Un authentique chef d'oeuvre du récit fantastique, trop méconnu...
Ce livre de 1968, dix ans avant "
La maison du Cygne", installait avec brio ce couple d'auteurs trop méconnus dans le paysage français.
Dans un univers proche du nôtre, mais pourtant dissemblable, la Fédération s'étend peu à peu, au prix de guerres fréquentes. Entre 1800 et 1850 "de notre calendrier", environ, les "Soldats de la Mer" nous content, en 17 chapitres comme autant de nouvelles, l'histoire des combattants de cette expansion, de colonels comme de simples recrues, en autant d'anecdotes où se mêlent inextricablement grande histoire, récit de guerre, de garnison et d'avant-poste et confrontation subtile à des phénomènes "inexplicables". On pensera bien entendu à
E.T.A. Hoffmann (d'ailleurs expressément référencé dans l'une des nouvelles "hors cycle" qui complètent ce volume), à
Jan Potocki, voire au
Leo Perutz du "Cavalier Suédois". L'équilibre réussi par les auteurs, servis par un style d'une grande finesse, entre conte, récit de guerre "au plus près" et fable fantastique, est exceptionnel, et le dénouement surprenant, avec sa mise en abîme finale, ne gâche rien.
Comme dit lors d'un dialogue entre un bien curieux général et son non moins bizarre aide de camp :
« - Qu'est-ce que vous avez aujourd'hui , mon garçon ? Je ne vous ai jamais connu si agressif.
- Je suis las, général. Trop de batailles. Trop de shakos dans les fossés, trop de talpacks sur les eaux des marais, trop de casques dans les champs, trop de bonnets ensanglantés, et des toques et des casquettes et des képis et des chevaux morts et des équipages ruinés. La guerre est triste.
- La guerre est belle.
- La guerre est triste.
- Silence, mon garçon ! Je suis un petit bonhomme graisseux et probablement assez dégoûtant. Je suis habillé comme un paltoquet et vous qui avez l'élégance d'un épouvantail, n'en manquez certes pas à mes côtés, mais je connais la beauté des bataillons en marche, la grandeur d'un escadron qui charge, l'incomparable, le vertigineux décor de la guerre.
- Je connais aussi les quatre armées qu'elle laisse sur ses champs de bataille, une armée de morts, une armée de pleureuses, une armée de bandits et une armée de pauvres. »
Et comme le concluraient les historiens "du futur" :
« ... On aurait pu craindre que des troupes engagées sur des champs de bataille éloignés de leur pays d'origine et se battant pour la cause d'une nouvelle ville alliée, ne se sentent finalement l'âme veule des mercenaires. Comment un régiment de Laërne, d'Ozmüde, de Lauterbronn ou de Libemoth pouvait-il mourir pour que triomphe une Durango ? Ce fut pourtant une des plus émouvantes réussites de la Fédération. Car ces craintes ne furent jamais fondées. Beaucoup de maîtres à penser ont cherché une raison à ce dévouement. »
Deux nouvelles "hors cycle" au sein du volume ("Le Roi d'arbres" et "Coups de pistolet dans la forêt") sont également à recommander tout particulièrement.