Qu'être un fils-à-maman est une douce chose !
La grâce, dans ses bras, et l'amour se reposent !
Vous êtes le plus grand, vous êtes le plus beau !
A vous, tous les talents ! Vous êtes sans défaut !
Votre col est taurin, votre nez est trop rond ?
Vous êtes plein de force, vous êtes son Néron !
Vous êtes lunatique, vos rêves sont bizarres ?
Vous effrayez les filles, elles ont des cauchemars,
Vous aimez les surprendre souvent au saut du lit ?
Surtout quand il s'agit de la douce Junie,
Cette jeune captive, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil…
Ah, vous avez tôt fait d'en faire votre idole
Et ce n'est pas seulement dû à son baby doll !
Vous êtes un peu rebelle, alors votre Maman
Vous a doté de deux tuteurs fort compétents :
L'un est le grand Burrus, bourru et irritant,
Barbon que ses conseils ont rendu bien barbant,
L'autre a un nom de fleur, mais il sort du fumier,
On dit que de Maman il sut se faire aimer,
Mais là, c'est vous qu'il sert, ses intrigues il tisse,
Il espionne partout, le perfide Narcisse !
Mais depuis quelque temps Maman vous fait la tronche,
Se méfie de vous comme d'un cheval qui bronche :
Elle vous caresse moins, vous parle de travers,
Réserve ses câlins à votre demi-frère…
Ah quel ennui vraiment : mais qu'a donc ce minus ?
Qu'est-ce qu'on peut lui trouver, à ce
Britannicus ?
Si Maman s'en entiche, adieu tous vos pouvoirs !
Car il est fils de Claude, allez donc vous faire voir !
Ce Claude, ce tonton, que Maman épousa
Et tua. Oui : Ad augusta per angusta,
Disait votre Maman. Avant, elle prit soin
De vous faire adopter, vous le bâtard taré
Et de déshériter le Britou , l' Octavie :
Vous étiez donc promis aux couronnes qui brillent…
Mais voici qu'elle change, cette mère redoutée,
Elle vous fuit, elle vous craint, que peut-elle mijoter ?
Si un fils- à -maman est une douce chose,
Si c'est pour un garçon une vallée de roses,
Il est un cas pourtant où l'on fait grise mine :
Quand on est le fiston de maman Agrippine !
Hauts les coeurs, point de peur, quand on est un Néron,
On se jette hardiment dans l'arène, voyons !
Demandez à Locuste, la savante en poisons
Qu'elle vous débarrasse du petit avorton,
Qui n'a qu'un seul atout, le pauvre rejeton,
C'est bien d'être orphelin : pas de mère crampon !
Et c'est votre Maman qui joue les chaperons !
Il lui en cuira donc : vous abattez la tour !
Britannicus se tord devant toute la cour,
Il a bien mal au ventre, il geint, il va mourir..
Maman a tout compris, mais elle sait se tenir :
Pas un mot, pas un geste, elle demeure sereine…
A vous de renverser après ça votre reine
Dans ce grand jeu d'échecs qui se joue entre vous :
Etre un fils-à-maman c'est dangereux comme tout !