"Le pari de la réincarnation pourrait être une expérience de pensée, une méditation animale, s'il n'était d'une urgence effroyable. C'est la bête en moi qui parle, le silence crie ses dernières volontés ! (...) Prendre le risque de naître coyote, dans un monde où les coyotes sont exterminés. Naître porc dans le ventre d'une truie d'élevage. Naître singe de laboratoire. Naître vache, naître viande, naître aveugle, sourde et idiote. Assez humain pour pleurer. Assez oiseau pour chanter. Se souvenir, et plus encore. Se porter garant, non pas d'un avenir abstrait, ni du bien-être financier d'héritiers fantomatiques, mais de la diversité de la vie. Porter la vie, aussi loin que possible. Accepter que le voyage commence à l'instant. Après ma mort, c'est déjà aujourd'hui. Dans ces conditions, impossible de dire, après moi le déluge. Impossible de penser, ce n'est pas ma faute. Je suis la matière tendre et gorgée de possibles (...)."
[Isabelle Sorente, "Le Pari"]
"Il y a deux façons d'entendre l'humanité. La première comme un droit de naissance, un acquis, une qualité qui ne saurait évoluer. La seconde, comme une chance inouïe de réaliser quelque chose de plus vaste que soi, le caractère sacré de toute vie. La conscience aspire à se réaliser elle-même, c'est à dire à s'étendre comme un univers en expansion permanente, au-delà des limites du moi. Dire qu'un animal a un regard humain ne signifie pas être anthropomorphe, ni imaginer qu'il appartienne à l'espèce humaine, mais lire dans son oeil brillant une conscience en devenir – même si cette conscience, je ne sais pas ce que c'est. Et quiconque s'est promené un matin dans la nature a éprouvé cette conscience-là jusque dans les pierres et dans l'herbe tendre, et la joie immense d'y participer."
[Isabelle Sorente, "Sauver la joie"]
"Mort aux singes. Mort aux vaches folles. Mort à l'animal. Le cri de guerre est rationnel, mais cette rationalité ne fait pas notre force, elle dit notre misère, le dépeuplement inouï de la vie intérieure. Où croyons-nous que meurent les bêtes ? En nous le désastre. En nous l'agonie et la disparition. Pas seulement dans une forêt lointaine, dans un autre pays, au fond d'un océan. Chaque renard qui crève, chaque ours qui disparaît se retire de nos légendes et de nos prières. Aujourd'hui, Saint François ne trouverait plus un loup à qui parler."
[Isabelle Sorente, "Le Pari"]
Lancement de la revue Ravages 3/3