«
Chbebs ! », premier polar spagaytti ? C'est en tout cas ainsi que
Salima Rhamna (voir interview) présente son étonnant premier roman. Au-delà de la formule bien trouvée qui ravira les amateurs de jeux de mots, on est en droit de s'interroger sur cet étrange objet (le lecteur a tous les droits, y compris celui de ne rien comprendre à ce que l'auteur a voulu dire). Serait-on du côté du western à l'italienne ? du polar à l'américaine ? de la parodie lettrée ? du roman gay ? Tout ça à la fois et bien plus encore, comme vous allez vous en rendre compte.
Dès le titre, «
Chbebs ! »,
Salima Rhamna annonce la couleur même si elle a plus d'une nuance (de rouge) dans sa palette, mêlant allègrement argot et langage soutenu, voire précieux, le tout constituant une prose assez inclassable et inclassée dans le paysage littéraire actuel. La langue de «
Chbebs ! » est au moins aussi surprenante que le contenu du roman, qui a la grande d'intelligence de mettre en parallèle (puis de croiser) deux histoires qui permettent à son auteure d'aborder et d'entremêler des thématiques diverses, vie littéraire et vie en banlieue, passé et présent, érémitisme et barres d'immeubles, questions sociales et construction romanesque…
Tout commence par la réponse enfiévrée d'un vieil ermite anarchiste à un lecteur de son fanzine d'extrême gauche, et, bien loin de là, par la fuite d'un petit caïd durant une nuit d'émeute à la Grande Borgne (cité parisienne dont le nom fait bien évidemment référence à la Grande Borne à Clichy) : deux mondes qui n'ont a priori rien de commun, et dont la rencontre fortuite produira au cours du récit de terribles conséquences… Entre-temps, le lecteur aura pu se réjouir de la savoureuse galerie de portraits offerte : des personnages vivants, mesquins ou attachants, désabusés ou cruels, qu'il s'agisse du préfet de Gave, totalement étranger aux us et coutumes de la banlieue, de la jeune Fouzia qui s'imagine une autre vie depuis son H.L.M., du commissaire Licken perdu dans sa nostalgie et ses regrets, du vieil architecte de la Grande Borgne, du louche garagiste Memet, de l'épuisé banlieusard Vit-d'Âne, des déboires de la famille Zbiss ou de tous les seconds rôles indispensables de ce polar pas comme les autres.
Les héros du roman sont deux garçons gays des quartiers, Dino Dozelin et David Tétard, petits truands aux moeurs bizarres fascinés par une légende du milieu disparue : une histoire d'amour entre deux jeunes voyous des cités, on n'en lit pas tous les jours, c'est le moins que l'on puisse dire, surtout écrite de la sorte. Autre rareté dans un paysage littéraire français bien trop consensuel, le personnage de Marcel Treuffais, vieux pédé anar qui n'a pas dit son dernier mot, qui terrorise de l'écrivain nanti dans son fanzine « le Frapar », et se rêve une sortie flamboyante digne des passions de sa jeunesse. La rencontre entre ces deux univers ne pouvait faire que des étincelles : «
Chbebs ! » est le récit de ce choc salutaire, un petit îlot atypique de liberté d'expression.
En résumé, «
Chbebs ! » est une expérience littéraire peu commune, un voyage initiatique et désespéré où l'imagination et la créativité sont placées au-dessus de tout : un polar singulier, donc, bien plus écrit et profond que la moyenne, une brève épopée sanglante à l'écriture ciselée, des feux de voitures en cité qui ouvrent le roman au feu d'artifice final.