Quand on lit les
Lettres à un jeune poète, l'impression qui domine dès les premières pages est que l'auteur de ces 10 lettres est un homme âgé qui, ayant parcouru l'essentiel de son chemin personnel, donne à un jeune homme des leçons de vie. C'est ce que j'ai cru au début, avant de me renseigner et de constater avec une grande surprise que
Rainer Maria Rilke n'avait que 28 ans quand il écrivait à Franz Xavier Kappus (lequel il est vrai n'avait que 20 ans). Mais, tout de même, on ne peut échapper au sentiment que
Rilke fut vieux avant l'âge, tenant sur l'amour ou la solitude des propos qu'on n'attendrait pas d'un jeune homme. Et, quelque part, c'est un peu triste. Car l'enthousiasme et la fraicheur, la naïveté aussi parfois, qui caractérisent la jeunesse, soit l'ont déjà quittés (et c'est inquiétant à cet âge…) soit ne l'ont même jamais saisis.
Du reste,
Rainer Maria Rilke est mort jeune (51 ans), ce qui est souvent le cas des hommes ou des femmes qui parcourent la vie trop vite, brûlant les étapes, et manquant quelque peu de carburant passé un certain âge.
Je me suis interrogé aussi sur la volonté de
Rilke de répondre à ce jeune Kappus qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam et qu'il ne verra jamais. C'est un trait de caractère intéressant, comme une obligation qu'il se donne, d'autant plus qu'il répond avec retard et en donne souvent des excuses peu crédibles. Cependant, on sent dans certaines lettres (pas toutes) qu'il se prend au jeu et profite de ces moments d'écriture pour définir et distiller au fil de la plume un peu de sa vision de la vie et du monde. C'est un peu l'Evangile selon
Rilke, ces lettres.
Ce qu'il dit par ailleurs ne manque pas d'intérêt. Il commence par une violente charge contre la critique (il faut comprendre la Critique Officielle, pas celle que nous faisons ici à Babelio qui n'est que divertissement pour passer le temps…). « Rien n'est pire que les mots de la critique », dit-il, elle n'aboutit qu'à des malentendus et les choses ne sont pas à prendre comme on aimerait nous le faire croire. Les oeuvres d'art sont inexprimables et s'accomplissent dans une région que jamais parole n'a foulée ». Sur ce point, je suis bien d'accord avec lui et (s'il vous plaît) ne me demandez pas pourquoi je suis en train d'écrire ce qui ressemble fort à une critique (chacun ses contradictions…). Bref, il faut écrire pour soi, en soi, et se contrefoutre de ce qu'en pensent les autres. Il faut même s'en détacher pour exprimer ce qu'il y a de plus profond en soi et être capable d'y puiser un art original.
C'est quand il parle de l'amour qu'il nous bluffe ou nous inquiète, vu son âge. Et le plus surprenant est qu'il critique la jeunesse tel un vieillard prêt à passer la main. « Là est l'erreur si grave et si fréquente des jeunes » écrit-il par exemple. Il leur reproche ce manque de maturité qui mène leur amour, si disgracieux et imparfait, à l'échec. « Que peut faire la vie de cet enchevêtrement de matériaux gâchés qu'ils appellent leur union » écrit-il encore. Qu'a donc vécu
Rilke pour dire des choses pareilles à 28 ans ? Rien, peut être… A-t-il été acteur de ce dont il parle ou n'est-il qu'un observateur désabusé, plus lucide que les autres, qui s'agace et s'attriste de l'agitation vaine et désordonnée de ses contemporains ? La seconde option paraît plus sûr (je me trompe peut-être).
C'est quand il parle de la solitude qu'il est le plus juste et le plus intense. Il ne parle pas de la solitude du génie créateur obligé de fuir le vulgaire pour toucher à la quintessence de son art. Non, il parle des hommes en général, insistant sur leur solitude indépassable. Il s'adresse à nous tous dans ce cri qu'il jette soudain sur sa feuille papier « Nous sommes solitude ». Et il faut l'accepter car, hélas, c'est plus que vrai et c'est bien un des drames de l'être humain, même si, comme il le martèle : certains se leurrent en donnant le change et faire comme si cela n'était pas.
Ces lettres ne sont pas d'une folle gaité. Mais elles sont à lire et éclairent certaines vérités que nous avons trop souvent tendance à oublier.