Comment bien écrire sur cette lecture tellement particulière.
Joseph Ponthus, par amour, se retrouve à accepter tous les boulots qu'on lui propose comme intérimaire, lui l'éducateur spécialisé se retrouve sur une ligne (on ne dit plus chaîne) de production, il devient un opérateur en ligne dans deux usines. Dans la première partie une usine de conditionnement de produits de la mer et dans la deuxième dans un abattoir. Il faut vraiment être amoureux, vraiment être prêt à tout pour travailler dans ces univers et lui il accepte, pas le choix, les factures sont là et puis parce que l'on a sa dignité.
C'est un témoignage d'une réalité bouleversante. J'ai été dans une vie passée amenée à connaître ces lignes de production (non alimentaires dans mon cas) et l'on retrouve totalement l'ambiance, les personnages, les attitudes, les cadences, le rythme infernal, où l'humain devient machine, corvéable et sans droit, sans parole que celle de se taire car sinon
il y a du monde à la porte qui attend pour prendre ta place (même si ce n'est pas toujours vrai car ces postes ont vite mauvaise réputation).
Mais on ne vous demande pas d'aimer, on vous demande de travailler…..
Avec un style très particulier, sans ponctuation, à la façon d'un slam, chaque pensée est consignée après avoir été mûrement préparée au long de la journée. Faire court, direct et juste, n'hésitant pas à y glisser parfois une pointe d'humour ou de désespoir. Cela transpire la fatigue, l'usure et la révolte mais une révolte sourde, silencieuse car il en a besoin de ce travail.
C'est fantastique tout ce qu'on peut supporter.
Guillaume Appolinaire (Lettre à
Madeleine Pagès, 30 Novembre 1915)
Oui c'est inouï tout ce que l'homme peut accepter, peut supporter et
Joseph Ponthus n'en dit que l'essentiel dans ce court premier roman : les douleurs, les humeurs des petits cheffaillons, de la cheffitude, l'abnégation dont il faut faire preuve pour ramener des sous mais aussi la solidarité de certains, l'entr'aide bien que généralement c'est chacun pour soi, pour se protéger, pour garder son poste, pour avoir moins mal.
Mais il faudrait déjà que l'on se parle
Malgré les bouchons d'oreille les machines qui
martèlent nos silences à la pause pourquoi se dire
et quoi se dire d'ailleurs
et quoi se dire d'ailleurs
Que l'on en chie
Que l'on peine à trouver le sommeil le weekend
Mais que l'on fait
Comme si
Tout allait bien
On a du boulot
Même si de merde
Même si l'on ne se repose pas
On gage des sous
Et l'usine nous bouffera
Et nous bouffe déjà (p54)
L'auteur interpelle avec les absurdités de ce travail : être obligé de payer un taxi pour prendre le poste parce que le co-voiturage n'est plus possible, changements d'horaires, l'usure du corps, du mental….
Tout ce qu'il dit est tellement vrai. J'ai souri (jaune) à l'évocation des audits en usine….
Heureusement
Joseph Ponthus est un passionné de littérature, il se réfugie dans ses lectures pour survivre, il fredonne
Trenet, Vanessa Paradis, Bach, il se fait ses séances de films pour ne plus voir le quotidien, ne plus l'entendre, pour être ailleurs.
C'est du brut, c'est du fort, mais c'est aussi des émotions, des sentiments. L'humain garde sa place, il reste digne et debout, même si le dos n'est plus que douleurs, même si la tête n'arrive plus à aligner des idées. La force de l'auteur c'est d'avoir trouvé exactement l'écriture qu'il fallait à cette narration.
On en ressort bouleversé même si on sait que cet univers existe, on oublie par commodité parfois, on est écoeuré (je suis végétarienne en autre par respect de la cause animale) des pratiques mais aussi de ce que doivent endurer ceux qui y travaillent, qui n'ont pas d'autre choix, parce qu'il en faut pour nourrir les gens……
On ne regarde plus les crevettes et les bulots de la même manière ensuite, on ne regarde plus son voisin qui rentre à 5 heures du matin, vouté, exténué parce que lui rentre de l'usine, qu'il doit gérer le quotidien mais aussi les complications avec Pôle Emploi, les justificatifs, les rendez-vous etc….
Il n'y a pas que les bêtes que l'on abat, que l'on débite, que l'on tronçonne,
il y a aussi les humains qui ne deviennent que corps sans tête….. On s'active, on ne pense pas car si on pense cela fait mal…..
C'est le genre de récit que l'on ne peut oublier, qui reste imprégner en vous par son style mais aussi par son contenu, à la manière d'une odeur de marée ou de sang.
A voir sur un prochain roman si
Joseph Ponthus gardera le même style ou saura-t-il l'adapté à son récit, mais pour celui-ci il mêle mots et réflexions, poésie et réalité avec courage (et il lui en a fallu pour mener de front travail et écriture) c'est une réussite, pas un coup de coeur pour moi mais plus un coup de poing littéraire.
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