Un moment l'idée de le commenter à la
Olivier Véran (tester-tracer-isoler devenu tester-tracer-protéger ou le récent accélérer-amplifier-simplifier ; que dit-il le soir dans le lit conjugal à son épouse ?) m'effleura mais devant l'ampleur de la réflexion demandée …
Le royaume est celui du Maroc, entre la fin du protectorat et 1972 (attentat contre le Boeing royal), le narrateur, fils d'instituteur, fut choisi par X, grâce, pour intégrer et poursuivre sa scolarité au collège royal avec feu sa Majesté
Hassan II ; après sept ans, disgrâce, dans les limbes à Tarfaya, avant que le Sahara Occidental ne se retrouve, de fait province marocaine en novembre 1975, le narrateur se voit nommé, grâce, par décret « historiographe du royaume » ;
Hassan II, comme beaucoup de dirigeant.e.s – et là je pense à notre cher président élu en 2017 sur du vent –, désirant s'inscrire dans l'Histoire, pour cela il est nécessaire d'écrire un « roman national », d'éluder des faits et d'en illuminer d'autres même minces (
Eric Laurent contribua en 1993, «
Hassan II,
la mémoire d'un Roi » à cette mascarade historique, je possède également une édifiante BD « Il était une fois …
HASSAN II » de 1977) ; l'historiographe sera chargé, en particulier, de réfléchir aux trois cents ans du début du règne de Moulay Ismaïl (1672-1727) et pour cela il se rendra à Persépolis admirer le spectacle grandiose du Shah d'Iran – Iannis Xenakis y créa des oeuvres magistrales avec quand même des controverses ; en 1972
Hassan II qui échappe pour la deuxième fois en un an à un régicide intègre, grâce, le narrateur à son équipe de conseillers après lui avoir arrangé un mariage, grâce/disgrâce ; Mohammed VI qui succède à son père fin juillet 1999 l'enverra à Paris à l'institut du monde arabe, disgrâce.
Un livre « solidement documenté » comme on dit aujourd'hui, l'utilisation par l'auteur de « feu sa Majesté », expression en usage dans tous les médias marocains pour évoquer un roi défunt montre que
Maël Renouard par ses lectures a assimilé (au sens digestif du terme, faire du « soi » avec la nourriture ingérée) le rôle donné au narrateur ; le passage sur l'attentat de Skhirat en 1971 ressemble terriblement à ce qu'évoque
Jacques Benoist-Méchin dans «
deux étés africains » paru en 1972, mais là aussi il y assimilation ; un livre sans dédicace, remerciements et sources consultées, ce qui en fait un véritable roman qui même pour ceux qui possèdent une connaissance superficielle de l'histoire marocaine liront avec plaisir, découvrant peut-être que les caprices d'un roi font et défont des vies en un claquement de doigts, que grâce et disgrâce ressemblent aux deux faces d'une même pièce envoyée en l'air par un facétieux. L'auteur écrit «
Hassan II parlait par énigmes, un peu comme
François Mitterrand », pourtant
Hassan II et Mitterrand se détestaient, peut-être parce qu'ils possédaient tous les deux des jardins secrets nauséabonds, tortures quotidiennes et bagnes mouroirs pour le premier, relations amicales assumées avec d'anciens miliciens voire gestapistes pour le deuxième.
Maël Renouard définit lui-même son style – peu avant le dernier chapitre où le narrateur s'efface pour laisser parler une jeune femme rédigeant un travail universitaire sur
Saint-Simon,
Proust, les Contes des mille et une nuits, jeune femme à laquelle le narrateur confie son manuscrit (le livre de Renouard) dans une enveloppe à ouvrir après sa mort – ainsi, « français précis et contourné, d'un classicisme insensible aux modes langagières de notre époque » ; passé simple et imparfait du subjonctif, phrases à rallonges abondent, le tout demandant une lecture attentive et paradoxalement pas de phrases ou de paragraphes qui nous bouleverseraient, relus avec avidité, notés, archivés quelque part. Comme
Olivier Véran, l'auteur assume son écriture, admirateur probable de
Proust,
Saint-Simon, des hyper-classiques.
Aujourd'hui, on pourrait penser qu'avec Internet, ce rôle d'historiographe du royaume, au Maroc, est désuet ; non, cette fonction officielle institutionnalisée en 1961 par Hassan II est occupée par Abdelhak El Merini ou Lamrini ou Lemrini depuis 2010.
Pierre Vermeren dans un livre «
Le Maroc, un royaume de paradoxes, en 100 questions, 2020 » évoque les officines, comme le site 360ma, sur Internet prenant en partie le relais de cette fonction d'historiographe, relais fortement appuyé par quelques auteurs français comme
Aymeric Chauprade (
Géopolitique d'un Roi, 2019),
Charles Saint-Prot ou
Jean-Claude Martinez dont le livre « Le Roi stabilisateur » (2015) en tête de gondole à l'entrée des supermarchés marocains se vendait dix fois moins cher qu'en France.
(printemps 2021 modifié en janvier 2024)