Griffe en silence avait été une magnifique lecture, et sa suite,
de la Brume aux abois, l'a tout autant été. Quel plaisir de retrouver le charme mélodieux de la plume d'
Arnaud Pirodon qui joue avec sensibilité sur les mots, les maniant avec une dextérité les rendant tour à tour poétiques et émouvants. Même quand il décrit la médiocrité des uns et des autres, et le caractère lugubre de Brumeuse, ville sans âme, il le fait avec beauté. Avec cet auteur, qui mériterait d'être bien plus connu, l'amoureuse des belles plumes en moi est toujours enchantée !
Alors que l'auteur met en scène tout un tas d'animaux personnifiés, me donnant parfois l'impression d'être plongé dans un film du Chat Potté, l'humour tapageur en moins, il brosse le portrait de notre propre (in)humanité : corruption, abus de pouvoir, méchanceté, préjugés, couardise, vilenie, mensonges… Mais il met aussi en scène et en exergue de belles qualités et valeurs : le courage, la solidarité, l'amitié, la force de la musique, la passion, l'abnégation de soi au profit d'un idéal, et, dans ce tome, l'amour bien que la romance ne soit pas au centre de l'intrigue. J'apprécie particulièrement les histoires d'amour tout en finesse, et c'est exactement ce que l'auteur m'a offert ici avec quelques instants subtils, doux, tendres et chaleureux faits de regards et d'échanges, de vies racontées dans le secret de la nuit, et de rêves de bonheur murmurés.
Mais attention, Brumeuse, derrière sa fadeur et son amour du silence, pratique pour ceux qui veulent cacher leurs forfaits, est une ville dangereuse ! Dangereuse pour ceux qui rêvent, que ce soit d'une vie à deux ou de la Geste Parfaite. Ayant quitté Adamantine pour cette ville fort peu accueillante, Emma et ses amis continuent, en effet, à chercher cette musique généreuse, dont ils s'amusent à tenter de deviner le rythme. Les obstacles, hélas, s'accumulent et le danger prend différentes formes, de la bêtise crasse, en passant par les menaces subtiles et la violence physique. Vaillamment, patte dans la patte, nos troubadours poursuivent néanmoins leur quête, sans oublier de faire vivre cette passion de la musique qui les a réunis, les anime et guide leurs pas, quitte à leur faire prendre un chemin semé d'embûches.
Un chemin semé d'embûches, de mauvaises rencontres, mais aussi éclairé par de nouvelles amitiés : une patronne d'auberge peut-être pas si bourrue que cela, une cliente qui se prend d'affection pour nos musiciens, et Gong, l'assistant du responsable du musée de la ville. J'ai trouvé ce dernier personnage particulièrement touchant, peut-être parce que différent ! Différent des habitants de cette ville opaque qu'il faut prendre le temps de parcourir pour commencer à l'apprécier, différent des autres frêlapins, différents de ceux qui se contenteraient de mensonges paisibles, quand lui aimerait se nourrir de vérité et d'un passé partagé et non caché. Une certaine réflexion sur l'Histoire est d'ailleurs subtilement amenée, à travers cette ville, ce passé qu'elle préfère passer sous silence, et ses vestiges qu'elle se laisse dérober au risque de se perdre, et d'effacer ce qu'elle a été et donc ce qu'elle est.
Si l'auteur nous offre une galerie de personnages variée et intéressante, c'est le personnage d'Emma qui nous touche, nous émeut et nous inspire. Encore très fortement marquée parce qu'elle a fait dans le premier tome, elle possède en elle ce mélange étonnant de force, de bienveillance, de douceur, de fragilité et de haine. Une haine qu'elle transfère presque symboliquement à sa dague, sorte d'extension de ce moi violent, dont elle a peur et qui la rebute. Mais ce qu'Emma considère comme de la haine ressemble plus pour moi à cet instinct de préservation dont elle a besoin pour survivre, et aider ses amis dans ce monde difficile qui ne fait de cadeau à personne et certainement pas à une félichatte muette. Muette et pourtant si communicative, Emma ayant trouvé sa propre manière d'échanger avec ses camardes, que ce soit par ses regards, grâce à sa présence rassurante, ou durant les morceaux de musique qu'elle interprète avec ses amis et dans lesquels elle se dévoile entièrement.
Emma m'a touchée, mais ce n'est pas la seule, d'autres personnages ayant su faire vibrer la corde sensible en moi, mais rien d'étonnant,
Arnaud Pirodon sachant appuyer là où il faut pour susciter en nous de l'empathie, une entière et complète compréhension, et nous émouvoir bien au-delà de ce qu'une oeuvre de fiction devrait être capable de faire. Armé de la seule force de ses mots et de son puissant imaginaire, alliance de douceur non dénuée de noirceur, à moins que ce ne soit l'inverse, il nous transporte, nous fait vibrer et chavirer au rythme d'une histoire à laquelle il impulse son propre tempo ! Un deuxième tome fait de rencontres, d'aventure, de dangers, de mensonges, d'amitié, d'amour et de musique, qui ouvre la porte à un futur empli de mouvementées péripéties et d'intenses émotions.
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