Pang… !
L’onde du coup de feu coule le long de l’avenue avant de s’évanouir.
…Pang… !
L’onde revient, rejetée par la paroi d’un immeuble en ruine, écho d’une mort.
Dans l’avenue, une femme s’est courbée en deux, avant de s’effondrer, sur le côté, la tête en sang. Le sniper ne voulait pas qu’elle s’y aventure pour aller chercher un quignon de pain pour sa famille affamée.
Zoran squatte un appartement de 26 m² au sixième étage. De la fenêtre sans carreau donnant sur la Sniper Alley, il peut l’apercevoir, étendue, morte, enfoncée dans la neige. Seule, la tache de sang qui s’élargit éblouit l’immaculé.
Zoran ne peut plus avaler son lepinja, il se contente de se brûler la gorge avec son thé trop chaud.
Une heure plus tard, Zoran pose son sac de sport usé sur la neige, à côté d’une carcasse de voiture calcinée. Il en sort un sticharion qu’il enfile rapidement au-dessus de sa soutane. Après y avoir posé le baiser rituel, il place sur ses épaules une étole richement brodée de fils d’or. Enfin, il réajuste son Kalimavkion sur son crâne.
Le pope Zoran Solevic s’avance lentement, dans le Bulevar Meše Selimovića, mettant ses pas dans ceux de la femme. La blancheur de son aube se confond avec celle de la neige, son étole dorée étincelle sous le soleil du matin. Il sait que quelque part le sniper a posé sa mire sur son cœur. Arrivé auprès du corps sans vie, il se met à genoux et reste ainsi un instant, figé, priant d’une prière qu’il n’arrive pas à exprimer autrement que par son geste. Puis, avec une infinie douceur, il prend le cadavre de la femme dans ses bras, et fait demi-tour, le portant comme Marie le ferait pour Jésus à la descente de la croix. Le sang a maculé son surplis de longues traînées écarlates.
De retour près de la voiture calcinée, à l’abri derrière un muret, une famille en pleurs l’attend. Il dépose le corps sur le linceul qui a été étendu sur la neige et le referme délicatement.
Il ôte sa coiffe, enlève l’étole et retire l’aube.
Myriam l’observe gravement de ses grands yeux de petite fille de neuf ans. A peine a-t-il plié le sticharion, qu’elle s’en saisit et s’enfuit, comme chaque fois.