J’aurai vu les remparts…
J’aurai vu les remparts de ma patrie,
Si forts jadis, déjà démantelés,
Céder au pas du temps, contre lequel
Désormais leur vaillance ne tient plus.
J’aurai vu dans les champs le soleil boire
Le fil de l’eau où le gel se délie
Et les troupeaux chercher en vain les bois
Qui dérobaient jadis le jour au jour
J’aurai vu ma maison vile dépouille
De ma vieille demeure d’autrefois,
Mon bâton infléchi et moins solide,
Et mon épée abattue par les ans ;
Plus rien où poser les regards, plus rien
Qui ne soit signe et rappel de la mort.
...Où iras-tu pourrir, mon chant ?
Dans quel recoin secret
s’exhalera ton dernier souffle ?
Car tu mourras aussi,
car tout mourra
et dans l’infini du silence,
l’espoir dormira pour toujours !
- Miguel de Unamuno, Pour après ma mort
Pour après ma mort
extrait 1
Vents de l’abîme,
rafales d’éternel ont secoué
le limon de mon âme :
sa face s’est troublée de la tristesse
du fond dormant,
et mes idées s’écoulent troubles,
terreuse ma conscience
et terni le cristal où fluent et fuient
les formes de la vie
et tout est triste
de la grande tristesse de ces lies.
…
//Miguel de Unamuno (1864 – 1936)
Pour après ma mort
extrait 3
Quand je ne serai plus,
tu seras, toi mon chant !
Toi, ma voix enchaînée
à ce fil d’encre ;
souffle devenu chair,
double miracle,
prodige inégalé de la parole,
prodige de la lettre,
tu m’accables !
Se peut-il que tu vives plus que moi,
toi, mon chant ?
Œuvres, mes œuvres,
ô filles de mon âme,
pourquoi ne me donnez-vous votre vie ?
À votre sein, pourquoi
ma bouche ne peut-elle s’abreuver
d’éternité ?
Peut-être, mes doux mots, sonnerez-vous
dans l’air où flotteront,
– poussière – mes oreilles
qui juste en ce moment mesurent
votre cadence.
O mystère et terreur !
Sur la mer, long sillage étincelant
du navire coulé :
traces d’un mort !
Écoute cette voix sortie de la terre
qui te dit à l’oreille
son secret :
« Je ne suis plus, mon frère ! »
…
//Miguel de Unamuno (1864 – 1936)
J’entends le bruissement de la Mort…
J’entends le bruissement de la Mort qui approche,
Pas de velours, feutrés comme ceux des pieds nus,
Glissement cauteleux tel celui de l’aveugle,
Qui flaire en tâtonnant, d’un odorat aigu.
Et quand je sens son aile-main me nimber d’air,
Je me recroqueville, en retenant mon souffle ;
Puis, tranquille à l’abri du bastion du mystère,
Je ferme les paupières et je me laisse aller.
Je fais ainsi le mort, comme le scarabée ;
Oh, lâcheté ! car c’est mourir à deux reprises,
Et à ce sombre jeu, oh ! pénible torture,
Je bois la lie, le dépôt trouble de la vie.
Ah ! qu’il est dur de se résigner au destin !
Pour éviter la mort, mourir en la fuyant :
Ah ! voyageur, toi qui achèves ton voyage,
C’et au bout du chemin qu’on connaît tout son sort !
Toi, cependant qu’ainsi je jette au vent mes plaintes,
A l’oreille dis-moi ce qui régit ton cœur,
Pour que le mien puisse y puiser son dernier souffle,
C’est le souffle final de la résignation.
// Miguel de Unamuno (1864 – 1936)
/ Traduit de l’espagnol par Yves Aguila