Un homme. Seul, mystérieux, inquiétant et qu'une barbe de couleur bleue n'invite pas à trouver beau.
Une voisine ayant deux filles. Belles à croquer...
Aucune d'elle ne pourrait désirer un tel époux.
Quelques réceptions, quelques délices, la tête qui tourne, au point que l'idée d'un mari à pilosité indigo n'aurait plus rien de surprenant.
La noce est faite, la messe est dite, c'est la cadette qu'on accrédite.
L'homme est fortuné et s'il est bien luné, pas trop dur à vivre.
Il ne regarde pas à la dépense, libéral sur ses richesses, mais quand il interdit, son ton devient vibrant, froid et effrayant comme une sentence.
Il doit partir, faire un voyage, pour une affaire, pour un contrat, nul ne sait, ce n'est pas bien grave, ce n'est que pour quelques jours.
L'élue a toutes les clefs, celles qui ouvrent tout, même celle qui ouvre ce qu'il ne faudrait pas.
Il avait dit non, elle avait été prévenue. Quel est donc ce démon qui pousse à passer outre les interdits les plus stricts ?
Il va s'en rendre compte, c'est inévitable et qui sait ce que peut faire un homme dont la confiance a été trahie ?
Elle en a bien une vague idée, après avoir tourné la clef. Mais c'est trop rude, mais c'est trop cru, c'est trop injuste. C'est terrifiant et trop rouge sang.
Vite ! Gagner du temps ! La grande soeur en sentinelle...
Et les autres ? Sauront-ils venir à temps ?
Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ?
Si, ma soeur, je vois venir le temps du changement, celui où il est fini qu'un homme ait droit de vie ou de mort sur sa compagne. Fini le temps des sentences irrévocables et des peines disproportionnées.
Mais c'est un lent processus. Très lent, de l'ordre de centaines d'ans, mais doucement, tout doucement les moeurs évoluent, et un jour peut-être, les femmes seront égales aux hommes. Grand bien leur fasse si elles savent ne se point montrer l'égal des mâles en cruauté, mais ça c'est une autre histoire et mieux vaut, là-dessus comme en général (et dans ce conte en particulier), ne pas être trop curieux, car à ouvrir des portes et des boîtes de pandore, nul ne sait ce qui pourrait bien arriver...
Pour le reste, un petit conte que j'aime beaucoup, probablement l'un de mes préférés de Perrault. Un petit conte qu'on pourrait presque appeler philosophique, tellement il se prête aux interprétations. J'aime y voir une évocation de la condition de la femme et une invitation à savoir se contenter de ce que l'on a sans chercher à être trop gourmand ou à trop vouloir exhumer le passé. Mais il y a encore mille autres interprétations possibles de ces quelques pages qui ont la vie longue, et c'est tant mieux. Seulement voilà, ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose, et le meilleur de tous, sera toujours le vôtre, celui qu'on se forge lentement, avec son soi intime et ses influences propres.
P. S. : quelle est la part d'un conte comme
Barbe Bleue dans l'inconscient collectif et quel est le degré d'apparentement qu'il peut avoir avec une scène comme celle de la douche, par exemple, dans Psychose d'
Alfred Hitchcock ?