, autour de la figure de Judas Iscariote, l'homme qui, aux yeux des Chrétiens du monde entier, incarne la traîtrise. Non, Judas n'était pas cet homme vil qui, pour quelques deniers, vendit Celui qu'il suivait partout comme son ombre. S'il fut bien « l'auteur, l'imprésario, le metteur en scène et le producteur du spectacle de la crucifixion », ce n'est pas pour les raisons généralement invoquées. Il croyait profondément en la nature divine de Jésus. Probablement était-il le seul à y croire, suggère Schmuel, et tandis que le fidèle disciple attendait fébrilement au pied de la croix de voir s'accomplir le miracle, d'assister au moment où le Nazaréen arracherait ses clous et lancerait au peuple frappé de stupeur, prosterné à terre : « Aimez-vous les uns les autres», Jésus, lui, se vidait de son sang comme le commun des mortels.
« Quant à Judas, le sens de sa vie, sa raison d'être, volait en éclats sous ses yeux horrifiés. Comprenant qu'il avait provoqué de ses propres mains la perte de l'être qu'il aimait et admirait, il s'éloigna et alla se pendre. « Ainsi est mort le premier Chrétien, conclut Shmuel dans son bloc-notes. le dernier. L'unique. »
L'ironie tragique de l'Histoire veut que ce soit le seul Chrétien qui ne survécut pas à la mort de Jésus qui fut précisément considéré comme l'archétype même du Juif, le plus haïssable, le plus méprisable de tous.
« Tant qu'on transmettra à tous les bébés chrétiens, au biberon, que des créatures déicides ou leurs descendants existent encore sur terre, nous ne connaîtrons pas le repos. »

Mais si Judas n'était qu'un roman à thèse, cela ne suffirait pas à en faire un grand livre, du moins à mes yeux. Les personnages liés les uns aux autres par des relations mystérieuses, souterraines, imbriquées dans l'Histoire, sont puissamment incarnés et incroyablement attachants. À commencer par Schmuel Ash, jeune homme émotif et désemparé, sourire de biche effarouchée dans un corps d'homme des cavernes, cherchant désespérément un sens à sa vie et un logis où venir consoler son âme esseulée. Ce logis, il croit le trouver dans l'ancienne demeure de Shealtiel Abravanel, habitée par deux « geôliers » aussi troublants que fascinants : un vieil invalide au corps atrophié, tordu comme le tronc d'un vieil olivier, à l'esprit alerte et à la langue bien pendue, et la belle et froide Atalia, dont le mystère et la féminité envoûtent Schmuel au premier regard. Ces deux êtres en partie retirés du monde semblent couver une douleur dont Schmuel découvrira peu à peu l'origine, conférant à ce magnifique roman une dimension humaine bouleversante.

« Les yeux ne se dessilleront jamais, décréta Gershom Wald. Tout le monde ou presque traverse l'existence, de la naissance à la mort, les yeux fermés. Vous et moi, mon cher Shmuel, ne faisons pas exception. Les yeux fermés. Si on les ouvrait une fraction de seconde, on pousserait des hurlements effroyables sans jamais s'arrêter. »

Commenter  J’apprécie          8773
1959 - Shmuel Ash, jeune socialiste idéaliste mal dégrossi, abandonne sa thèse sur « Jésus dans la tradition juive » par manque de ressources financières et par dépit amoureux. Trop difficile à gérer. Cependant il ne perd pas le nord et une petite annonce originale demandant un « homme de compagnie » le fait se retrouver dans une maison isolée de Jérusalem. Il y fait la connaissance d'un vieil érudit, pessimiste et critique, Gershom Wald, dont il aura à s'occuper quelques heures par jour, ainsi que d'Atalia Abravanel, une femme taiseuse et quelque peu revêche.

Le sujet du roman est la trahison :
Celle de Judas qui trahit Jésus pour trente deniers,
Celle de l'ami de Gershom Wald, père d'Atalia, défenseur acharné de la paix, opposé au nationalisme tout aussi acharné de Ben Gourion, et qui, aux yeux de Wald, a trahi le sionisme pour lequel ils avaient tant lutté,
Celle du mari d'Atalia, fils de Gershom Wald, qui se fit tuer dans les tout derniers jours de la guerre d'indépendance d'Israël. Elle cultive une rancoeur profonde envers les hommes, toujours prompts à verser le sang.

L'ambiance de ce huis-clos évolue au fil des semaines. Les soliloques de Gershom Wald deviennent des échanges passionnés avec Shmuel sur l'idéal sioniste, la question arabe et les religions. Atalia lui confie ses déboires conjugaux et sa difficulté de faire le deuil de son père et de son mari.

Le profond intérêt de ce livre, à mon sens, est la thèse que soulève Shmuel/Amos Oz sur la personnalité de Judas qui, pourquoi pas, pourrait faire évoluer les mentalités entre chrétiens et Juifs.

Au commencement, il arriva aux oreilles des grands prêtres de Jérusalem qu'un « hurluberlu » réalisait des prodiges et entraînait les foules en Galilée. Ils convoquèrent Judas l'Iscariote, homme aisé, et lui confièrent la mission d'infiltrer le groupe de ce Jésus, faux prophète ou escroc, susceptible de déranger l'ordre public. Judas s'acquitta tellement bien de sa tâche qu'il se fit l'ami des apôtres et le confident de Jésus. II eut une telle admiration pour les paroles d'amour et de sagesse contenues dans ses paraboles qu'il devint son serviteur le plus zélé et souhaita que les grands prêtres réfutent leurs soupçons. Jésus répondait inlassablement : « L'an prochain à Jérusalem. L'année prochaine peut-être ».

Lorsque vint ce moment ainsi que la condamnation à mort de Jésus, Judas espéra qu'il accomplît un énième miracle et qu'il descendît de la croix « incitant le monde entier à reconnaître sa divinité ». Hélas ! « le sens de sa vie, sa raison d'être, volait en éclats sous ses yeux horrifiés. Comprenant qu'il avait provoqué de ses propres mains la perte de l'être qu'il aimait et admirait, il s'éloigna et alla se pendre. Ainsi est mort le premier Chrétien, conclut Shmuel dans son bloc-notes. le dernier. L'unique » (p. 179).

N'étant pas spécialiste en théologie et encore moins en questions inexpliquées qui, comme le dit Shmuel Ash dans sa thèse, le resteront à jamais, je trouve remarquable la vision que donne l'auteur de ce qu'aurait pu être Judas, de ce qu'est un traître et pourquoi il l'est. La patiente étude des textes religieux, les profondes questions qu'ils suscitent, les incohérences répétées, ont amené Amos Oz à donner une autre version de la diabolisation de Judas. Loin d'être sacrilège pour les Chrétiens, elle pourrait être, au contraire, une ouverture dans ce qui a séparé christianisme et judaïsme.

L'évolution des trois personnages du livre, le changement des attitudes qui s'opère durant cet hiver 1959-60 grâce à une meilleure écoute de l'autre, à une approche différente entre les événements vécus par les uns et les autres, sont emblématiques de ce que pourrait être le « compromis » que préconise Amos Oz.

Lecture extrêmement enrichissante. Livre relu à peine terminé. Dans mon Top 3 de 2016.

Shalom Alekhem.
Commenter  J’apprécie          747
« De quoi auraient-ils pu parler ? de Jésus vu par la tradition juive ? De Jésus vu par Judas ? En quoi ce sujet pouvait-il intéresser l'humanité ? »
Moi, ça m'intéresse !
Et j'ai trouvé mon compte dans ce magnifique roman d'Amos Oz, magnifique car brassant des idées essentielles, un style lumineux et percutant, des personnages savoureux, et une vision claire sur la création de l'état d'Israël.

L'histoire, en deux mots : le jeune Shmuel, désemparé après une rupture amoureuse et ayant abandonné ses études suite à la faillite de son père, répond à une petite annonce pour un « travail » de conversation avec un vieil homme. La rencontre entre Gershom Wald aux conversations incisives ainsi qu'avec sa belle-fille au charme indéniable va le remettre sur les rails et sur le chemin de sa thèse sur Jésus dans la tradition juive et Jésus vu par Judas.

C'est l'occasion pour Amos Oz de développer le thème du traitre, à la fois dans la tradition juive mais aussi lors de la création de l'état d'Israël (1947-1948). Mêlant l'histoire contemporaine et l'histoire ancienne, Amos Oz parle de judéité, de guerre et de pacifisme, et partant, de l'être humain persécuté et persécuteur.
« Celui qui a envie de changer et qui aura le courage de le faire sera toujours considéré comme un traître par ceux qui ne sont pas capables d'évoluer »

A travers son personnage principal, sympathique, désarmant et fragile, l'auteur a d'abord piqué ma curiosité, puis m'a captivée.
Quand on demande à Shmuel « Qu'est-ce que tu veux exactement ? », il répond : « Savoir à quoi ça rime »
Moi aussi, je veux exactement savoir à quoi rime tout « ça » : les guerres à cause du nationalisme, à cause des religions, à cause du désir de pouvoir ; la torture et la souffrance ; le début de la chrétienté ;
l'impact des hommes charismatiques comme Jésus sur l'histoire du monde …
Si tout « ça » vous taraude, lancez-vous sans hésiter dans la lecture de ce roman, intense et profonde.
Commenter  J’apprécie          5723
Pourquoi les romans d'Amos Oz me plaisent-ils autant ? C'est le deuxième que je lis et, après Une Histoire d'amour et de ténèbres, me voici cette fois sous le charme improbable de Shmuel Asch « âgé d'environ vingt-cinq ans, corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste, asthmatique, cyclothymique, les épaules massives, un cou de taureau, des doigts courts et boudinés ». La suite du texte nous apprendra qu'il sent le talc pour bébé, pleure facilement et marche comme si sa tête courrait après ses jambes. C'est cet homme qui, à la suite d'un chagrin amoureux, l'hiver 1959 viendra, contre le gîte et un modeste salaire, faire la conversation à un vieillard érudit dans une rue isolée de Jérusalem, abandonnant ses études et renonçant à retrouver une famille à qui il ne semble plus rien avoir à dire. Dans une maison figée - sauf la première marche de son perron qui, elle, est branlante - Shmuel nourrit les poissons rouges dans une pièce remplie de livres, donne sa bouillie au vieil homme qui jacasse à n'en plus finir et croise sporadiquement la belle, la mystérieuse et distante Atalia.

Il y a chez les personnages de Judas, quelque chose qui rappelle les traits de plume un peu aigus de Joann Sfar, quelque chose de tendre, loufoque, une fragilité exacerbée par un physique meurtri et cahotant. Gershom Wald, le vieillard auquel Shmuel va tenir le crachoir est un géant brisé, sorte d'albatros à la moustache d'Einstein, tout en muscles et en béquilles. Désopilant tandem que celui qu'il constitue avec cette boule maladroite et hirsute de Shmuel. Autour d'eux plane l'odeur de violette que laisse Atalia dans son sillage.

Avant de se recroqueviller dans cette maison coquille au coeur de l'hiver, Shmuel écrivait un mémoire sur la figure de Judas. Sa thèse, souvent évoquée dans le roman, tourne autour de l'idée que Jésus n'a jamais voulu être autre chose que juif. Ce sont les évangélistes, ses apôtres épris de pouvoir et d'influence qui ont créé le christianisme. Jésus, lui, ne voulait que réformer les plus intégristes des pharisiens, ramener le judaïsme au message d'amour et de mansuétude qu'il contenait aussi. Judas se serait intégré à son groupe pour l'espionner d'abord puis, sous le charme de sa personnalité, aurait cru en lui au point de le voir comme le Messie. Par amour, par foi profonde, Judas aurait convaincu Jésus de se faire crucifier afin de prouver à la terre entière qu'il était fils de Dieu et qu'il pouvait ne pas succomber à la croix. Jésus l'aura cru plus qu'il n'aura cru en lui-même. Ce que des siècles d'Histoire ont entretenu comme figure du traître, comme fondement de la chrétienté, a pour origine, d'après Shmuel un coup de foudre amical. le premier et seul chrétien à avoir profondément cru en Jésus, c'est Judas. Ou comment les meilleurs intentions du monde aboutissent à des tragédies. Pour des siècles et des siècles.

Comment vivre avec de pareilles idées en tête quand on est de cette religion qui a été accusée par des millions de plus puissants que vous d'avoir tué le Messie ? Comment peut-on se forger une existence lorsque son identité est pétrie des conséquences de cette histoire jusqu'à la récente Shoah ? Et ce n'est jamais fini.

Peut-être que ce qui me touche, c'est le contraste entre la vulnérabilité familière de ces personnages et la puissance de ce à quoi ils sont confrontés. Nous sommes à Jérusalem à peine dix ans après la proclamation de l'Etat d'Israël. Les hôtes de Shmuel, comme lui, sont juifs. Les traces laissées par la guerre d'indépendance, par les débats internes à la population juive aussi, sont les fantômes que la présence de Shmuel va se charger d'agiter un peu. Comme on secoue la poussière d'un vieux drap ou comme on entrouvre à peine une porte afin qu'un faible courant d'air fasse ressentir plus fort encore les odeurs enfermées depuis si longtemps.

Le désir presque adolescent de Shmuel pour la belle Atalia, la maladresse avec laquelle il se tache, se coupe, trébuche et tombe vont faire vibrer un peu de ces vieilles histoires enfouies sous des tombereaux de larmes, vont rouvrir un peu les plaies que portent des corps dont cela semble n'être que l'ultime fonction. Fallait-il croire à un Etat juif, en défendre la thèse ? Y avait-il une alternative aux massacres de la guerre d'indépendance ? Certains rêveurs croyaient que les deux peuples pouvaient « s'aimer à condition que soient dissipés les malentendus. » D'autres pensaient qu'aucun malentendu n'existait : Arabes comme Juifs tenaient à cette terre exclusivement car c'était la seule qu'ils avaient. le drame réside en deux endroits : que cette dernière affirmation soit plus proche de la réalité que la première et que, si les rêveurs se taisent, tués de chagrin ou de balles, les réalistes en deviennent pétrifiés, désespérés. Hiver 1959, on en est là. (Et, quelques dizaines de milliers de cadavres, quelques décennies plus tard, rien n'a vraiment changé.)

Pourtant, le charme fragile de la fiction opère, la silhouette des cyprès, un chien errant dans les rues ou une lune qu'on va voir se lever, la respiration, même courte, les désirs, les idées, les mots et deux mains emmêlées.
Commenter  J’apprécie          4527
Jérusalem, 1960.
Shmuel Asch, étudiant désargenté et légèrement dépressif, trouve une aubaine : un emploi, logé et nourri, consistant à faire du thé et la conversation tous les soirs à un vieil érudit bavard.
Une autre personne habite la maison : l'énigmatique et séduisante Atalia, une femme dans la quarantaine (qui ne compte pas peu dans la décision de Shmuel d'accepter l'emploi).
Mais que de questions il se pose !
Shmuel est un personnage attendrissant avec "l'apparence d'un homme des cavernes et l'âme nue comme une montre dont on aurait ôté le verre", qui se pose naïvement des questions toutes prosaïques : qu'y a-t-il derrière cette porte fermée, que fait Atalia de ses journées… mais aussi des questions plus existentielles sur la fondation de l'État d'Israël et le rôle joué par un certain Abravanel.
Abravanel a été un Judas, un traître aux yeux des siens : un idéaliste qui croyait à la paix, un sioniste fraternisant avec les Arabes.
"Qu'est-ce qui vous fait penser que les Arabes n'ont pas le droit de lutter de toutes leurs forces contre des étrangers qui ont débarqué ici comme s'ils venaient d'une autre planète pour leur confisquer leur pays, leurs terres, leurs champs, leurs villages, leurs villes, les tombes de leurs aïeux et l'héritage de leurs enfants ?"
J'ai beaucoup de tendresse pour Amos Oz.
Je ne sépare pas l'homme de l'artiste : j'ai beaucoup de tendresse pour l'homme humaniste, pacifiste, universaliste, dont la personnalité se révèle dans les oeuvres.
Ayant beaucoup de tendresse pour Amos Oz, jusqu'à sa mort en 2018 j'ai espéré qu'il reçoive le prix Nobel de littérature, pas tant pour les honneurs – il n'était pas homme à les rechercher – que pour faire connaître son oeuvre au plus grand nombre.
Ayant beaucoup de tendresse pour Amos Oz je suis heureuse qu'il soit mort en 2018 et ne puisse voir ce qui se passe aujourd'hui au Proche-Orient.
Je suis certaine qu'il aurait été ravagé par le pogrom du 7 octobre, et ravagé tout autant par les trente mille morts dans la bande de Gaza.
Il aurait sans aucun doute été foudroyé, lui aussi, par les paroles du médecin humanitaire Raphaël Pitti : "Rafah aujourd'hui... c'est le ghetto de Varsovie."
Amos Oz, puisses-tu reposer un jour en paix.

Traduction de Sylvie Cohen.
Commenter  J’apprécie          3558
Jérusalem, 1959 : le 17 décembre, David Ben Gourion, qui vient de remporter pour la quatrième fois les élections législatives israéliennes, présente son cabinet à la Knesset.

«La ville israélienne était cernée par la jordanienne sur trois côtés », à certains endroits «des écriteaux signalaient à travers les barbelés rouillés : «Stop! », «Frontière!», «Terrain miné!», «Danger!», «Attention, zone exposée aux tirs ennemis!».

Deux ans après la fin de la deuxième guerre israélo-arabe, due à la crise de Suez, la tension reste élevée entre Ie jeune État hébreu et Ies États arabes voisins, notamment avec l'Egypte de Nasser. Exercices militaires démonstratifs, incursions aériennes dans les territoires cédés par Israël (Sinaï et Gaza), passés désormais sous tutelle de l'ONU, sont fréquents. À l'intérieur du pays, les incidents impliquant des civils sont tout aussi récurrents, y compris dans la ville trois fois sainte. La menace de nouvelles hostilités est visible, palpable dans le quotidien de la population.

«De temps à autre, un franc-tireur jordanien touchait un passant et des échanges de tirs sporadiques se produisaient».

Les forces en jeu dans le conflit qui oppose Juifs et Arabes depuis la création d'un État hébreu en Palestine rendent pratiquement inévitable, tôt ou tard, la perspective d'une troisième guerre israélo-arabe, l'opinion israélienne étant par ailleurs très majoritairement acquise à l'idée que le «grand Israël» ne pourrait pas se construire autrement que par la force militaire. Cette équilibre fragile entre négociations diplomatiques dans un contexte de guerre froide et escarmouches épisodiques sur le terrain va durer jusqu'en 1967, et aboutira finalement à la Guerre des Six Jours.

C'est dans ce contexte historique que JUDAS, le dernier des romans d'Amos Oz, publié en 2014, s'inscrit.

La ville même de Jérusalem tout d'abord, au cours de cet hiver froid et pluvieux de 1959, en est un personnage à part entière. Dans les nombreuses déambulations du jeune héros, ou plutôt anti-héros du roman, Shmuel Asch («corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste, asthmatique, cyclothymique, les épaules massives, un cou de taureau, des doigts courts et boudinés»), Jérusalem apparaît le plus souvent sous les traits d'une ville morcelée, meurtrie, «exhibant la face brute, à nu de ses murs de pierre», sa topographie ayant été redessinée par de rues bordées de hauts murs, transformées parfois en couloirs flanqués de barbelés, ou bien culminant sur des terrains vagues brumeux, jonchés de débris, limitrophes à des no man's land servant de tampon entre les territoires occupés par les uns et les autres.

Shmuel Asch peut être vu comme un personnage emblématique de l'éveil progressif, par une part encore assez restreinte à cette époque de la jeunesse israélienne, à une critique du sionisme triomphant qui avait permis la création du pays une dizaine d'années plus tôt, et contre lequel très peu de voix au sein de la société civile avaient osé s'élever depuis, au risque d'être considérées à chaque fois comme des traîtres à la cause juive, d'être ostracisées par les dirigeants politiques, ainsi que condamnés par l'opinion publique.

Et, pourquoi pas, ne serait-il par ailleurs un double fictionnel de l'auteur, lui-même âgé d'une vingtaine d'années à l'époque, en 1959 ? Issu d'une famille installée en Palestine mandataire dès 1930 et inscrite dans le courant du sionisme révisionniste militant pour l'implantation d'un Etat hébreu en Palestine, Amos Oz, sera lui aussi, à l'image de son Shmuel, très tôt séduit par les idées de gauche. À l'âge de quinze ans, il décide de partir vivre en kibboutz, où il adoptera le nom d'«Oz» («force» en hébreu). A partir de cette première rupture idéologique («Jusqu'à l'âge de 12-13 ans, j'étais fanatique et militariste, je croyais en la force militaire, j'aimais le slogan de Vladimir Jabotinsky, leader de la droite nationaliste : «Dans le sang et le feu, Israël est tombé. Dans le sang et le feu, Israël se relèvera»), Oz développera une pensée originale sur la question du sionisme et figurera plus tard parmi les intellectuels les plus influents en Israël, l'un des premiers à plaider ouvertement, juste après la Guerre des Six Jours, en faveur de la séparation en deux États comme étant la seule solution envisageable pour mettre fin au conflit entre Israéliens et Palestiniens.

Shmuel, lui, quitté du jour au lendemain par sa petite amie, se voit en même temps couper les vivres par ses parents suite à un revers financier important subi par sa famille. Il se retrouve ainsi dans l'imminence de devoir abandonner des études universitaires à défaut de pouvoir continuer à les financer par ses propres moyens. Éprouvant en même temps le besoin de prendre de la distance par rapport à son entourage familial et à ses quelques amis appartenant au Cercle du renouveau socialiste, ces derniers en pleine scission et débandade aussi, suite aux révélations spectaculaires du dernier congrès du Parti communiste de l'Union soviétique sur la «terreur» stalinienne, il se sent un peu perdu. Errant la nuit, «tel un ours déboussolé», dans les rues désertes du centre-ville battues par un vent glacé, il finit par se décider à tout plaquer, y compris son mémoire sur «Jésus dans la tradition juive» et à quitter le plus rapidement possible Jérusalem pour aller chercher du travail dans une ville nouvelle en train d'être édifiée au fin fond du désert du Néguev. C'est alors, en allant déposer une affichette dans le hall de son université, afin de vendre les quelques affaires qu'il possédait dans sa chambre en location, que Shmuel tombera sur une annonce cherchant «un étudiant en sciences humaines pour servir d'homme de compagnie à un invalide de 70 ans très cultivé».

En nous faisant pénétrer avec Shmuel dans la vieille bâtisse de pierre de la rue Harav Elbaz, avec ses territoires bien démarqués, ses accès réservés, avec ses zones interdites et ses secrets cachés derrière des portes systématiquement closes, c'est d'une certaine manière à une allégorie de la ville de Jérusalem elle-même à laquelle Amos Oz invite le lecteur. Maison habitée par le profond désenchantement teinté de cynisme de Gershom Wald, et par l'anesthésie des sentiments de la belle et inaccessible Atalia Abravanel, sous le charme de laquelle notre jeune héros tombera immanquablement, ses occupants incarnent le terrible déchirement, l'immense douleur, l'amertume de ceux qui ayant participé à la naissance d'Israël, ont vu l'histoire récente et le rêve sioniste de fonder un État hébreu juste et équitable se transformer progressivement en un cauchemar à répétition, funestement inextricable, fait de haine, de violence, de discrimination et de destruction.

Sous l'apparence d'une banale histoire de passion de jeunesse, réunissant des personnages à vif dans un huis clos où chacun finira, avec force pudeur et réserve, par se dévoiler aux yeux de l'émotif et idéaliste Shmuel, touchant de sincérité et de maladresse juvéniles, l'auteur réussit en même temps à faire émerger dans JUDAS un brillant roman d'idées, qui à mon sens serait le véritable leitmotiv de ce livre. Amos Oz propose entre autres une version révolutionnaire, intéressante et intellectuellement très séduisante du rôle qu'aurait joué la trahison de Judas dans l'avènement du christianisme, ainsi que sur l'absence surprenante de ce dernier dans tous les récits de la tradition juive narrant la vie de Jésus (le sujet du mémoire de Shmuel) et sur la place occupée par l'apôtre dans l'imaginaire antisémite.

JUDAS incite le lecteur, par le récit vivant de la trajectoire et des prises de position de ses personnages, à porter un regard ouvert et non-reducteur sur les diverses composantes du mouvement sioniste, aux aspirations et aux limites de ses différentes conceptions et orientations politiques.

Mais le roman est néanmoins avant tout une ode magnifique à la liberté de pensée et à ceux qui ont le courage et la clairvoyance de défier les systèmes d'idées uniques et majoritaires, les conceptions consacrées et les jugements dogmatiques, au risque d'être mis à l'écart, considérés comme des traîtres et maudits par leurs semblables.

En 2018, déjà gravement malade, Amos Oz a donné une conférence à l'Université de Tel-Aviv, plaidant une dernière fois, dans ce qui restera comme son testament politique, pour la cessation immédiate de toute occupation des territoires palestiniens par Israël, et pour la création de deux États séparés et indépendants au Moyen-Orient.
Commenter  J’apprécie          3317
Ultime roman d'Amos Oz, Judas concentre toutes les interrogations qui auront hanté l'oeuvre de cet immense écrivain. Lire ce livre est comme boire un café au Moyen-Orient, on est sûr d'y trouver l'amertume comme le sacré.
Huis-clos de cinq personnages, il se déroule le temps d'un hiver, derrière les persiennes souvent closes d'une maison en bout d'impasse.
Deux des cinq sont des pervers narcissiques, les trois autres des rescapés.
Les deux premiers, Israël et Jérusalem, omniprésents, sublimes et monstrueux, minuscules et arrogants, composent comme à leur habitude chez l'auteur, un décor aussi aimé qu'honni pour ses boursouflures nationalistes, guerrières et colonialistes.
Le récit se déroule vers la fin des années 50. Jérusalem est alors schizophrène, pour partie juive et de l'autre syrienne. La guerre d'indépendance menée sous la férule d'un Ben Gourion messianique est à peine achevée que l'on sait que d'autres suivront...
Et de messie, il est beaucoup question dans ces pages. L'auteur y explore une fois encore les fils indénouables mêlant christianisme et judaïsme. Étrange, d'ailleurs, ce terme "judaïsme " commençant par Judas, le traître honni et peut-être le seul vrai héraut (c'est voulu) de la foi chrétienne. En questionnant cette notion de traîtrise, Amos Os réinterroge l'histoire. Sont des traîtres ceux qui s'opposent à la voix du plus fort. Ainsi les conjurés qui ont tenté d'assassiner Hitler, ainsi les dissidents aux valeurs toutes puissantes du stalinisme, ainsi les gamins ayant voulu fuir les tranchées de Verdun... Un traître ne l'est que par la grâce ou la vindicte d'un regard.
Superbement écrit, ce roman est une quintessence des joutes oratoires chères aux rabbis. Il est aussi le très beau récit de l'avènement d'un jeune homme. On le rencontre au stade des émois narcissiques, et, le temps d'un hiver, d'initiations érotiques en déboires amoureux, il nous quitte en homme libre et accompli.
Commenter  J’apprécie          167
Un chef d'oeuvre qui a une résonance particulière aujourd'hui. Les trois personnages principaux discutent longuement de la notion de traître de Judas jusqu'à l'époque où se déroule le livre (fin des années 1950), de l'histoire du peuple juif, des relations entre les différentes religions... La pensée du personnage d'Abravanel, très critique de la manière a été créé l'Etat d'Israël, donne des éléments sur la situation actuelle,contraire aux principes des fondateurs de l'État d'Israël.
Commenter  J’apprécie          130
Découvrir Amos Oz est un plaisir immense.
Trois personnages vivants, deux morts dont on ne saura pas grand chose. Il ne se passe rien ou presque et pourtant la magie de l'écriture agit. Les trois personnages vivants existent vraiment (Shmuel Ash, Gershom Wald et Atalia Abravanel) et vivent devant nous. Et puis, ils parlent de ce qu'aurait pu être une autre histoire d'Israël...si le projet n'était pas devenu un état, si la guerre d'indépendance n'avait pas eu lieu.
Un livre magnifique qui se lit comme un conte d'hiver à Jérusalem en 1960.
Plus récent roman d'Amos Oz, il donnerait presque de l'espoir sur Israël où il reste encore quelques personnes sensées et courageuses. Merci à la littérature de permettre encore cette expression.
Lien : https://www.lesmotsjustes.org
Commenter  J’apprécie          120




Lecteurs (648) Voir plus



Quiz Voir plus

Amos Oz (1939-2018) R.I.P

Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......

Nuit
Cave
Tourmente
Neige

10 questions
40 lecteurs ont répondu
Thème : Amos OzCréer un quiz sur ce livre

{* *}