L'affaire des corps sans tête

J'apprècie les romans policiers historiques, en particulier la série de Jean-François Parot et son héros Nicolas le floch, dont l'action se situe quelques années avant ce livre qui constitue le premier tome d'une série se passant en pleine révolution (1791).
La contrainte des romans historiques est de méler faits et personnages historiques réels avec des élements de fiction. L'équilibre est parfois difficile à trouver, et dans ce cas L Histoire prend le pas sur l'histoire : en partant de ce qui pourrait être un simple fait divers on finit avec un complot royal, comme si l'auteur voulait mettre en scène le plus possible de personnages historiques (Le roi, sa famille, LaFayette, Danton, Marat, Mirabeau, Olympe de Gouges, ...) au détriment de ses personnages de fiction.
De plus ces fameux personnages sont à mon avis très mal traités : beaucoup des personnages secondaires meurent au cours de l'histoire, ou disparaissent du récit, et j'ai trouvé le héros lui-même, Victor Dauterive, jeune (19 ans) membre de la nouvelle gendarmerie, carrément antipathique : souvent malpoli, naïf, violent, balloté par les événements qu'il subit sans toujours les comprendre, l'enquête semble surtout une succession de hasards.
Je ne lirai très certainement pas les tomes suivants.

En ce qui concerne l'histoire, le résumé de l'éditeur fera l'affaire.
L'idée d'un enquêteur au 18è siècle n'est pas neuve (cf. Nicolas le Floc'h, Donatien Lachance, etc.), il y a pourtant dans ce roman-ci quelques originalités intéressantes. La situation d'époque est bien étudiée, l'auteur a su compiler et exploiter une documentation de qualité. Personnages historiques et fictifs font bon ménage, et le déroulement de l'intrigue est bien structuré, dans un style agréable et dynamique. Tout se tient, et c'est plutôt plaisant à lire sauf …
Le problème de ce roman est le vocabulaire :
Dans sa postface, l'auteur déclare avoir utilisé le Crisco (Dictionnaire de l'Université de Caen) et le dictionnaire de l'Académie Française de 1798 pour le vocabulaire du 18è siècle ! Que n'en a t-il fait autant (utiliser le Dictionnaire de l'Académie Française 9è édition*) pour le Français moderne. Cela lui aurait évité d'utiliser un grand nombre de psittacismes du moment (échanger, dédier, etc.) ; il aurait ainsi appris la définition de "maraudeur", la différence entre fouineur et fouisseur, su que le verbe correspondant à fouisseur est fouir et non fouisser, et corrigé plein d'autres erreurs sémantiques de la sorte ... Avant de se lancer dans le Français Moyen, il conviendrait de maîtriser le Français moderne !
Autre désagrément de lecture, la version électronique de ce livre (Kobo Fnac) pullule de coquilles typographiques, de mots manquants, de fautes d'orthographe. Je peux me faire rembourser ?!

* bien que je recommanderai davantage le site du CNRTL, moins officiel, mais plus pratique.

En 1791, Victor Dauterive, jeune officier de la gendarmerie est investi par son protecteur, le général de Lafayette, de la mission d'arrêter Marat, pour le mettre hors d'état de nuire à la royauté. Des lors, le récit nous entraine des quartiers glauques de Paris, jusqu'à Varenne, où le roi et sa famille seront arrêtés dans leur fuite, en passant par de somptueuses demeures opulentes, le tout en croisant des personnages historiques éminents tels que Robespierre, Danton, le brasseur Santerre, Olympe de Gouges ou encore le marquis de Bouillé, le conte Axel de Fersen et le maître de poste Jean-Baptiste Drouet. Si Jean-Christophe Portes s'écarte largement de la véracité historique, il restitue en revanche admirablement l'atmosphère et le cadre de l'époque au coeur de l'agitation révolutionnaire. L'intrigue principale s'articule autour de l'élaboration de l'évasion de la famille royale au travers un complot politico-financier orchestré par des personnages de haut rang et opéré par de peu recommandables sbires. Les rivalités entre les différents courants politiques à l'oeuvre sont parfaitement exposées, les traîtres de tout bord sont nombreux et chacun cherche à tirer avantage de la situation. L'auteur met en avant quelques réflexions philosophiques, s'interroge sur le bienfondé de certaines actions et sur l'endoctrinement aveugle des populations au mépris de la compassion et de la justice. Ces parenthèses manquent toutefois de pertinence et n'apportent au final par leur complexité qu'une certaine note de confusion dans le déroulement du récit. Les personnages, fictifs comme réels, manquent singulièrement de profondeur et ne pèsent que confusément dans la trame de l'histoire. Concernant Victor Dauterive, il est d'une inconsistance flagrante, pédant, orgueilleux mais d'une naïveté qui frôle la bêtise et se montre si peu éclairé qu'on se demande même comment il peut réussir à déjouer le complot et résoudre l'enquête. Il survole les évènements sans trop les comprendre, passe souvent à côté de l'essentiel et se laisse constamment abuser par son manque de discernement et son absence de réflexion. Un egocentrique totalement indifférent au sort funeste réservé, sa jeune maitresse comprise, à ceux qui l'accompagne dans sa quête. On est bien loin d'un Nicolas le Foch ou Louis de Fronsac mais c'est peut être un parti pris, absurde au demeurant, de l'auteur. En conclusion, L'affaire des corps sans tête constitue un ouvrage classique, pas véritablement déplaisant mais sans grande originalité et à la fidélité historique sommaire qui met de surcroit en scène un héros surfait, insipide et des plus antipathique.