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2,66

sur 242 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Il n'a peur de rien Eric Reinhardt, qui dans son tout nouveau roman associe, comme un défi, autofiction et double mise en abyme.

Pour le résumé de l'histoire ne comptez pas sur moi, ni sur une quatrième de couverture fâcheusement réductrice, car dans ce livre en réalité se déploient plusieurs histoires gigognes qui se croisent et se mêlent dans une construction paradoxalement remarquable d'évidence et de clarté.

Ici l'imaginaire intime de l'auteur se lâche plus que jamais. Sophistiqué, romantique et impudique, élégant, tranchant, tourmenté ou exalté parfois jusqu'à la maladresse, il suit inlassablement pourtant son fil conducteur, cette quête de la beauté universelle censée sauver le monde à travers l'amour et l'art.

D'aucuns s'agaceront donc éventuellement d'un certain idéalisme autocentré – voire bobo pour les simplificateurs les plus allergiques – sans percevoir peut-être l'autodérision et l'originalité qui façonnent l'esprit de ce récit très personnel. Bien heureusement je n'ai pas été de ceux-là, car après "L'amour et les forêts" et "Le système Victoria" Reinhardt m'a embarquée, une nouvelle fois.

Ҩ

Merci beaucoup à Charlotte (Babelio) et aux éditions Gallimard pour cette belle avant-première.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Bon... euh... je ne sais quoi penser de ce livre. Ce qui est évident c'est qu'Éric Reinhardt a choisi pour son dernier roman une construction très en vogue. Autofiction, mise en abyme, récit gigogne ne sont pas sans rappeler Celle que vous croyez de Camille Laurens ou D'après une histoire vraie de Delphine de Vigan. Mais la comparaison s'arrête là, car le fond est bien différent.

Ode à l'amour, à la beauté, à l'art, La chambre des époux est en fait une longue et complexe digression sur le processus de création artistique stimulée par l'amour, lui-même stimulé par la crainte de la mort. Je m'explique : apprenant que sa femme est atteinte d'une maladie grave, Éric Reinhardt passe un pacte avec elle. Il consacrera toute son énergie à terminer son roman " Cendrillon ", en échange de quoi sa femme se battra de toutes ses forces contre son cancer. Une résolution qui fonctionne ; il finit son livre et sa femme va mieux. Ce qui lui fait dire : " Elle m'a donné la force d'écrire. Je lui ai donné la force de guérir. (…) C'est l'expérience la plus hallucinante que j'aie jamais vécue. "

Mais pendant cette expérience traumatisante, et stimulante intellectuellement, Éric Reinhardt imagine un autre roman avec pour héros des doubles de son couple. On ne voit pas bien l'intérêt d'un tel montage. Peut-être est-ce le moyen d'aller plus loin dans le dévoilement de soi. Reste que le sujet et la réflexion d'Éric Reinhardt sont intéressants, profonds même. Des phrases sont très belles et font sens (d'autres moins). J'ai même trouvé que, contrairement à certains de ses livres, le fait qu'il en soit le sujet permanent se justifiait ; il parle de son expérience, il se livre tel qu'il est (lui ou son double), paradoxal : tantôt arrogant, prétentieux, impudique, superficiel, tantôt dépressif, sensible, profond, inspiré.
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Eric Reinhardt déclare dans le roman : « le romancier doit inventer des formes plurielles, subtiles, perverses (…) qui désaxent nos perceptions habituelles.» Et bien, mission accomplie : voilà un roman, « la chambre des époux », dont le sens m'a longtemps échappé et qui m'a déstabilisé. Une lecture fastidieuse jusqu'à ce que je devine l'intention de l'auteur dans les dernières pages. le premier chapitre est un article publié en 2007 dans les Inrockuptibles. L'auteur y témoigne du combat conjoint mené avec son épouse : elle lutte contre un cancer, il se bat pour terminer son roman. Et chaque soir, il lui donne à lire les pages rédigées dans la journée. Les combats pour la vie et la beauté se conjuguent ; dans les deux cas, il faut se dépasser. La fin est heureuse : elle guérit, entre en rémission ; son livre est un succès public et critique. Puis arrive le creux de la vague après une lutte si intense. Comment retrouver un souffle créatif après cet acmé ? La chute est vertigineuse. L'auteur revient sur cet effondrement qui se déroule lors d'Assises du roman auxquelles il est invité comme intervenant. Les passages de son discours sont autant de clef à la compréhension du roman car peu après, surprise, nous changeons de registre. L'auteur nous livre son projet inabouti de roman : « voilà ce que j'aurais écrit si j'avais écrit ». Ce roman dans le roman est au départ répétitif puisqu'il est une « projection travestie » de ses ressentis retranscrits dans les premiers chapitres. Mais cela lui permet ensuite de passer dans le domaine de l'intime, d'évoquer le désir d'un et pour un corps malade. Cela lui permet aussi de fantasmer une rencontre avec une autre femme malade, nouvelle occasion de créer du sublime dans une épreuve morbide. Nous sommes en pleine mise en abîme qui – l'auteur est décidément joueur – peut se révéler multiple. Et n'oublions pas qu'Eric Reinhardt, s'il est un de nos contemporains, est dans les faits un romancier de la fin du XIXe siècle qui navigue entre Romantisme et Symbolisme (il est question de Mallarmé et de Verhaeven). Son style est travaillé, souvent magnifique, parfois sophistiqué (« la native singularité intrinsèque de Mathilde »). Mais surtout, tout est exalté : beauté sidérante, amour fou, orgasme existentiel, bonheur suprême. Il célèbre le Beau, la Vie et l'Amour. le bégueule y verra des signes de bipolarité (l'extase ou le désespoir), mais je préfère y reconnaître la manifestation d'un « artiste total ».
Voici donc un roman que je n'ai pas apprécié mais que j'ai finalement aimé, qui m'a su me surprendre et m'impressionner par son audace et son intelligence.

(merci aux éditions Gallimard et à Babelio de m'avoir permis de découvrir le livre dans le cadre d'une Masse critique)
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La Chambre des époux d'Eric Reinhardt est un roman étonnant et terriblement audacieux au sujet duquel il est difficile de savoir quoi penser. C'est du moins ce que j'avais cru comprendre en lisant les différentes critiques publiées à son propos sur internet. Nombreux étaient les lecteurs déçus, gênés voire même en colère en terminant le livre. D'autres, mais ils étaient plus rares, étaient emballés. Dans la foulée, j'ai appris que j'allais en recevoir un exemplaire chez moi, d'en le but d'en rédiger une critique. Une bonne chose, me suis-je dit, car je n'étais pas certaine d'avoir envie de m'y plonger sans la présence d'une « contrainte » quelconque. Je ne connaissais pas l'auteur, et à l'exception de son titre magnifique et de l'image en couverture que je trouvais superbe, rien de ce que le livre semblait évoquer ne m'attirait particulièrement.

Mais il faut croire que le hasard fait bien les choses ! Ou tout du moins qu'il est bon de se laisser surprendre par moment, en embarquant dans une lecture qui, bien que placée sous des auspices peu engageants, relève plus du tour de force que d'autre chose.

Car ce roman, largement autobiographique, c'est l'histoire d'un homme qui parle d'un autre homme qui aimerait raconter une histoire mais qui ne le fait pas. Ou pas vraiment. Ou pas franchement.
Tout commence le jour où l'auteur, Eric Reinhardt apprend que sa femme, qu'il aime d'un amour inconditionnel et magnifique, est atteinte d'un cancer du sein. Terrassé par cette nouvelle, il s'apprête à laisser l'écriture de son roman Cendrillon de côté pour mettre toute son énergie dans le combat que mène Margot contre la maladie, et prendre soin d'elle. Mais elle l'exhorte à terminer le roman qu'il a commencé. Elle a besoin d'inscrire ses forces dans un combat conjoint. Eric, transfiguré par cet enjeu vital, écrit à toute vitesse et s'installe, chaque soir auprès de sa femme, dans la chambre des époux, pour lui lire les pages écrites dans la journée. Pour l'aider à guérir.

La chambre des époux est l'émanation d'un article qu'il avait du écrire en 2007 dans les Inrockuptibles. le célèbre magazine lui demandait de rédiger en six mille signes son « journal de l'année » et c'est cet événement que l'auteur a choisi de raconter. A la suite de l'écho considérable que le texte a eu, et en raison de l'avalanche de lettres et de mails ô combien élogieux reçus, E. Reinhardt en a conçu l'idée de transformer l'article en roman. Il s'inspirerait de ce qu'il a lui-même vécu avec son épouse pour nous raconter l'histoire de Nicolas, la quarantaine, compositeur émérite, de sa femme Mathilde, atteinte d'un cancer, et de la symphonie qu'elle l'engage à poursuivre pour l'aider à guérir.

En réalité, on comprend très vite que ce roman, extrêmement libre dans la forme tout en adoptant un style soutenu et fouillé, est une grande pensée qui se déploie et ne cesse de s'interroger. L'auteur, régulièrement, nous rappelle à l'ordre. S'il avait voulu nous raconter cette histoire, il nous aurait dit cela, puis cela. Mais il ne l'a pas fait. Enfin si. Mais sous nos yeux, en filigrane, c'est tout son coeur qu'il nous dévoile. On ne sait plus bien qui d'Eric ou de Nicolas parle. On ne sait plus bien qui de la femme ou de la maîtresse incarne Margot. Mais qu'importe, c'était le but. Nous livrer, à l'état pur, une saisissante méditation sur la puissance de la beauté, de l'art et de l'amour, qui peuvent littéralement sauver des vies.

Et même si le personnage troublant de Marie peut nous mettre mal à l'aise, ou nous perdre quelque fois, il est incontestable que ce roman c'est d'abord une magnifique ode à la femme qu'il aime depuis dix-huit ans. C'est le livre d'un homme, éperdument amoureux de sa femme, capable de parler de l'amour au sein d'un couple comme personne. On le sent écorché vif, anéanti, abasourdi, en colère aussi. On le voit se battre à corps perdu pour accompagner sa femme dans cette épreuve inconcevable, lutter pour continuer à déposer délicatement des petites gouttes de beauté dans leur quotidien, faire de cette période terrible quelque chose qu'il leur arrive parfois, sa femme et lui, de regarder avec tendresse et nostalgie. Aussi horrible que cela puisse paraître.
Car jamais n'ont-ils été aussi proches. Jamais leurs forces n'ont elles été si unies, si imbriquées, indémêlables, dans un même combat. Un combat pour la vie. Celle de sa femme d'abord et avant tout. Et celle de son livre, sorti en septembre, ou de sa symphonie, vous l'aurez compris c'est selon.

Bien qu'un peu déstabilisée (au début notamment) par la posture de démiurge salvateur que l'auteur donne à son personnage, j'ai vite été séduite par l'honnêteté d'Eric Reinhardt, sa puissance d'évocation et surtout les mots écrits au sujet de sa femme. J'ai été touchée par la force de cet amour, sa douceur et sa liberté. Son intelligence aussi. J'ai aimé la profondeur psychologique des personnages, leur force, leurs incohérences, leurs peurs, leurs joies. le passage de la table ronde à Aix-en-Provence est délicieux et impressionnant de justesse ; celui durant lequel Nicolas et sa femme parlent de ce que la maladie a changé chez Mathilde, dans son coeur, dans son corps, au plus profond d'elle même, dans son intimité, est subjuguant de beauté.

Et rien que parce qu'il est bon de sentir affleurer la « vraie vie » au coeur des romans, et que l'on se surprend à s'amouracher de l'idée du couple traversant les années et la vie avec le même amour, la même urgence, la même transcendance, je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ce court roman, étonnant et plein de grâce.
Lien : https://www.mespetiteschroni..
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Un livre de l'intime.
2006 la femme de l'auteur est atteinte d'un cancer du sein agressif. Ils vont le combattre à deux. Elle exige de lui qu'il termine son livre Cendrillon en quelques mois…
« Margot s'enivrant du succès du roman au même titre et avec la même légitimité que si c'était elle qui l'avait écrit, tout comme moi je me sentais aussi heureux de sa rémission que si la tumeur avait été vaincue dans mon corps. Ses cheveux ont repoussé. Désormais elle les porte court. Comme une nouvelle identité. »
Et dans cette euphorie toute neuve, l'auteur fait la rencontre, lors d'un de ses déplacements, de Marie, elle aussi est une survivante du cancer.
« A mes yeux Marie était la seule personne autour de la table à être en vie. Les autres ne l'étaient pas, les autres étaient tous morts, et ils étaient morts de n'avoir pas frôlé la mort, et de ne pas être revenus à la vie, et de n'avoir jamais compris de l'intérieur ce que cela signifiait d'être en vie ».
Il éprouve ce que l'on pourrait nommer l'attraction magnétique des pôles.
Un choc qui va faire éclater toutes les défenses emmagasinées pour lutter. le barrage est rompu.
Une description des manifestations littéraires auxquelles sont invités les écrivains, enfin ceux qui ont du succès, est d'une ironie aussi mordante que savoureuse. Comme lectrice je verrai cela d'un autre oeil.
Et là, lecteur vous basculez, par un tour de magie de la plume de notre auteur, dans la fiction et vous rencontrez Nicolas, compositeur et Mathilde sa femme et Marie.
Marie héroïne d'un manuscrit nommé Une seule fleur, qui ne verra jamais le jour…
« Cher Nicolas, Je suis très heureuse d'avoir de vos nouvelles !
Ce serait une jolie surprise que de vous voir apparaître chez moi demain soir, même tard.
Malheureusement, je dois tout de même vous avertir que je ne suis plus la femme que vous avez juchée une nuit sur ce cheval rapide, pour que cette nuit n'ait pas lieu ! … »
Visiblement passer de la réalité à la fiction, permet à l'auteur une analyse au scalpel de l'impact d'un cancer sur l'intégrité physique et des conséquences dans la durée. Quand on a côtoyé la mort de près chaque instant de vie a un autre sens.
Une écriture interactive avec cependant un seul bémol, les récurrences scandées comme des coups de marteau parfois agaçantes.
La quatrième de couverture n'est absolument pas judicieuse et risque de faire des déçus.
Ce roman demande une lecture exigeante, mais le lecteur referme le livre sur une réflexion intéressante.
Un bel exercice de style entre autodérision et intimisme mais aussi et c'est là l'intérêt majeur pour moi une belle conception de la création artistique comme objet de guérison.
Pour se relever de ce qui nous blesse, la maladie mais aussi les fléaux sociaux ne faut-il pas plonger dans quelque chose qui nous absorbe et nous transcende et quoi de mieux que l'art ?
Merci Babelio et les éditions Gallimard pour cette découverte de la rentrée littéraire.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 18 août 2017.
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Pour ceux qui ont été fracassé par l'annonce d'un cancer touchant la femme qu'ils aiment, Eric Reinhardt trouve les mots pour dire ce qu'ils ont ressenti, l'envie de tout sacrifier pour l'aider à survivre, pour lutter à ses côtés, l'amour exacerbé par la peur de la perdre , puis après la rémission, l'inquiétude de la récidive, et le désir que les traitements ont chassé, qu'il faut transformer en affection, en caresses, en douceur. C'est un roman gigogne. Lui, l'écrivain s'inspire de ce qu'il a vécu lorsque son épouse a été touchée par la maladie. Il décrit la tourmente qui se traduit pour lui par la nécessité de finir rapidement le roman qu'il a en cours, puis, les difficultés d'écrire autre chose que sur la maladie. Sous les yeux du lecteur, il passe du récit au roman, il se lance dans l'écriture " d'Une seule fleur " dans lequel Mathilde la femme de Nicolas, un compositeur de musique est également victime d'un cancer, Nicolas s'attache à composer un opéra dans lequel Frédéric, un peintre, dont la femme est aussi atteinte. On perçoit combien la maladie occupe toute la place dans la vie de ceux qui y sont confrontés, elle s'implante dans le corps, apporte avec elle les effets secondaires des traitements, puis elle s'impose dans les esprits, de celui qui est touché, et de celui qui accompagne. Elle se sent forte car elle sait combien elle fait peur, combien il faut faire d'efforts pour la combattre, mais ce qu'elle ignore c'est qu'elle décuple l'amour, et ce livre le montre magnifiquement. Il montre également que l'art, l'écriture, la musique, la peinture, peuvent apporter un soulagement à ces souffrances.
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J'étais très impatiente de commencer ce livre, mais, à vrai dire, j'appréhendais aussi un peu sa lecture. En effet, j'avais tellement aimé le roman précédent d'Eric Reinhardt (L'amour et les forêts) que j'avais peur d'être déçue si ce nouvel opus n'était pas à la hauteur de mes attentes. Je me disais aussi, quel genre de personnage est cet auteur qui s'intéresse à des femmes diminuées, harcelées ou malades, une espèce de pervers d'un nouveau genre.
Je me suis lancée et j'ai rapidement oublié le reste. La chambre des époux est un récit gigogne, où l'Eric Reinhardt de fiction participe par l'écriture de son roman à la guérison du cancer du sein de sa femme. Chaque soir, il lui lit les nouvelles pages de son livre, écrites dans une transe jusqu'alors inconnue de lui. Jusqu'à la fin du traitement, et du roman. Parution, reconnaissance, guérison. S'ensuit pour l'auteur/narrateur une phase de dépression durant laquelle il envisage d'écrire un nouveau roman qui mettrait en scène un compositeur, Nicolas, dont la femme est atteinte d'un cancer et qui, lors de son traitement, lui jouerait tous les soirs sa symphonie en cours d'écriture pour l'aider à guérir. On oscille dès lors entre les deux histoires, l'une réelle (ou du moins présentée comme telle), l'autre fantasmée, avec des allers-retours entre les deux, et une frontière pas toujours nette…
L'écriture d'Eric Reinhardt est assez particulière, ample mais précise, avec de longues phrases qui lui permettent de décrire les sentiments, les sensations, les désirs avec une sensibilité très fine. le rapport au sexe est très présent, ce qui donne un texte moderne (et peut-être pas à mettre entre toutes les mains). Je la situe quelque part entre Proust et Foenkinos pour l'ironie.
Malgré une lecture très rapide (l'ouvrage fait moins de 200 pages), j'ai l'impression que ce roman résonnera longtemps.
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Que dire de ce dernier roman d'Eric Reinhardt tellement attendu après L'amour et les forêts et le Système Victoria ? Pour ma part, que du bien ! Ce récit commence comme un roman autobiographique. En 2006, Eric Reinhardt apprend que sa femme Margot est atteinte d'un cancer du sein alors qu'il travaille à son roman Cendrillon. Ils vont dès lors se battre ensemble, lui pour finir son livre à grande vitesse, elle pour guérir « Tu te bats avec ton roman, je me bats contre le cancer, on fait ça tous les deux, ensemble, côte à côte, l'un avec l'autre. Et en septembre, je suis guérie et toi tu sors ton livre. Et après, on passe à autre chose. » « Moi qui ait peur d'écrire, qui entretiens avec la création une relation intimidée, je me suis transformé en instrument sans état d'âme. » « Elle m'a donné la force d'écrire. Je lui ai donné la force de guérir. »
Ils font de leur combat contre la maladie « un moment fort d'amour, de vérité, de beauté, d'exception ». « Il faudrait toujours se comporter, quelles que soient les circonstances, de manière à devenir nostalgiques. C'est-à-dire produire de la beauté. Quelles que soient les circonstances, coûte que coûte, objectif obsessionnel, produire de la beauté. Même avec un cancer. Surtout avec un cancer. La beauté du présent, d'être ensemble, de se battre, de s'aimer. L'intensité et la rareté. »
Mais il est rattrapé, en 2008, par l'angoisse et les larmes, à l'occasion d'une rencontre, celle de Marie, qui a elle aussi lutté contre un cancer et est, comme Margot, « sursitaire ». « Il m'apparaissait aujourd'hui que je n'avais jamais regardé en face le risque affreux de cette réalité… et je payais au prix fort ce reflexe salutaire que j'avais eu, pour pouvoir aider Margot, de ne prendre aucunement au sérieux les dangers de son cancer du sein… Et c'est un an et demi plus tard, le 29 mai 2008, à quelques heures de mon apparition aux Assises internationales du roman, qu'aura enfin été percée cette bulle de protection et d'inconscience où je m'étais réfugiée non pas pour fuir lâchement la maladie, mais au contraire pour l'affronter efficacement… n'était la question de ce que j'avais mis de côté comme terreur, comme tristesse, comme lucidité non vécues, écartées de mon champ de conscience. »
C'est là que le récit bascule vers la fiction, jeu dont l'écrivain est coutumier. Comme souvent chez lui, réalité et fiction se mêlent. « C'est à cette époque, vers l'été 2008, que j'ai commencé à réfléchir à un roman qui aurait réuni un homme dénommé Nicolas, compositeur de musique, une quarantaine d'années, marié et père de deux enfants et une jeune femme que m'aurait inspirée Marie, atteinte d'un cancer incurable. Nicolas aurait été la projection rigoureuse, mais travestie, exagérée et embellie par la fiction, de ma personne, à partir de ce que j'avais vécu avec Margot quand elle avait été malade : il aurait composé une symphonie dans les mêmes ahurissantes conditions d'effervescence que j'avais écrit Cendrillon, sa femme Mathilde avait guéri au moment où il terminait son oeuvre... et cette dernière avait été un succès ». Et voilà donc le roman dans le roman, une mise en abyme multiple (il y a même à la fin une 3e histoire, à l'identique des deux précédentes, mettant en scène Fréderic et Marlène) et de jeux de miroirs assez vertigineux.
L'écrivain s'interroge sur la route qu'il lui reste à parcourir, sur le défi d'entamer un nouveau roman qui pourrait s'intituler Une seule fleur et qui mettrait en scène Nicolas, célèbre compositeur de musique, dont la compagne Mathilde a bataillé elle aussi contre un cancer, et qui partirait à Milan rejoindre une certaine Marie que le cancer a rattrapé et qui se sait condamnée. Non sans avoir auparavant demandé à son épouse qu'il aime d'accepter et de comprendre son geste. « Je conçois qu'il te soit difficile d'admettre que ce qui me lie à cette femme provienne du fait qu'elle va bientôt mourir, et qu'apprendre qu'elle allait bientôt mourir m'ait rendu inconsolable, et que ce sentiment particulier… doive prendre le nom d'amour, faute d'un mot plus adéquat pour le définir. Cela n'a pas de nom ce qui m'a saisi. Cela n'a pas de nom ce qui s'est emparé de moi… »
Ce roman dans le roman est certes parfois répétitif (forcément) mais il permet à l'auteur de parler de l'intime avec une certaine distance, de parler de ses fantasmes, et d'une certaine façon, de sa peur de la mort pour mieux l'exorciser. En cela ce roman est une vraie création artistique.


L'auteur nous parle également d'un sentiment particulier et inconnu, d'un lien irrationnel entre Nicolas et Marie, fait de désir, d'amour ou d'autre chose qu'on pourrait qualifier d'assez morbide (Eros/ Thanatos). « Ce qu'il vient de vivre, ce désir insensé, instantané, d'une profondeur aussi tangible et terrifiante pour lui que celle d'un gouffre, il ne l'avait jamais rencontré auparavant dans sa vie (le désir qu'il avait senti naître pour Mathilde pour puissant qu'il ait été, était né plus lentement, il avait éclos comme une fleur, peu à peu, au fil des semaines), et il savait que ce désir inopiné avait à voir avec l'amour qu'il éprouvait pour sa femme, avec son désir qu'elle reste en vie, avec la peur qu'il avait eue qu'elle puisse mourir de son cancer du sein, aurais-je écrit sans Une seule fleur. Ce qui l'attirait, sexuellement, chez Marie c'était qu'elle soit en vie, alors qu'elle aurait dû être morte, C'était d'entretenir l'existence de cette vie. »
Je conçois que ce livre, et les mots d'Éric Reinhardt, puissent choquer certains, en agacer d'autres. Moi je dirais plutôt qu'ils secouent. Son style et sa plume sont magnifiques.
Merci aux éditions Gallimard et à Babelio de m'avoir permis de découvrir ce livre en avant-première.
Petit bémol : la 4ème de couverture, très trompeuse.
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Lu en 2019. Un roman profondément exutoire, qui touche à l'extrême intimité des sentiments, à la fois unique et universel. Comme on dit : "qui n'a pas vécu"... (l'épreuve de la maladie ou de la perte d'un être cher) ne pourra pas tout à fait palper l'intention de l'auteur.
Il s'agit d'une mise en abyme, cette forme narrative qui ne convient ni ne plaît à tout le monde. Tout est jeté un peu en vrac, de façon exacerbée, jusqu'aux répétitions certes quelque peu redondantes mais d'une fulgurance à laquelle je n'avais pu rester insensible.
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L'auteur puise dans l'intimité du couple suite à l'incursion du cancer . Pas de pathos au contraire une rage de vivre entourée de musique avec comme quête ultime donner de l'amour. Roman : sorte d' Hymne , d' Hommage , un Amour pour la femme qui lutte contre le cancer .
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