A le regarder de si près, j’imaginai qu’il devait être un peu plus jeune que moi, peut-être quarante ou quarante-trois. Bien sûr, un homme aussi séduisant devait avoir des dizaines d’opportunités de rencontres galantes au cours de ses déplacements, rencontres brèves et non suivies selon ma déduction personnelle et avisée. Mais peut-être avait-il aussi une amie attitrée ? Il avait dit être séparé de sa femme et vivre seul, mais cela ne signifiait pas qu’il était célibataire. Et puis je ne voulais pas qu’il imagine que je me jetais régulièrement au cou du premier venu comme une pauvre femme délaissée.
J’activai la méfiance maternelle au niveau alerte maximale lorsque je me levai soudain et me cachai derrière un arbre, pour ne pas qu’il me voie, puisqu’il allait parcourir toute la longueur de l’allée face à moi. Malgré les chuchotements sur mon compte, et le regard rond comme un ballon de plusieurs bambins plantés devant moi et que je ne parvenais pas à chasser, je tins bon dans cette position suspecte et dès qu’il eut tourné les talons pour s’engager sur le trottoir et longer l’école en direction de la grande rue, je sortis de ma cachette pour le suivre.
Suivre quelqu’un demande une concentration et une attention de chaque seconde, à la fois pour ne pas perdre l’objet de la filature de vue, et pour ne pas se faire remarquer. Je marchais donc en retrait, sur le même trottoir et à environ cinquante mètres de ma cible, qui avançait sans variation de rythme et sans détour.
Lorsqu’on est souffrant, il n’y a pas de honte à le dire et à se faire soigner. Je n’avais jamais vu quelqu’un nier ainsi l’évidence pour un évènement dont il ne pouvait être jugé fautif.