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sur 288 notes
On se souvient encore de cet engouement général pour Ce Qu'il Faut de Nuit (La Manufacture de livres 2020), premier roman de Laurent PetitMangin qui raflait une vingtaine de prix de la rentrée littéraire de 2020. Oscillant entre la chronique sociale et le roman noir en se déroulant dans la région de sa Lorraine natale, on relevait cette pudeur et cette émotion que l'auteur distillait autour des relations entre un père cheminot aux convictions syndicales bien ancrées et un fils tenté par les dérives de l'extrémisme de droite, en s'inscrivant ainsi sur certains thèmes abordés par Nicolas Mathieu issu de ces mêmes contrées lorraines. Écrivant depuis au moins une dizaine d'année sans jamais être publié, Laurent Petitmangin proposait aux éditeurs, en même temps que Ce Qu'il Faut de Nuit, un texte intitulé Ainsi Berlin (La Manufacture de livres 2021) en changeant totalement de registre puisqu'il abordait le genre de l'espionnage de l'après-guerre autour d'une relation amoureuse. Publié au début de l'année 2021, la visibilité de ce roman fut probablement quelque peu occultée par la continuité du succès du premier ouvrage dont on parle encore aujourd'hui. Les aléas du succès sans doute. Mais il est temps de se tourner vers Les Terres Animales, nouveau roman de Laurent Petitmangin qui change une nouvelle fois de genre avec un récit dystopique où l'on rencontre une petite communauté persistant à rester dans une région irradiée suite à l'explosion d'une centrale nucléaire, en s'inspirant notamment d'un reportage s'intéressant à ces personnes âgées voulant à tout prix continuer à vivre à Fukushima en dépit des risques engendrés.

Ça a finit par arriver. La centrale a explosé. L'équivalent de dix Fukushima avec une région qu'il a fallu évacuer pour fuir les radiations. Une zone condamnée, silencieuse où certains ont pourtant choisi de rester malgré tout, attachés qu'ils sont par les souvenirs. Et puis il y a le corps de Vic qui repose dans cette terre contaminée, la fille que Sarah et Fred ont perdu bien avant l'accident de la centrale. Un attachement viscéral auquel s'associe les amis de longue date que sont Marc et Lorna, ainsi qu'Alessandro. Ils forment un groupe soudé qui leur permet de survivre sur ce territoire empoisonné où ils côtoient quelques anciens ainsi qu'une douzaine de migrants estimant que pour eux il n'y a pas d'ailleurs que cette terre animale et désormais indomptable. L'avenir est donc tout tracé pour ces femmes et ces hommes qui vont pourtant devoir remettre en cause leurs certitudes à la survenue d'un événement qui va bouleverser leur existence.

On recommandera tout d'abord d'éviter de s'attarder sur le résumé du quatrième de couverture dévoilant trop d'éléments de l'intrigue. Tout comme Ce Qu'il Faut de Nuit, on constatera que Les Terres Animales est un roman assez bref où Laurent Petitmangin ne s'embarrasse pas de détails. Ainsi, hormis la beauté vénéneuse du paysage et ce sentiment de liberté qui s'en dégage malgré tout, on ne saura rien de l'aspect géographique de la région dans laquelle évolue cette communauté qui fait le choix de rester dans cette atmosphère irradiée, tout comme l'on ignorera les circonstances de l'accident de cette centrale nucléaire ainsi que l'évacuation qui s'ensuit à l'exception de quelques détails en rapport avec les maisons abandonnées comme figées par la catastrophe. Essentiellement concentré sur l'humain, Laurent Petitmangin décline son récit sur une alternance des points de vue de Fred et de Sarah en définissant ainsi leur quotidien ainsi que les rapports qu'ils entretiennent avec Alessandro et l'autre couple que forme Marc et Lorna en prenant également la mesure des raisons tout de même insensées qui les poussent à vivre ou plutôt survivre au coeur de ce territoire empoisonné qui ne laisse que peu d'espoir quant à leur devenir. Devant l'absence de rationalité d'une telle décision, on ne peut donc raisonnablement pas vraiment s'attacher à ces personnages qui nous bouleversent tout de même au gré des événements auxquels ils vont devoir faire face en bousculant leur périlleuse routine, tout en remettant en cause leurs motivations respectives qui les ralliaient plus particulièrement autour de la destinée de Sarah. Avec cette belle écriture poétique qui caractérise son texte, Laurent Petitmangin met en place cette espèce de léthargie qui enveloppe ce groupe engoncé dans des certitudes ataviques qui perdent brutalement tout leur sens, au rythme d'une succession de drames dont on prendra toute la mesure au terme d'un épilogue chargé d'une émotion parfaitement contenue ce qui la rend d'autant plus poignante. L'intrigue prend également une forme admirable autour des non-dits et plus particulièrement du vertige des ellipses temporelles entre les chapitres qui ne font que renforcer l'intensité des péripéties qui vont marquer les membres de ce groupe qui se révélera beaucoup plus fragile qu'il ne le laisse paraître en révélant toutes les failles de ces personnages qui se révéleront dans tout le poids de leur humanité tragique et que le regard extérieur des membres de cette communauté d'Ouzbeks qu'il côtoient ne fait que renforcer, en devenant ainsi les témoins impavides des malheurs qui frappent ces terres animales. Avec Les Terres Animales, Laurent Petitmangin dépeint, de manière remarquable, cet attachement viscéral au territoire autour de l'amitié qui se désagrège dans les entrelacs de la déraison et des certitudes aveugles.


Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Editions de la Manufacture de livres 2023.

A lire en écoutant : Lullaby For Caïn de Shinead O'Conor et Gabriel Yared. Album : The Talented Mr. Ripley (Music from th Motion Picture). 1999 Sony Music Entertainment.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
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Rentrée littéraire,

1ère approche avec cet écrivain, et que vous dire ,si ce n'est que je suis incapable de dire si j'ai aimé ou pas?
Inclassable et ovni sont les deux premiers mots qui me viennent à l'esprit. Pour moi le sentiment de mal être et une angoisse allant crescendo se dégageant de ce roman en font un roman atypique.
Ils sont cinq personnes ,qui ,à la suite d'un grave accident nucléaire ont pris la décision de ne pas se faire évacuer,
On ne connait ni le lieu,ni la date ou cela s'est produit,Laurent Petitmangin s'est attaché à nous decrire le quotidien de ces cinq personnes : Marc,Lorna,Sarah,Fred et Alessandro.
Dans une nature reprenant ses droits ,ils doivent se protéger, mettre leur combinaison lors des sorties avec les compteurs pour vérifier le degré de radioactivité.
La vie,avec d'autres codes,. petit à petit va s'organiser,ils sont attachés à leurs racines ,à leur terre.
Plus tard ,un groupe d'ouzbeks les rejoindra.
Le seul lien avec " l'autre côté " ," l'autre monde" sont les drones qui les survolent et les surveillent.
Mais ils sont de moins en moins nombreux ,car les Ousbèks se font une joie de les " dégommer"
Toute l'histoire ,en fait est basée sur les rapports humains ,le comportement de ces cinq individus face à cette nouvelle vie ,sans espoir de retour ,qu'ils ont choisie.
Et puis un évènement inattendu va surgir remettant tout en cause .
Tous les codes vont être chamboulés ainsi que leur avenir savamment planifié.
Quant à La fin ,si je l'ai bien comprise ,elle est dramatique.
À recommander pour l'originalité de ce roman qui nous emmène dans une autre dimension ,une autre perception du monde qui nous entoure ,et qui nous interpelle ,comment aurions nous réagi à leur place? ⭐⭐⭐⭐
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Dans une zone montagneuse, forrestière, irradiée, en tenue d'astronautes, harnachés de compteurs Geiger pour mesurer la radioactivité, évoluent deux couples, Fred et Sarah, Lorna et Marc, et un célibataire, Alessandro.
Quand la centrale a explosé, ils ont résisté aux intimidations des « bleus » chargés de l'évacuation des zones irradiées, ils se sont accrochés aux barreaux comme des enfants qui s'agrippent aux jupes de leur maman le jour de la rentrée.

Nous allons faire leur connaissance grâce au journaux intimes de Fred et Sarah.
Fred s'adresse souvent à leur fillette morte, Vic, c'est pour rester auprès d'elle qu'ils ne sont pas partis.
Sarah ne va plus sur la tombe, car la dernière fois elle a saisi « une belle poignée [de cette] terre qui bruissait cinq cents millisieverts, une raclure d'enfer, à lui pourrir les mains. »
Leur couple est usé, ils ne font plus l'amour.
Sarah croit que Fred ne s'est pas aperçu de sa liaison avec Marc.
Fred est attiré par Lorna.
Ces cinq sont soudés comme les doigts d'une main, chacun a son rôle : Alessandro gère les stocks de la supérette qu'il évalue à trois ans de survie ; Marc est charpentier, se charge des réparations de toutes sortes ; Sarah est sage-femme, elle a fait trois ans d'études de médecine, elle soigne les maladies ; Lorna est une aristocrate rebelle, globe-trotters, éprise de beauté et de botanique ; Fred est cinéaste, il était en train de faire un film sur la vie dans ces villages reculés quand la catastrophe est arrivé.

« En attendant, je filme avec aussi peu de mouvements que possible, souvent la caméra installée sur pied pendant de longues heures, et je note les coordonnées de l'endroit, son activité. Je répertorie aussi la température, le temps qu'il fait le jour-là, le vent, quantité de choses inutiles, mais qui me tiennent debout. » p. 57

Leur traintrain s'est naturellement mis en place avec les routines domestiques normales, scandé par la chasse, les balades, les parties de foot, les fêtes…
C'est un huis-clos paisible où la paix règne grâce au mystère des non-dits.

« On a le temps, on n'est pas obligés de devenir les meilleurs potes tout de suite, on va s'apprivoiser. On a le temps. Avec ce qu'on mange chaque jour de radiation, c'est nouveau comme concept, pas désagréable, mais forcément joueur. » p. 46

Ils ne sont pas seuls, eux sont les jeunes, dans les autres villages, il y a les vieux.
L'ordre établi de leur microcosme va être remis en cause par l'arrivée des ouzbeks, et plus tard, bouleversé par un événement qui n'aurait pas dû être dévoilé en quatrième de couverture.

C'est un roman court, une longue nouvelle, qui se lit d'un trait, en apnée. C'est une lecture oppressante, je préfère clairement les utopies aux dystopies. Les personnages sont attachants et l'analyse psychologique des relations dans un huis-clos est bien menée. L'écriture est soignée mais gâchée par l'irruption de mots familiers.

Vous l'avez compris, je n'ai pas été touchée par Les terres animales même si je lui concède un certain pouvoir magnétique.
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Il est des Terres que l'on ne parvient pas à quitter. Parfois parce que nous y avons nos racines et qu'elles sont notre berceau. Parfois aussi parce qu'elles sont imprégnées d'un bonheur qu'elles ont nourri et ont vu grandir. Mais lorsqu'elles renferment en leur sein des êtres qui nous sont chers, alors elles nous enchaînent à elles pour toujours, bien au-delà du raisonnable, jusqu'à la folie même.

Car pour s'attacher à ces Terres interdites qui ont été détruites par l'explosion de la centrale de Tchernobyl, il faut avoir une raison bien plus forte que tout entendement.

Ils sont cinq à vivre dans la Zone, deux couples et un homme, une petite communauté qui résiste à l'évacuation depuis 2 ans et se débrouille avec ce que contiennent les maisons abandonnées par leurs habitants.

Mais il y a aussi en terre, le corps de la petit Vic, l'enfant d'un des deux couples, disparue avant la catastrophe, qui rend la perspective d'un départ impossible.

On se rend vite compte que malgré tout l'amour que ces cinq-là se portent, la pression des autorités et la difficulté du quotidien rendent la situation bien précaire, d'autant plus que s'annonce la naissance d'un nouvel enfant.

J'ai trouvé le sujet passionnant et l'ambiance que crée Laurent Petitmangin est saisissante. Car l'effondrement est inévitable à partir du moment où il devient impossible de justifier une prise de risques mûrement choisie, face à la fragilité d'un enfant.

Ce roman avait tout pour m'embarquer dans un tourbillon d'émotions et, en rupture avec la normalité, les réflexions de chacun sur ce qui est essentiel dans la vie m'ont souvent interpellée.

Pourtant il m'a manqué des éléments parfois, pour faire le lien entre les faits ou expliquer le passé de ces gens, pour mieux comprendre leur marginalité, mieux m'identifier à eux.
C'est rare que je trouve un roman trop court mais c'est le cas ici et je reste un peu sur ma faim en me disant que, dans cette plongée en terre hostile, le rivage n'aurait pas dû arriver si tôt. Dommage, j'étais partie pour nager un peu plus longtemps dans cette mer de verdure.
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Depuis que j'ai fini de lire ce roman, je ne sais pas quoi en penser.

J'ai aimé la première moitié : nous suivons Fred puis Sarah, un couple qui survie dans un village coupé du monde après que la centrale d'à côté ait explosé. Ils ont choisi de rester car leur fille est enterrée dans ce village.

J'ai aimé découvrir leur quotidien habillés de scaphandre, un compteur à la main ; leur façon de se nourrir avec de vieilles boites de conserve ; leurs promenades dans les bois bleus si beaux.

Et puis arrive un peu de vie dans cet univers stérile, et j'ai perdu le fil : je n'ai plus compris Sarah qui m'a paru perdre pied petit à petit ; l'obsession de Fred à aller contre la volonté de sa femme ; le choeur des amis qui se fait pressant.

L'auteur m'a laissé sur ces Terres animales en pleine interrogation.

L'image que je retiendrai :

Celle des ouzbeks qui arrivent au village et s'installe. Une complicité se créé entre les femmes.
Lien : https://alexmotamots.fr/les-..
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Les terres animales

Ils sont cinq. Cinq avoir choisi de rester après « l'accident ». Cinq à avoir résisté aux pressions, aux injonctions, aux menaces qui les poussaient à fuir pour toujours ces terres irradiées par l'explosion de la centrale. Avec quelques autres, ils ont fait le choix de rester quel qu'en soit le prix, quels qu'en soient les risques, par attachement à leurs terres, par attachement à leurs morts. Ensembles, ils ont construit un équilibre fragile fait d'entraide et d'amitié, une résistance passive dont ils savent les jours comptés. Mais un évènement inattendu viendra fissurer leurs quiétude et menacer leurs précaires existences.
.
Dans ce nouveau roman, Laurent, Petit Mangin, nous embarque dans un roman post apocalyptique. Point de survivalisme ou de dystopie ici cependant, car ces questions sont vite à écartées pour recentrer le roman sur les rapports humains, sur ce qui fait leur humanité face a une nature aussi majestueuse que menaçante. Dès les premières lignes, le ton est donné, et on retrouve avec plaisir le talent de l'auteur à dire simplement les sentiments, les émotions, la vie. Dans cet univers clos où chaque jour est une victoire, ces irréductibles ont su recréer une bulle de bonheur. Une vie faite de joie et de bonheur simple, une vie comme les autres, si l'on fait abstraction des compteurs Geiger, des sas de décontamination ou des survols de Drône. Une vie bousculée par l'arrivée d'une nouvelle vie, qui va rebattre les cartes faire flancher les certitudes car comment envisager l'espoir quand on l'avait a jamais abandonné? Comment se projeter dans un avenir quand on le sait sans issue? Dès lors les rapports vont se tendre, des failles vont apparaître et la tension monter crescendo de façon habile et inéluctable, faisant naître un champs de bataille invisible où tout semble inchangé et où pourtant plus rien n'est pareil.
Dans ce huis clos palpitant, l'auteur une fois encore explore ses thèmes de prédilection. L'amour, l'amitié, la paternité, la fidélité aux liens qui nous unissent, leur fragilité aussi. le tout dans une nature qui parait plus belle que jamais alors qu'elle n'a jamais été aussi nocive. Une réflexion forte et troublante, captivante et un peu effrayante aussi. Une réussite, encore une, de cet auteur que j'affectionne.
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« Les terres animales » symbolise parfaitement l'attachement à une terre, un endroit que l'on appelle « maison », des racines profondément ancrées quelque part. On y vivait bien sur ces terres, presque en harmonie avec cette voisine dangereuse, mais quasi invisible tant personne ne la voyait plus. Quand « l'accident » est survenu, la plupart sont partis, sauf Alessandro, Marc, Lorna, Sarah et Fred. Pourtant, ils vivent désormais dans une « zone qui avait vécu dix Fukushima » sur « une terre qui bruissait à cinq cents millisieverts ». (millisieverts : Unité de mesure d'équivalent de dose de rayonnement ionisant absorbée égale à un millième de sievert) Pourquoi rester ? Les souvenirs qui rapprochent, la peur de ne pas trouver sa place ailleurs, et un amour enfoui au creux de cette terre auquel il est impensable de renoncer. La plupart du temps, c'est à travers les yeux de Fred que nous découvrons ce nouveau monde, ces terres animales qui portent encore des vivants.


« Nous vivons de peu, nos corps se sont habitués. Nous vivons comme l'humanité aurait dû vivre depuis longtemps, comme ces hommes, au Bangladesh ou ailleurs, qui le font bien, et montrent si peu de besoins. » L'esprit de Fred vagabonde entre passé et présent, mais c'est surtout vers la situation présente qu'il se penche. Son amour avec Sarah semble fané « Notre amour n'a plus rien des premières années. Toute sa surface est lessivée, salement lessivée. Et rien dans les jours qui s'abattent ne ramène la moindre légèreté qui pourrait faire notre bonheur. On s'aime encore, d'un amour assommé. Vitrifié. Deux grands brûlés. Qui partagent la même chambre. » La vie communautaire a pris l'ascendant sur le couple. Ils sont cinq à refuser de quitter « Les terres animales », cinq dont les coeurs palpitent sous les combinaisons qu'ils revêtent pour sortir, cinq qui ont été là « au plus dur ». Chacun sait ce que rester veut dire, et pourtant ils restent. Ils ont rendez-vous avec le crabe, mais lequel ? Après une telle exposition, impossible d'y échapper. « Pourtant, l'analyse grinçante de leur situation pourrait même les faire rire parfois… Nos artères, elles, sont largement débouchées, il n'y a rien à craindre de ce côté-là, je pense même qu'elles sont à vif, récurées, abrasées comme pas permis. » Au-dessus de leurs têtes, les hélicoptères de surveillance tournent sans arrêt. Toute la zone, qui est pourtant immense, est électrifiée, gardée et surveillée. Des hélicoptères et des drones volent sans arrêt au-dessus d'eux pour suivre l'étendue des dégâts. « le nuage, deux ans après, n'a pas encore disparu. le corium a beau être déjà en profondeur, c'est une mèche acérée qui transperce la terre sans jamais s'épuiser. » (corium : Amas de combustibles et d'éléments de structure du coeur d'un réacteur nucléaire qui fondent et se mélangent lors d'un accident grave.)


Dès les premières pages, une seule question m'obsédait : pourquoi rester ? Rien de bon ne pouvait se créer sur « Les terres animales »… à part peut-être cette incroyable solidarité qui me semble de plus en plus absente de notre monde actuel. Lors d'une explosion de centrale nucléaire, il semble pourtant qu'elle prenne toute la place. Un groupe uni où chacun est présent pour l'autre. Cela pourrait presque faire rêver. Laurent Petitmangin glisse ces quelques rayons de fraternité dans un océan de gris et ce sont précisément ces quelques rayons qui prennent toute la place et éclairent le roman. Pourquoi rester ? Eux aussi se posent la question… « Question interdite. On se contente de la circonvenir. Par quelques affirmations un peu débiles, c'est pas pire qu'ailleurs, au moins, on est tranquilles, par de petites réassurances comme si on était en villégiature, on n'est pas bien, là ? puis, quand il faut dégainer le lourd maintenant qu'on a commencé. Ce maintenant qu'on a commencé résume l'espèce de pacte qui nous étreint, il prévient tout délitement. » Pour lire ce roman et l'apprécier un minimum, il faut accepter que d'autres ne pensent pas comme vous… et cela n'est pas si simple, car j'aurais fui à la première minute de la catastrophe même si objectivement il aurait été trop tard.


Mais, dans « Les terres animales », il y a quelque chose de plus fort que soi : il y a le groupe. « L'après est tabou. Nul besoin de s'en gangréner. Ce qui nous tourmente, c'est la fin du groupe, et en particulier, nous cinq. Là, on touche au nerf de l'existence, là on entre dans la grande terreur : que se passera-t-il le jour où le premier d'entre nous disparaîtra ? » La solidarité passe bien avant l'individualisme, même quand chacun sait qu'ils ne peuvent subsister sur cette terre hostile que trois ans, grand maximum. « Trois ans, c'est notre horizon. On ne le dépasse jamais. Tout ce qu'on vit, tout ce qu'on imagine se borne à trois ans. Notre stock de nourriture, on fait de notre mieux pour qu'il tienne jusque-là, et c'est vrai aussi pour le carburant, les médicaments, et ce qui nous aide encore à vivre : les piles, les bougies, les allumettes, tous ces adjuvants à l'existence, dont on pourra bien sûr se passer, mais dont on imagine mal la fin. Peu de choses vont au-delà. Nos disques, et encore il faudra pouvoir les jouer. Nos livres, il y en a tant. Même en lisant comme des brutes, aucune chance qu'on n'en ait jamais fait le tour. Presque frustrant. »


Dans ce quotidien bien huilé, un événement inattendu et providentiel va survenir, de ceux qui posent quelques rayons de lumière sur cet océan de gris. Car sur cette terre noire et funeste, irradiée, des choses incroyables peuvent encore se produire. C'est dans cette partie-là, précisément, que Laurent Petitmangin insère le grain de sable qui va enrayer la machine de l'harmonie parfaite. L'un des personnages se réveille d'un long sommeil pour prendre toute la mesure de cette situation absurde, grotesque où toutes les règles de prudence et de raison ont été bafouées. « Je comprends qu'on a été complètement débiles, que notre jeu est fini, et qu'il faut nous réveiller. Tout ce qui nous entoure, quoi qu'on en ait dit, n'est pas humain, et il faut vite s'en extraire. » Moi aussi je me réveille. Hypnotisée par la première moitié du roman où l'auteur parvient presque à me convaincre de la nécessité de rester là et d'accepter la situation, il me donne un petit coup de taser qui désengourdit mon cerveau. Comme Fred, je pense au-delà de moi, et au-delà d'eux. « Les terres animales » et leur pouvoir magnétique cessent alors d'exercer leur autorité. La réalité frappe de plein fouet…
Je déconseille fortement de lire la 4è de couverture que je juge trop détaillée, laissez-vous surprendre. « Les terres animales » sont des terres intimes et nébuleuses qu'il vaut mieux découvrir seul. L'écriture de Laurent PetitMangin saura vous envoûter…

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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Décidément, la rentrée littéraire 2023 nous propose de belles petites pépites.

Encore une fois, c'est La Manufacture de livres qui m'a provoqué un bonheur de lecture tout en douceur malgré une toile de fond totalement dramatique.

Je suis toujours admiratif lorsqu'avec une certaine économie de mots un auteur est capable de transmettre une multitude de sentiments.

Laurent Petitmangin possède le don de la juste formulation, y compris dans les constructions les plus courtes – ce qui ne l'empêche pas de faire des phrases de longueur tout à fait commune, que le lecteur se rassure.

Simplement, il n'a pas besoin d'en faire des tonnes.

La légende ne précise pas s'il s'agit d'un don céleste ou d'un travail de relecture et de correction acharné, laissons ses secrets à l'auteur.

Par ailleurs, Les Terres animales ne constituent pas un monolithe littéraire mais un maelström de sentiments.

L'accident nucléaire qui a amené les gens raisonnables à fuir la zone a aussi bouleversé les repères de ceux qui sont restés, leur a communiqué un autre rapport au temps, un autre rapport à leurs proches, lesquels ne sont pas si nombreux.

Ce nouvel équilibre apparait au fil des pages au lecteur médusé qui a le sentiment de découvrir une nouvelle humanité, meilleure ou pas mais d'un genre inédit dans sa simple relation à l'existence.

Une vie plus simple, des rapports humains plus tolérants, des attentes modestes quant à l'avenir et à ce que la vie propose…

Doit-on attendre le prochain Fukushima pour vivre en accord avec des idéaux débarrassés de la toxicité du monde moderne ?

L'avenir nous le dira, le présent est d'ailleurs déjà éloquent.

Heureusement la littérature nous fait du bien hier, aujourd'hui et demain.

Lien : http://cequejendis.fr/2023/0..
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Un livre lu en diagonale en raison d'une absence d'intérêt de l'histoire et des personnages. Ces derniers étaient fades, transparents et peu attachants. Je me suis malheureusement ennuyée. On piétine beaucoup. Dommage que ce soit plat, alors que j'affectionne les récits post-apo et qu'on m'avait recommandé ce titre.
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Ce qu'il faut de nuit, son premier roman, écrit dans une langue simple et fluide, était très émouvant et triste. A mon avis, il avait recueilli le succès qu'il méritait. Son troisième roman (je n'ai pas lu le second) témoigne des mêmes qualités. Humanité, tendresse, amour et amitié, incompréhension, soupçons, doute, révolte, sont mis en scène par le prisme de deux personnages (Fred et Sarah) qui, entourés de trois autres amis, ont décidé de rester vivre sur le lieu d'une catastrophe nucléaire.

Cette vie n'en est plus une. On ne peut s'aventurer hors des maisons sans une combinaison, les radiations sont partout, la terre est si polluée qu'y faire pousser des légumes est une gageure mortelle. L'horizon de la survie est limité à quelques années et ils le savent. Mais ils restent. Comme un refus du monde qui les a détruits, celui de ceux qui, au-delà de la vaste région interdite, continuent sans doute leur folie. Nous n'en saurons rien puisque ces cinq là (bientôt rejoint par quelques autres survivants étrangers) sont coupés du reste de l'humanité.

Et ce microcosme humain se débat dans les difficultés (autant psychologiques que matérielles), puis peu à peu s'y enlise. Car surgit bientôt une autre question. Si ces cinq adultes ont décidé en toute conscience de rester, a-t-on le droit de contraindre à ce choix un enfant qui va naître ? Et qui naît. Quel avenir offre-t-on à ce bébé en le forçant à vivre dans une nature qui tue ?

Cet enfant ne peut être un projet, il est condamné dès la naissance, et il crée par sa seule présence la discorde entre des volontés divergentes.

Je n'en dirais pas plus. Un roman sans doute moins fort que Ce qu'il faut de nuit, mais qui en possède les mêmes qualités d'humanité, d'amour des autres, et de fraternité.

J'ajouterais quand même que Laurent Petitmangin a bien du courage dans le contexte actuel de rappeler (en passant) que le nucléaire n'est l'avenir de rien, sinon du malheur et de la destruction. A un moment où le lobby nucléaire, avec à sa tête le redoutable propagandiste Jean-Marc Jancovici, a réussi à convaincre une majorité de Français qu'il fallait, pour lutter contre le réchauffement climatique, relancer cette aventure suicidaire de l'électricité nucléaire, il faut oser être à contre-courant. Merci aussi à l'auteur pour ce rappel d'une catastrophe qui nous pend au nez.


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