Le monde de l'édition, et encore plus sa figure de "l'éditeur" qui se met en place à la fin du XVIIIème siècle et s'affirme autour des années 1830-1850, est très masculin et très capitaliste. Ce sont ces deux aspects que vont repousser les actrices des éditions "des Femmes" en proposant un contre-modèle éditorial. [...] Elles entendent donner la possibilité à plus de femmes d'exister sur la scène littéraire, sans pour autant être exploitées, le projet est "de publier tout le refoulé, le censuré, le renvoyé des maisons d'éditions bourgeoises."
Odile Krakovitch et Geneviève Sellier font remarquer qu'il n'est pas fait mention de la dimension sexuée de la culture dans l'histoire culturelle française, "même celle qui se veut le plus en pointe". Elles le regrettent car, selon elles, l'histoire des femmes utilise largement comme source les images et les représentations et que l'histoire des genres propose une articulation systématique entre histoire sociale et culturelle. Leur projet est alors "une critique de la prétention masculine à l'universel, et une tentative de rendre visible les œuvres des femmes".
Ainsi, si l'histoire culturelle se définit comme "l'étude des formes de représentation du monde au sein d'un groupe humain dont la nature (sociale et politique) peut varier et qui en analyse la gestation, l'expression et la transmission", le croisement avec l'histoire des genres peut s'avérer fécond "par l'analyse des pratiques culturelles, religieuses ou laïques (lecture, écriture de correspondance, journaux intimes ou autobiographies...), par celle de la production, des usages et de la réception des produits culturels, par celle des imaginaires sociaux et dues images véhiculées par les médias. " Autrement dit, cela permet d'aborder les femmes en tant que productrices, médiatrices et consommatrices spécifiques de culture et de comprendre en quoi les différences entre les sexes sont à la fois la traduction de situations sociales mais aussi sont un indice des mécanismes de la construction des représentations des sexes.
Colette Audry est un exemple d'intellectuelle engagée qui est largement méconnue malgré l'influence qu'elle a pu avoir dans le milieu culturel des années 1950-1960. Militante socialiste dès les années 1960, présente dans de nombreux collectifs intellectuels, féministe, romancière et essayiste, "entre ces multiples ambitions intellectuelles elle se heurte comme beaucoup de femmes à l'inégalité entre les sexes." (Séverine Liatard) Elle est la première femme à obtenir le prix Médicis en 1962, "elle fait partie des exceptions qui confirment la règle de la non reconnaissance institutionnelle des femmes dans la sphère littéraire." Grâce à l'aura qu'elle gagne dans le monde de l'édition, une collection lui est confiée en 1964 chez Denoël, qui dénommée "femme", s'intéresse aux livres qui traitent des conditions de la femme. Les livres publiés correspondent à trois démarches : les témoignages, les essais théoriques, et l'observation du monde contemporain. Il s'agit de renverser les préjugés "qui tiennent trop souvent lieu d'information", et permettre aux femmes de montrer leur présence. La démarche suit une double direction, donner une certaine visibilité aux femmes, mais aussi fournir un lieu d'une réflexion sérieuse sur la place des femmes dans la société. A titre d'exemple, la collection "femme" publie les ouvrages d'Évelyne Sullerot sur la vie des femmes ou le travail féminin.
Nous nous demanderons dans quelle mesure les éditions 'des femmes', par leur politique éditoriale, leur volonté de diffusion la plus large possible des livres qu'elles publient notamment, manifestent et participent à cette ouverture du champ littéraire aux femmes et plus largement en quoi elles participent à un changement de la représentation des femmes dans la société française. En valorisant les écrits de femmes, elles posent la question de l'identité de femme, une identité différente de celle des hommes et qui doit être revalorisée. Ce positionnement théorique fort a une incidence à la fois sur la culture lettrée et sur la culture au sens large de systèmes de représentations.
Deuxième rencontre de cette rentrée GIRLS power avec Florence Rochefort et Bibia Pavard, autrices de Ne nous libérez pas, on s'en charge publié à La Découverte. Enfin un véritable panorama des féminismes modernes, du XVIIIe siècle à nos jours. Et en plus dans une perspective transnationale et intersectionnelle...
De quoi inspirer les mouvements féministes d'aujourd'hui !