Les Choses/
Georges Perec (Prix Renaudot 1965)
Une obsession : acquérir les choses ! Un roman passionnant !
Certes il y a bien les Choses et beaucoup de Choses dans ce magnifique roman, grand classique de la littérature contemporaine (Prix Renaudot 1965), et il y a aussi les mots pour les dire, les citer et les décrire et
Georges Perec est un maître au talent immense dans cet art avec une richesse de vocabulaire inouï et un goût pour l'énumération étonnant.
Paris au début des années 60 : deux jeunes psychosociologues travaillant à temps partiel, Sylvie et Jérôme, issu de la classe moyenne découvrent peu à peu qu'ils ne sont pas faits pour entrer dans le système et perdre ipso facto leur liberté. Mais hors système il peut être difficile d'avoir les moyens de réaliser ses rêves. Grands amateurs d'antiquités et de belles choses toujours plus envoûtantes, hédonistes vivant au jour le jour, tous deux se trouvent asservis à une idée totalement matérialiste du bonheur et l'argent pour posséder les choses leur manque cruellement. Tout le premier chapitre est écrit au conditionnel : il traduit l'utopie folle qui les habite et évoque l'appartement de leurs rêves :
« Il leur semblerait parfois qu'une vie entière pourrait harmonieusement s'écouler entre ces murs couverts de livres, entre ces objets si parfaitement domestiqués qu'ils auraient fini par les croire de tout temps créés à leur unique usage, entre les choses belles et simples, douces et lumineuses…Nul projet ne leur serait impossible. Ils ne connaitraient pas la rancoeur, ni l'amertume ni l'envie. Car leurs moyens et leurs désirs s'accorderaient en tous points, en tout temps. Ils appelleraient cet équilibre bonheur et sauraient, par leur liberté, par leur sagesse, par leur culture, le préserver, le découvrir à chaque instant de leur vie commune. »Un tableau en tout point idyllique !
Il apparaît dans la réalité que ce qu'ils aiment dans le luxe, c'est l'argent qui est derrière : ils succombent aux signes de la richesse et dans leur impatience, ils aiment la richesse avant d'aimer la vie. Et puis dans le monde qu'ils se sont créé, il s'avère que la règle est de désirer toujours plus que ce que l'on peut acquérir. Avec des fins de mois difficiles !!
Ainsi va leur vie comme celle de leurs amis dans leurs petits appartements encombrés et sympathiques, avec leurs balades et leurs films, leurs grands repas fraternels, leurs projets merveilleux
« Ils vivaient dans un monde étrange et chatoyant, l'univers miroitant de la civilisation mercantile, les prisons de l'abondance, les pièges fascinants du bonheur. »
Alors d'un coup d'un seul ne pouvant plus supporter cette médiocrité quotidienne, ils décident de partir à l'aventure en Tunisie pour tenter de faire fortune, Sylvie enseignante et Jérôme à la recherche d'un emploi !!
le système conformiste qu'ils ont toujours fui les rattrapera-t-il ? le bonheur leur restera-t-il inaccessible ? L'envie demeurera-t-elle pour Sylvie et Jérôme une addiction, une course sans fin ? La jouissance de posséder continuera-t-elle de les habiter ? Autant de question que la suite du roman aborde pour le plus grand plaisir du lecteur.
Un livre fascinant et passionnant que j'ai lu d'une traite, sans m'arrêter un instant. Une description surprenante et minutieuse de la vie d'un jeune couple des années 60 avec une certaine distanciation de la part de l'auteur vis à vis de ses deux personnages. Une réflexion sur le bonheur avant tout et sur la fascination qu'exercent parfois sur nous les Choses. Et surtout leur possession !