Le Bon, La Brute et la Truande
D'abord, une remarque générale. Cette pièce se retrouve la plupart du temps entre les mains d'un jeune public, par obligation scolaire. Or, il ne s'agit pas de l'oeuvre de Racine la plus simple. La langue classique est ardue et chaque phrase compte. le collégien/lycéen devra donc prendre son temps et ne lire qu'au compte-gouttes s'il ne veut pas décrocher ou être ennuyé.
Pour le reste...lecteur pressé, taper 1. Lecteur flâneur, taper 2.
1. Pour le lecteur pressé.
Il s'agit d'une des pièces de Racine les plus jouées, bien qu'elle ait connu un démarrage difficile.
Pour ma part, je lui trouve certains défauts (rimes étranges, personnages -
Britannicus notamment- falots...) qui me gâchent un peu le plaisir..
Je trouve également que le sujet manque de flamboyance, d'excès qui le situeraient plus haut. Là, le drame paraît tellement crédible que paradoxalement, il perd de sa force.
Mais cette pièce reste malgré tout un modèle en ce qu'il décrit formidablement la naissance d'un monstre ou la chute des illusions. La profondeur psychologique va de pair avec une rigueur formelle et une belle maîtrise de la règle des trois unités.
Une pièce ultra classique et paradoxalement, très moderne.
2. Pour le lecteur flâneur
Si on veut bien comprendre cette pièce, il importe de faire un petit retour historique.
Dans la famille Julio-Claudienne, je demande :
- Germanicus (un consul ainsi nommé parce que son père Drusus, était allé casser du Germain pour le compte de Rome) et sa femme, Agrippine la Vieille. Ils ont, entre autres, un fils (Caligula) et une fille (Agrippine la Jeune).
- l'Empereur Claude et sa femme, Messaline.
Ils ont, entre autres, un fils (
Britannicus, ainsi nommé parce que son père Claude était allé casser du Breton. Je me demande du coup, si le père de Vespasien avait défoncé des chiottes) et une fille (Octavie qui épousera Néron).
Messaline, nymphomane présumée finit par exaspérer Claude et meurt sous les coups des soldats menés par l'ex-esclave Narcisse. Veuf, Claude se remarie avec Agrippine la jeune (opportunément veuve de Domitius avec qui elle a eu un garçon : Néron).
Après avoir convaincu Claude d'adopter Néron et de le désigner comme empereur, à la place de
Britannicus, Agrippine fait boire à son mari, le bouillon de 11h.
Britannicus est écarté. Néron est Empereur, sous la coupe d'Agrippine. Tout roule.
Mais au moment où démarre la pièce, il y a de l'eau dans le gaz.
Au premier acte, on voit Néron tenir Agrippine à distance de ses appartements. Cette dernière s'inquiète (" Je le craindrais bientôt s'il ne me craignait plus ") d'autant plus de cette situation, que Néron vient d'enlever Junie, la fiancée de
Britannicus. le monstre s'éveille (" Las de se faire aimer, il veut se faire craindre").
Du coup, Agrippine vexée d'être mise à l'écart, propose son aide à
Britannicus.
Commence alors le jeu des liaisons dangereuses.
Britannicus se méfie d'Agrippine et il a bien raison (elle l'a quand même dépossédé de son trône au profit de son fils).
Britannicus confie ses craintes à son gouverneur, Narcisse...et il a tort.
Au deuxième acte, la machine s'emballe.
Néron commence à lorgner sur Junie et lui propose même de prendre la place d'Octavie, son épouse.
Junie le repousse. Jaloux, Néron la menace de tuer
Britannicus si elle ne l'éloigne pas, ce qu'elle fait la mort dans l'âme, sans renier pourtant, son amour.
Là, Néron, frustré, commence à monter dans les tours (" Elle aime mon rival, je ne puis l'ignorer./ Mais je mettrai ma joie à le désespérer"), encouragé par Narcisse qui entame un travail de sape destiné à écarter
Britannicus et Agrippine (" Suivons jusqu'au bout ses ordres favorables ;/ Et pour nous rendre heureux perdons les misérables ").
Ça promet !
Le 3ème acte
Mais t'es-où, Pallas, t'es-où Pallas ?
Néron a écarté cet autre esclave affranchi, proche d'Agrippine provoquant sa colère (" j'avouerai les rumeurs les plus injurieuses. / Je confesserai tout, exils, assassinats, / Poison même "). Elle sent que son influence sur son fils a presque disparue et elle envisage de le faire renverser.
De son côté,
Britannicus s'agite aussi en coulisses (" Nos malheurs trouvent des coeurs sensibles ").
Enfin, Junie se croyant seule avec
Britannicus, lui avoue pourquoi elle a fait semblant de le rejeter.
Problème : Néron, averti par l'infâme Narcisse, entend tout et il pique sa crise. L'échange Néron-
Britannicus est un ping-pong verbal hallucinant qui se termine par un coup droit gagnant de l'Empereur qui fait arrêter son rival : " Je vous entends. Eh bien, Gardes ! ".
Pour faire bonne mesure, il fait enfermer dans la foulée, Junie et Agrippine en dépit des conseils de sagesse dispensés par Burrhus, son gouverneur.
Le quatrième acte démarre avec l'échange entre Agrippine et son fils. Elle se montre hautaine et reproche à Néron son ingratitude par rapport à tout ce qu'elle a fait pour lui (" voilà tous mes forfaits. En voici le salaire ").
Néron lui joue alors " Embrassons-nous Folleville" et semble sincèrement désolé. Il déclare vouloir tout réparer.
Mais le coup de théâtre arrive au vers 1314.
Néron a joué le repentir : " J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer".
La suite est une querelle d'influence entre Burrhus et Narcisse. Néron tangue, puis penche définitivement vers l'irrémédiable : il ordonne la mort de
Britannicus. (" Viens Narcisse. Allons voir ce que nous devons faire")
Cinquième acte.
Abusé et naïf, en dépit des alertes de Junie ("Je crains Néron. Je crains le malheur qui me suit "),
Britannicus se rend au repas de réconciliation proposé par Néron ("Dans son appartement, m'attend pour m'embrasser ").
Il est d'autant plus confiant qu'Agrippine, elle-même abusée par Néron, est persuadée d'avoir retrouvé son influence (" Il suffit, j'ai parlé, tout a changé de face. ")
Mais un tumulte annonce le drame :
Britannicus vient de mourir.
La fin se précipite : Albine, la confidente d'Agrippine raconte la scène.
Junie désespérée a couru se réfugier au Temple, pour devenir vestale. Narcisse qui tentait de l'en empêcher a été lynché par la foule (bien fait, immonde traître !).
Néron, encore sous le choc de son crime et la perte de son amour, reste hagard et on se demande s'il ne va pas mettre fin à ses jours. Burrhus a alors le dernier mot : " Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes ! "
Trahisons, manoeuvres, illusions...Racine écrit pour sa 1ère incursion dans la tragédie romaine (jusque-là domaine réservé du grand rival
Corneille), une pièce admirable, dévoilant la transformation de Néron, sa libération de toutes les influences et le début d'une aventure sanglante, à la recherche du pouvoir absolu (" Ma gloire, mon amour, ma sûreté, ma vie ").
Les vers qui font brusquement basculer la pièce et montrent la duplicité de Néron et de Narcisse, sont dignes des meilleurs rebondissements policiers.
J'ai déjà indiqué pourquoi la pièce ne me transportait pas totalement. J'ajoute que certains passages piquent également un peu les yeux : " Jamais sans ses avis " rimant avec " n'eût adopté mon fils ' par exemple.
Mais malgré tout, un monument du répertoire.