Un poisson sur la couverture, je ne m'attarde pas. Refroidie par quelques épisodes de pêche à la mouche dans des Gallmeister ou autres romans de nature writing.
Apik' insiste pour que j'essaie : ça ressemble à 'Sauvages', de Nathalie Bernard. Non merci, toujours pas, trop d'action.
J'avance quand même un orteil frileux dans la rivière Restigouche, et je m'immerge rapidement dans l'histoire d'Océane, jeune mi'gmaq, du garde-forestier Yves Leclerc, de l'Indien William qui a quitté la réserve, et de quelques autres.
Nous sommes en 1981 (c'était hier), la Québecoise Céline Dion fait ses premières apparitions TV (avant retouches), les policiers débarquent en masse sur la réserve de Restigouche sous le prétexte fallacieux de contrôler la surpêche de saumon par les Mi'gmaq. Emeutes & répressions.
Cette lecture est d'autant plus agréable que l'auteur parsème son intrigue de rappels historiques (sur le Canada, les Indiens, la colonisation...) et biologiques (sur le saumon, sur l'homme).
On s'y (re)convainc de l'ineptie du droit du sol/du sang, de la prétendue supériorité de l'homme blanc et de tous les dégâts sur les populations autochtones.
Plus j'avance, plus je me dis que c'est un livre génial que je vais beaucoup prêter et offrir autour de moi.
Et puis arrive cette drôle de fin, en déphasage avec ce qui précède, on en rirait tellement c'est ridicule, non pas sur le fond mais sur la forme. On entend presque arriver Strasky et Hutch, gyrophare hurlant, roulant des mécaniques, jean moule-burn3s... Et là encore, on peut se demander si l'auteur ou l'éditeur espère une adaptation ciné ? Quel gâchis !
A lire malgré tout, pour réfléchir sur la colonisation, l'acculturation, les conquêtes meurtrières de territoires - c'est à dire l'histoire de l'humanité, au Canada et partout ailleurs, hier, aujourd'hui, demain.
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"Taqawan, est celui qui revient de la mer pour remonter la chute". Ce nom, est celui de William un indien Mi'gmaq.
Adolescent il est parti dans la forêt sans nourriture, c'est au cours de la troisième nuit qu'il eut son hallucination, William découvrit son père prisonnier d'un tonneau de sel rempli à ras bord, d'où seule sa tête dépassait. Juste à côté, sa mère était enroulée dans un filet...
" Alors l'aigle parla en langue mi'gmaq, tu es revenu, tu es le saumon revenu de la mer, tu es un taqawan." p 152.
Par un patchwork de légendes indiennes, Éric Plamondon, un solide québécois, nous initie à cette singulière culture, celle de la Gaspésie, l'estuaire du St Laurent où la pêche constitue encore aujourd'hui un moyen de subsistance, et pour le pêcheur de saumon une quête fascinante.
On pénètre dès les premières pages sur le territoire d'une réserve particulièrement attachante des Indiens mi'gmaq, la réserve, ce territoire qui finalement leur fut concédé longe la rivière de Restigouche.
Pourquoi les mi'gmaq de Restigouche se révolte-t-il en juin 81 ?
Depuis des millénaires, la sagesse de l'évidence suffit à ce peuple : si on pêche trop de poissons cette année, il y en aura moins l'année prochaine. Si on pêche trop de poissons pendant des années, un jour il n'y en aura plus.
Peu à peu, de réglementations en décrets, de lois diverses à l'attribution de droits de pêches pour des clubs fortunés, un amoncellement de règles contradictoires est venu rompre la sagesse ancienne.
" On a pêché les saumons à coups de barrages, de nasses et de filets jusqu'à l'épuisement des stocks les Indiens aussi étaient épuisés."
Sous la tutelle du gouvernement canadien, la réserve de Restigouche doit respecter les lois, les chiens seront lâchés, les Indiens se révolteront ," un indien ne s'agenouille devant personne " rappelle Éric Plamondon page 15 .
Le roman commence par une course poursuite entre des ados et 3 policiers … C'est l'engrenage, être là au mauvais moment. L' histoire devient celle d'une jeune indienne Océane prise en otage, une adolescente, en révolte contre les gouvernants qui obéissent à des injonctions absurdes.
Un thriller émouvant entre rêves brisés et l'espoir chancelant d'un cohabitation devenue impossible. Deux hommes, William l'Indien Taqawan et Leclerc qui démissionne de ses fonctions, l'ancien garde chasse ne se reconnaît plus dans ces brimades à l'encontre des mi'gmaq, ils seront deux pour tout tenter de faire valoir les lois de la nature, pour témoigner et pour sauver Océane ;
Sur le roman viendra se greffer par touches brèves l'histoire des amérindiens et la notre, celle de français devenus québécois.
De cette révolte une prise de conscience va émerger, chaotique certes mais grâce à leur opiniâtreté des avancées seront votées.
Très beau retour aux sources pour ce québécois qui réside à Bordeaux, aux aurores de nos élans pour préserver la nature.
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Dans un coin de Gaspésie, sud-est du Québec, le 11 juin 1981.
Parce qu'il conteste le droit à la pêche de subsistance aux Indiens Mi'gmaq, le gouvernement de la Belle Province a envoyé cinq cents agents de la police provinciale arracher les filets de pêche de quelques cent-cinquante pêcheurs amérindiens sur la rivière Ristigouche qui borde la réserve Restigouche et la sépare du Nouveau Brunswick voisin.
Et ça se passe mal. Très mal. Des insultes. Des coups. Des arrestations violentes.
Ce n'est pas la première fois que les relations s'enveniment entre les peuples autochtones et le gouvernement provincial du Québec.
Mais en 1981, les choses prennent une tournure telle que rien ne peut rester caché, ni la virulence et la mauvaise foi des autorités, jusqu'au juge qui condamnera en 1982 les Mi'gmaq accusés à 250 dollars d'amende et à un an de liberté surveillée (jugement cassé et annulé en 1983 par le juge Louis Doiron, de la Cour supérieure du Canada,), ni les motivations mercantiles qui visaient à réduire drastiquement le droit à une pêche au saumon de subsistance aux autochtones pour favoriser la pêche "sportive", si prisée des voisins américains, et la vente de concessions de pêche. Et moins encore les réelles intentions du premier ministre québecois René Lévesque qui avait laissé s'envenimer la situation pour flanquer une épine dans le pied du gouvernement fédéral après l'échec du référendum sur la souveraineté du Québec l'année précédente.
En partant de cet évènement, Eric Plamondon fait l'état des lieux de la présence européenne au Québec, depuis l'arrivée des premiers colons à la suite de Jacques Cartier jusqu'au mois de juin 1981, quatre siècles et demi plus tard.
Sur deux-cent-dix pages de chapitres courts et denses, se dessine la figure glaçante des conséquences multiples de la prédation et du mépris dont sont victimes les peuples autochtones, ces "héritiers reconnus des premières cultures développées dans le territoire de l'actuel Québec".
-aparté -
Lorsqu'il commençait une conférence à propos de l'ouvrage "Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique" qu'il a écrit avec Delphine Abadie et William Sacher (et que la compagnie minière Barrick Gold a malheureusement réussi à faire retirer de la vente), le philosophe Alain Deneault disait toujours que, dans le monde, les Canadiens étaient perçus comme LES gentils, bons gars en chemises à carreaux, férus de nature et de grand air, avec un drôle d'accent côté québecois qui faisait bien rigoler, et qui ne feraient pas de mal à une mouche.
Il disait surtout qu'il fallait se retirer cette idée de la tête une bonne fois pour toutes, et qu'il y avait la même proportion de saligauds au Canada que partout ailleurs.
-fin de l'aparté -
Eric Plamondon enfonce ce clou pour les peuples autochtones, que je n'étais pas la dernière à croire un peu mieux lotis de ce côté-là de la frontière canado-américaine.
Moi aussi, il faudra que je me retire cette idée de la tête une bonne fois pour toutes, même si la première image qui me vient quand j'entends le nom Québec, c'est celle d'un cousin de là-bas qui rêvait de nous faire découvrir les joies de la vie telle qu'il la concevait au pays de l'hiver, avec la cabane en rondins au fond des bois et le trou dans la glace pour pêcher son déjeuner.
Un homme plein d'humour et de bonté, dont je croyais qu'il avait trouvé un pays à la mesure de sa gentillesse…
Donc non, les peuples autochtones ne sont pas mieux lotis au Canada, au Québec dans le cas présent.
Le racisme, la bêtise crasse ou par manque de réflexion, le rejet de l'autre et d'un mode de vie qu'il faut à tout prix faire disparaître… contre la réserve, le manque d'opportunités, la volonté de perpétuer les traditions, les pièges à ours selon les Mi'gmaq, la chasse aux outardes, la révélation du nom par un jeûne en forêt, tout cela se télescope d'un chapitre à l'autre, sans jamais relâcher la pression.
S'y entremêle le portrait d'Yves Leclerc, garde-chasse québécois démissionnaire après la première charge contre les pêcheurs Mi'gmaq, qui découvre le lendemain au bord de la rivière une jeune fille Mi'gmaq endormie dans les fougères, dont il va comprendre rapidement qu'elle a été battue et violée.
Parce qu'il va l'aider, il perdra ses illusions et contribuera à nous faire perdre les nôtres.
Cet ouvrage est une pépite, par sa forme et la façon qu'il a de balancer les points de vue, les contes, les époques.
Roman d'une noirceur plombée et pamphlet politique, histoire d'amour et de haines, étincelant et fier, il embarque avec la force irrésistible d'un taqawan, ces jeunes saumons qui reviennent pour la première fois de la mer et remontent les rivières jusqu'au lieu de leur naissance.
Un grand merci au Picabo River Book Club, qui a mis ce livre en avant dans ses choix de livres de poche pour l'été !
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En ce mois de juin 1981, le blocage du pont Van Horne - reliant Québec au Nouveau Brunswick - par les autorités policières pour empêcher les indiens Mi'gmaqs de pêcher le saumon déclenche une répression violente de la communauté autochtone. Yves Leclerc, un des gardes forestiers, témoin écoeuré de ces agressions, démissionne. Océane, quinze ans, amérindienne qui avait échappé à la violence des heurts entre les deux camps, disparaît. Commence alors, dans un climat de violence délétère, la recherche de la jeune adolescente.
Au delà de l'enquête sur la disparition de la jeune fille, Éric Plamondon retrace l'histoire édifiante qui va mener à cette violence. A l'aide de références historiques, d'évocations de la vie des Mi'gmaqs avant l'arrivée des colons, il décrypte intelligemment les faits qui ont conduit à la domination puis l'ostracisation, la mise à l'écart dans les réserves des amérindiens, que l'on prive de terres, de richesses et de droits, placés sous tutelle, incapables juridiquement. Il dénonce l'étouffement progressif d'un peuple qui, à coups de boutoirs d'actes, d'arguments fallacieux et de décisions politiques du gouvernement canadien se voit confisqué même le droit de pêcher le saumon, une pêche ancestrale pour leurs besoins de subsistance. Décision qui met le feu aux poudres.
Éric Plamondon offre avec Taqawan - saumon en dialecte Mi'gmaq - un récit mosaïque, mêlant l'histoire individuel de héros ordinaires pour illustrer le destin dramatique des amérindiens du Québec. Une histoire édifiante, factuelle, très bien documentée, instructive sans être démonstrative ou pesante.
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Éric Plamondon, journaliste né au Québec, s'empare d'un pan sombre de l'histoire de ce pays pour en faire un texte étrange, à mi-chemin entre documentaire, pamphlet et roman noir.
L'histoire se noue autour d'un drame qui cristallise toute l'injustice et la complexité de la situation des autochtones : l'affrontement entre les indiens mi'gmaq et les autorités québécoises qui saisissent leurs filets à saumon. D'un côté, des peuples méprisés, et humiliés, poussés dans les retranchements de leurs territoires ancestraux, peinant toujours plus à assurer une existence basée sur la chasse et la pêche. de l'autre, les « forces de l'ordre » chargées d'appliquer les politiques de régulation de la pêche, avec force matraques, fusils et gaz lacrymogènes. D'un côté, la « sagesse de l'évidence » selon laquelle pêcher trop de poissons signifie qu'il ne pourrait plus y en avoir à l'avenir. de l'autre, la certitude d'incarner la civilisation face aux « sauvages ». Au coeur de cet affrontement, une jeune mi'gmaq, un garde-chasse, une professeure française et un vieil indien cherchent leur « droit-fil »…
Les courts chapitres se succèdent et ne se ressemblent pas. Il y a l'intrigue principale, mais elle est minimale, donnant l'impression que là n'est pas l'essentiel. J'ai eu le sentiment qu'elle servait surtout de prétexte au reste : assemblement de textes sur la vie des mi'gmaq, l'histoire du Québec, le saumon et les terribles événements de juin 1981. J'ai été intéressée et touchée par ces pages qui m'ont beaucoup appris. Cela dit, j'ai eu beaucoup de mal à entrer et rester dans cette forme de texte éclatée en trop de chapitres et de registres différents.
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