Ce livre est paru le 18 août et il est passé un peu inaperçu. C'est dommage.
Beigbeder a eu la bonne idée de lui consacrer un article qui a attiré mon attention. Merci à lui. Comme il le dit, c'est le roman du Woke. J'allais dire que ce n'est pas triste. En fait c'est très triste. Car il s'agit d'une des pires défaites de la pensée, qu'Alan Bloom dénonçait déjà en 1987 dans son livre"L'âme désarmée" (magnifique et indispensable) alors qu'elle n'en était qu'a ses débuts et n'avait pas encore traversé l'Atlantique ( hélas TOUT traverse l'Atlantique, de McDonald's à QAnon).
Revenons à notre Voyant. Qui est-ce d'ailleurs ? L'auteur, le narrateur, le poète ?
Jean Roscoff, universitaire depuis peu en retraite, la vit mal. Il n'est pas remis de son divorce et se débat avec son alcoolisme. Et puis il a une idée pour sortir de son marasme: écrire la biographie d'un poète noir communiste américain, exilé en France dans les années 50, introduit dans les milieux existentialistes, mort dans un accident au début des années 60, Il a laissé une oeuvre confidentielle. Hélas il va s'attirer les foudres des Woke. Il se voit de manière insensée accusé de racisme, parce qu'il a présenté Robert Willow comme étant essentiellement un militant communiste, occultant ainsi selon ses détracteurs, la question de race : Willow était "racise" et Roscoff, en le présentant d'abord comme un communiste, nie le primat de la question raciale. C'est absurde ? Bien sûr, mais pas pour ce que l'auteur appelle les"Nouvelles Puissances" du politiquement correct. On notera d'ailleurs que ce faisant, Roscoff est pris dans un double bind : en n'insistant pas sur la notion de race, en la considérant comme secondaire, voire insignifiante, dans la tradition de l'universalisme des Lumières (idéologie de mâles blancs cisgenres morts...), il marque un racisme implicite, mais s'il avait privilégié cet aspect, il aurait pu être accusé d' "appropriation culturelle" de la souffrance des Noirs qu'il n'est pas légitime pour traiter, voire de néocolonialisme. Bref, d'un côté tu as tort, et de l'autre aussi. La meilleure chose à faire serait peut-être de se taire. Mais n'est-ce pas la marque d'une indifférence coupable ? Alors ? Se faire sepuku? Appropriation culturelle ! Remarquez, avec les Asiatiques, c'est moins grave.
Coupable, forcément coupable comme disait Marguerite, il ne s'en sortira pas et connaît une véritable descente aux enfers. (Elle m'a un peu fait penser au sort du trader, protagoniste de"
le bûcher des vanités" de
Tom Wolfe). le point d'orgue de sa persécution sera une interview radiophonique (sur laquelle il comptait naïvement pour pouvoir présenter sa version des choses )par un journaliste qui répond au nom de Vichinski (on apprécie le clin d'oeil, et in ne s'étonne pas que les choses tournent au procès de Moscou). Dans la bonne tradition inquisitoriale, Roscoff fera-t-il l'autocritique à laquelle le poussent ses proches ? Pourrait-elle le sauver d'ailleurs ? La Sainte Inquisition poursuivait les actes, non les personnes pour ce qu'elles étaient. Les choses ont changé.
A noter que le pauvre Roscoff souffre d'autant plus que ses convictions personnelles et son passé militant lui rendent les reproches qu'on lui fait plus pénibles et qu'elles l'empêchent de se défendre de manière efficace. Un homme de droite aurait certes souffert de la persécution mais elle ne l'aurait pas étonné, venant de gens qu'il méprise et déteste de toute façon. Et il aurait pu se défendre en s'appuyant sur les médias et les partis de droite. Par exemple il aurait pu donner son interview à CNews où il aurait été bien accueilli.
Arrêtons-nous là, je ne raconterai pas la fin, j'en ai peut-être déjà trop dit. Disons seulement que le dernier chapitre réserve une sacrée surprise
On apprend beaucoup de choses, hélas exactes, sur la nouvelle idéologie. On aimerait en rire, mais les choses ne restent jamais drôles longtemps face au front de taureau de la bêtise triomphante.