Avec les années, une grande tolérance remplace l’amour. Avec le temps, l’amour se transforme en tendresse, en bonheur invisible. Voit-on le bonheur ? … Il est là. L’amour, après, ne se dit pas. Il est là, installé doucement. On trouve le repos auprès d’un être à la tête bien faite et à l’esprit bien carré. La sagesse se situe dans l’acceptation de la vie telle qu’elle est.
Demander à un aveugle de voir, à un Alzheimer de se souvenir, à un cul-de-jatte de courir le cent mètres… Se responsabiliser… cela ne veut rien dire. Certains jours, j’en suis incapable ; j’emmêle tout, je n’arrive plus à me concentrer. Cela peut se comprendre : je veux tellement guérir que j’ai mis le paquet ! Ça laisse des traces. Six traitements pour tordre le cou à l’hépatite C (VHC), ajoutés à la trithérapie, à presque un demi-siècle d’équitation à très haute dose, qui m’a cassée en mille morceaux, aux creux et bosses de la vie, à mes soixante-trois ans qui en valent bien quinze de plus, tout cela conjugué, il y a de quoi abattre un cheval !
J’ai honte de porter ces nouvelles maladies dont on ignore tout et qui déciment les homosexuels et les toxicomanes à la pelle depuis 1981. J’ai envie de rentrer dans un trou, comme les souris, pour ne plus jamais en ressortir.
Comment faire pour supporter tout ça ? C’est trop brutal !
Tout va trop vite.
Fini. Tout est fini. Fini, les aventures au bout du monde, les tambours, les orages, les plages au sable de corail, l’écume des vagues et des jours ! Les soirées entre amis ou dans les bras de mon amoureux, au coin du feu, les galops ou les trots aériens dans les gelées matinales ou dans les vents glacés ! Fini la vie. Fini l’amour.
La vie, c’est le mouvement. Les miens se résument à aller du réfrigérateur au téléviseur, à monter, à descendre les étages pour dérouiller les muscles, à aller chez le dépanneur du coin, y acheter une plaque de beurre (une demi-livre, pour ressortir moins souvent) ou au tabac pour une cartouche entière de cigarettes (même démarche)… Les Galeries La Farfouille ? Ce n’est plus la peine, la mort va venir bientôt : dans quinze jours, dans deux mois, je ne serai plus là.
La retraite… ce n’est plus d’actualité.
À partir d’aujourd’hui, la mort est disponible sept jours sur sept. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’ai très, très peur.
La maladie, c’est toujours pour les autres ! Pas pour soi. Pas si jeune. C’est impossible.
Dans la tête, ça cogne très fort. Le nord, le sud, l’est, l’ouest : rien. Il n’y a plus rien d’autre qu’une jeune femme devenue vieille en trois secondes. Les mots frappent plus fort que toutes les percussions d’un orchestre.
« Ma vie est foutue ! Ma vie de femme est foutue ! Elle va venir quand la mort ? Je ne veux pas souffrir !!! Je ne veux pas mourir, là, tout de suite ! Pas même dans deux mois ! J’ai encore de l’importance, une foule de choses à dire, à faire, des montagnes d’amour à offrir ! Je n’ai pas fini ! Pas fini…