La Maison, dans laquelle –
Mariam Petrosyan***
LC avec HundredDreams (Sandrine), berni_29 (Bernard), HordeduContrevent (Chrystèle), Yaena (Doriane)
Pages : 954 exactement, le temps : il ne s'est pas laissé compter ni conter comme il faut, d'ailleurs c'est quoi « comme il faut » ?, un temps facétieux un vrai marionnettiste qui n'a pas arrêté de m'accrocher à ses ficelles âpres et soyeuses, le ressenti : épuisement et des moments d'envol, dans la tête et dans le corps, labyrinthe éprouvant entre paradis, enfer et purgatoire que j'ai vécus avec eux les louveteaux comprimés dans la Maison, imparfaits éclopés infirmes sans bras, mais bons marcheurs, sans jambes mais bons rouleurs, aveugles mais voyants, jeunes fauves dans une jungle encadrée, dont une certaine vie et ses lois jouent avec les extrêmes aux grands risques et périls de tous ses locataires petits et grands.
Roux porte corset, Chacal Tabaqui est roulant et porte lunettes, Fumeur roulant aussi, Lord porte béquilles, Sauterelle est sans bras , Sphinx est sans bras et chauve, chacun sa Maison de rêves ou rêveries, obsessions, fantômes, cauchemars, jeux mais chacun n'existe guère et ne se définit que par le groupe auquel il appartient.
La maison, comme un orphelinat accueille tous ces jeunes en manque de quelque chose de très important.
La lecture a été très difficile, je l'avoue, un marathon qui a failli m'avoir avec des hauts pics grisants et beaucoup de bas gouffres étouffants et une longueur qui m'a fait KO ou pas loin.
La Maison une double mise en abyme des espaces, d'un isolement dans un autre isolement, une mise en exergue de la différence qui condamne, un intérieur enfermé qui rime avec liberté, par opposition à un dehors une vraie prison où les lois ne sont pas créées, mais imposées.
Dans la Maison, triste, grise pas jolie, tout est hideux et répugnant, la perfection de l'ordre et de l'interdit semble avoir élu domicile permanent, et pourtant elle m'attire insidieusement, l'humain a disparu, l'animal prend toute la place, le miroir d'une fable métaphorique ? Comme dans une prison, des clans se forment, des approvisionnements s'infiltrent et se gardent secrets. Chaque personnage un éclopé, pas assez sauvage pour vaincre, pas assez dompté pour se soumettre, pas encore adulte pour comprendre ou accepter.
La Maison une scène aux portes fermées, une tragi-comédie dont les personnages jouent aux cartes qui peuvent s'appeler amitié, antipathie, liberté contrainte, bandes ou clans, la capacité ou l'impossibilité de se faire accepter par un groupe et, avec le temps, la peur de l'avenir, la peur de quitter la Maison, être effacé de la mémoire. Une forêt avec ses Oiseaux, ses Rats, ses Faisans, animaux plus ou moins dangereux, des clairières quand on s'approche pour les découvrir.
La différence, l'isolement, les clans, les bandes d'amis, les bandes ennemies, autant de frontières dans la Maison qui protège et isole, un retrait du monde extérieur, un enfermement, une ouverture vers le monde intérieur où se crée une liberté avec ses propres lois et règlements, un monde complexe surprenant contradictoire, ensorcelant, souvent lourd à porter, pas loin du risque de l'implosion à tout moment. Une forêt « mystérieuse et hirsute, elle abritait de profondes tanières et leurs étranges habitants, elle ignorait le soleil et était imperméable au vent. On y trouvait des cynocéphales et des oiseaux siffleurs, de gigantesques champignons aux chapeaux noirs et des fleurs vampires... »p.150 Magnifique métaphore du mystère, de l'inconnu, d'un âge rebelle de grande fragilité, « la forêt n'aimait pas les impatients, et elle pouvait très bien reculer… la forêt était capricieuse, craintive ; elle était aussi capable d'étirer et de multiplier les chemins qui menaient à elle. » p.149
Et mes pensée s'envolent vers Les disparus de Saint-Agil, Hogwart School ou Poudlard si vous voulez, Lord of the Flies ou Sa majesté des mouches, ou alors Oblio et une certaine Alice, histoires de temps intolérants de différences de frontières de longs chemins à faire.
Les adolescents gravissent des montagnes inexplorées déploient leurs ailes pour s'envoler dans leur monde créé de toutes pièces, chutent souvent dans la peur d'un extérieur inconnu dangereux menaçant, leur handicap devient force, arme, des guerres éclatent, des complots se tissent, des mains se tiennent, les adultes n'y sont pas invités, et pourtant, un éducateur, Elan, fait sourire la forêt, d'un sourire craintif, peureux : « Un sourire, mon petit, avait expliqué Elan, c'est ce qu'il y a de meilleur chez l'homme. Tu n'es pas vraiment un homme tant que tu ne sais pas sourire.
- Montre-moi, lui avait demandé l'Aveugle
Elan s'était penché, offrant son visage à ses doigts. Au contact de ses lèvres humides, l'Aveugle avait retiré sa main.
- Ça fait peur, avait-il déclaré. Je suis obligé de le faire ? Pour toute réponse, Elan avait soupiré. » p.152
La Maison les aspire se les approprie, un huis clos aux horizons infinis, et les adolescents des abeilles dans une ruche prodigieuse, ils la construisent jour après jours, avec la liberté de l'enfermement, celle qui se trouve en chacun d'eux. p.448
Moi, lectrice, j'entrais le plus souvent dans la Maison comme grande personne, avec un certain recul, sensible à beaucoup de symboles et de références à la littérature universelle, et pourtant pas détachée de ces enfants au seuil de l'adolescence, j'étais complètement dedans, d'où l'asphyxie.
La lecture a été difficile, j'ai trouvé l'écriture trop longue trop dense trop serrée, je perdais souvent le fil, un bal masqué, une fable métaphorique, une allégorie où plusieurs idées se mettaient en une image ou une seule image renvoyait à plusieurs sens, une jungle aux lois souvent impénétrables, lecture prenante très fatigante d'un livre dont la construction originale fortement symbolique accueille abrite et analyse l'immense univers de l'adolescence qui, fragile et téméraire, oh combien complexe, cruelle et compliquée, ne se laisse pas faire.
Si la boucle est bouclée c'est dans un miroir, ceux qui entrent dans la Maison en ressortent avec toujours une appréhension pour un autre inconnu, et en plus la douloureuse nostalgie d'un au revoir, une maturité s'installe, une adolescence s'en va « Et s'en aller quand même, retirer sa main de la mains d'autrui, comme si on déchirait à nouveau une plaie déjà guérie, Et s'en aller Où ? Dans l'incertain... »
Rainer Maria Rilke, le Départ du Fils prodigue, p.881
La Maison en dehors du monde, avec ses mondes à elle, la Maison – intermède, comme une synthèse de la Maison, intermède entre l'adolescence et la maturité, la police change, la vie aussi, et le point de vue et les mouvements en avancées vers les copains, en recul vers soi-même… et la forêt revient et le temps nous fait un pied de nez.
De grands artistes ces adolescents, ils ont une sève énorme mais délicate, pas des plus robustes, au contraires infirmes, comprimés, amputés, ils font pousser leurs racines et leurs branches pour trouver un équilibre, ils se sont construit leur Maison dans la Maison, leur ruche, et imaginé un monde plus fort que celui à l'extérieur, ils l'aiment et le défendent pour y vivre au risque d'y mourir. Ils voient tout d'un oeil attentif et curieux, ils ne peuvent se livrer sans s'anéantir. Belles et compliquées figures.
Tous des faisans, du gibier ? Chacun convoité par un autre ? Beaucoup de questions dans le roman restées en suspens comme il se doit…
Livre dense, labyrinthique, analyse subtile titanesque et prodigieuse d'un âge difficile à percer, des personnages en meute, gangs, bandes ou solitaires, des chefs et des exécutants, des nomades sans appartenance.
Certaines longueurs des dialogues, des mouvements des personnages se prêteraient mieux, je crois, à l'image cinématographique qu'à la lecture, et le pavé qui en est devenu je l'ai trouvé trop fatigant et oppressant.
La Maison dans laquelle avec quelques points de suspension invisibles et une façade aux lettres brinquebalantes a été une lecture commune d'une bande joyeuse curieuse et exigeante qui m'a tenu compagnie, la Maison, toujours elle, a attisé ma curiosité de vivre quelque temps avec une adolescence et les souvenirs un peu brumeux de la mienne, de découvrir une écrivaine qui a mis dix ans pour mettre toute cette aventure sur papier, de faire un effort de souplesse intellectuelle pour ne pas développer une claustrophobie qui s'empressait de germer.
Il arrive que la mémoire flanche par moments, celle de l'histoire comme la mienne, lectrice étourdie, perdue, surprise, jamais avertie.
Je salue l'écriture de
Mariam Petrosyan et dis un grand merci aux copains de la lecture commune : HundredDreams (Sandrine) berni-29 (Bernard), HordeduContrevent (Chrystèle), Yaena (Doriane).
NOTE : Les étoiles, quel qu'il soit leur nombre, je ne les mets jamais comme note pour l'auteur, je ne me le permettrais pas, mais comme tentative d'esquisser mon ressenti qui, avec le temps ou après une deuxième lecture, peut encore changer, tout est en mouvement et transformation !...***