C'est d'abord le lieu (le Spitzberg, la
Zona frigida, le Svalbard en norvégien) qui nous a accroché : il y a déjà longtemps, on y avait passé une semaine frigorifique, kayakant entre phoques et glaçons. Beau mais froid, même au mois d'août !
Le bouquin de la norvégienne
Anne Birkefeldt Ragde retrace tout cela parfaitement : l'atterrissage à Longyearbyen en provenance de Tromsø tout en haut de la Norvège, la colonie russe de Barentsburg(1), le jour continuel et la fin des horaires, la peur des ours qu'on ne voit pratiquement jamais mais dont on parle tout le temps, l'obsession norvégienne pour garder ces terres propres et sans mégots de cigarettes(2), tout y est.
Mais au-delà de la balade touristique (réussie), on a découvert une auteure méconnue ici et réputée chez elle, quelque part entre Bridget Jones et
Anna Gavalda.
Sauf que
Anne B. Ragde décoiffe : elle n'a rien de politiquement correct, sa prose est juste et féroce, on se marre, on rit jaune, on jubile, on dévore son bouquin comme un ours dévorerait un phoque.
L'écriture est vive, la traduction visiblement à la hauteur.
L'héroïne de son bouquin (Béa) est caricaturiste pour les journaux politiques : c'est dire si le trait est acéré.
Ça commence avec une petite déprime,
Et voici Béa notre dessinatrice partie en voyage organisé au Svalbard.
Sauf que la jeune dame ne se contente pas de larguer ses mecs, de dédaigner son rôle de mère potentielle et de boire des cafés.
En réalité elle picole comme un trou. Que dis-je, un gouffre. Elle est organisée. Quasi une scientifique du biberonnage.
Elle ne se cache même pas d'avoir choisi cette destination parce que les alcools y sont détaxés.
Nos flics et inspecteurs avinés habituels sont relégués au dernier rang de la classe. Béa est désignée major de promo, sans contestation possible. Et en plus, sympa, elle n'a pas le vin triste.
Mais tout ça, c'est à la surface de la glace. Dès le début, grâce à quelques indices soigneusement dosés, on nous laisse deviner qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. L'alcool. le titre. Béa semble avoir entrepris ce voyage moins pour le cognac ou le gin détaxé que pour se venger de quelque chose, sans doute un passé terrible ?
Le mystère se dévoile aux deux tiers du bouquin et on est un peu surpris de découvrir si tôt le pot aux roses et le dénouement. Malgré l'ombre du passé, on s'amusait bien en compagnie de Béa. Pochetronnée ou pas, elle ne gardait pas sa langue dans la poche de sa doudoune et on aimait bien suivre avec elle la croisière dans les eaux glacées et ensoleillées, au rythme des jours et des jours(3).
Mais finalement la dernière partie du bouquin tiendra ses promesses, d'autres masques tombent, d'autres passagers de la croisière se révèlent sous un autre jour :
Anna B. Ragde s'avère une sacrée portraitiste.
Une fois embarqué à bord, impossible de lâcher le bouquin qu'on dévore en quelques heures, un bouquin qui mériterait presque un petit coeur ... le prochain peut-être ?
(1) - c'est le charbon qui fut un temps la richesse de l'archipel
(2) - la Norvège n'a que des droits d'administration sur ces îles et se voulant irréprochable aux yeux des Nations, elle veille jalousement sur leur écosystème : on y débarque avec ses sacs poubelles et on repart avec, aucune trace !
(3) - notez cet habile jeu de mots(4) puisqu'il n'y a pas de nuit là-haut ...
(4) - oui bien sûr, l'habitude vous a rendus attentifs à ces traits d'esprit, fins, spirituels et désormais fameux, mais des fois je souligne quand même, des fois que l'un de vous somnole un peu après une dure journée et passe à côté de l'un de ces grands moments de la blogoboule, ce serait dommage, après tout le mal que je me donne !
Pour celles et ceux qui n'aiment ni les ours, ni les phoques.
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